Le discrédit qui frappe Hollande s’amplifie
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Jean-Baptiste de Montvalon, David Revault d'Allonnes et Thomas Wieder
François Hollande, lors d’un discours prononcé au palais de l’Elysée, le 23 mai. Francois Mori / AP
« Ce n’est pas que ça va mieux, mais que ça va de mieux en mieux », s’enflamme un conseiller du président de la République. « Ce n’est pas que ça va mieux, c’est que ça va beaucoup mieux », ajoute, comme en écho, un des plus proches ministres de François Hollande. Avant de soupirer : « Mais, quand on dit ça, comment voulez-vous que les gens le croient avec le bordel ambiant ? »
Tel est le paradoxe de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui le président : comme le petit garçon qui, dans la fable, a trop hurlé au loup, celui-ci a tant prédit l’inversion de la courbe du chômage ou claironné que « la reprise est là » que la réelle amélioration de l’économie française en ce début d’année 2016 ne convainc personne. Surtout sur fond de crise sociale aiguë. Ce qu’à l’Elysée l’on résume sobrement : « La situation économique s’améliore très fortement, même si ça passe encore sous le radar car il y a d’autres actualités. »
« Je revendique, et je vais continuer »
« La France a renoué avec la croissance, on crée de l’emploi en quantité suffisante pour faire baisser le chômage, mais il faut du temps pour que les gens s’en aperçoivent. La conscience de ce redressement est en train de pénétrer l’opinion, mais l’infusion est lente », soupire ce ministre hollandais qui a parfaitement mesuré, justement, combien le temps presse : « Tout l’enjeu politique, une fois qu’on aura déblayé les sujets sociaux d’ici à la mi-juillet, c’est d’avoir la capacité, d’ici à la mi-septembre, de dégager une vision claire de ces résultats et leur révélation. » C’est peu dire que ce calendrier sera difficile à tenir.
Car, dans l’immédiat, cela va franchement moins bien pour le chef de l’Etat. La dégradation de son image, qui n’était pourtant guère fameuse, est l’un des principaux enseignements de la quatrième vague de l’enquête électorale entreprise par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en collaboration avec Le Monde et réalisée par Ipsos-Sopra Steria. Inédite par son ampleur, celle-ci repose sur l’interrogation régulière d’un très large échantillon, qui sera poursuivie jusqu’en juin 2017 (Le Monde du 4 décembre 2015, du 10 février et du 31 mars). La quatrième vague a été réalisée du 13 au 22 mai, auprès de 19 455 personnes. Parmi elles, 12 710 se disent certaines d’aller voter à la présidentielle, et 1 134 certaines de participer à la primaire de la droite.
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Le discrédit qui frappe M. Hollande continue de s’amplifier. Seules 1 % des personnes interrogées se disent « très satisfaites » de son action. Les « plutôt satisfaits » sont 4 %. Un « socle » – si l’on peut dire – si faible depuis plusieurs mois (10 % en novembre 2015, 7 % en janvier, 5 % en mars) qu’au moins la pente y est douce. Les rangs des « pas du tout satisfaits » continuent, en revanche, de grossir sensiblement : ils sont désormais 53 % (contre 43 % lors de la troisième vague, réalisée du 11 au 20 mars), ce qui tire encore vers le bas le taux de satisfaction moyen vis-à-vis du chef de l’Etat. Sur une échelle de 0 à 10, la « note » de M. Hollande est descendue à 2,1 (contre 3,4 en novembre 2015 ; 2,8 en janvier ; 2,5 en mars).
La très forte impopularité du président se répercute également sur les intentions de vote en sa faveur. Là encore, M. Hollande « parvient » encore à descendre alors qu’on pouvait croire qu’il avait atteint un plancher. De janvier à mars, il avait régressé de 4 points dans les intentions de vote des personnes certaines d’aller voter à la présidentielle. Dans l’hypothèse où Nicolas Sarkozy serait le candidat de la droite, il ne recueillait plus que 16 % des suffrages. Cette fois, il perd encore deux points, à 14 %, et se trouve talonné par François Bayrou (stable à 13 %) ainsi que par Jean-Luc Mélenchon (12 %, + 1). Dans l’hypothèse d’une candidature d’Alain Juppé, M. Hollande obtiendrait le même score (14 %, - 1 point par rapport à mars). A ce stade, le président est très loin de pouvoir disputer la qualification pour le second tour : il accuse 14 points de retard sur la présidente du Front national, Marine Le Pen, qui est créditée de 28 % des intentions de vote quel que soit le candidat du parti Les Républicains (LR).
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A court terme, ces mauvais chiffres ne devraient guère modifier le discours élyséen. Le président et son équipe ne regrettent rien. Et surtout pas d’avoir lancé, à l’occasion de l’émission télévisée du 14 avril, sur France 2, l’offensive du « ça va mieux ». Un credo qui a fait jaser, mais qui avait été justement conçu pour susciter le débat. En privé, M. Hollande s’en est récemment félicité devant ses visiteurs : « Le succès d’un thème est précisément qu’il soit devenu un thème. Or, pour devenir un thème, il ne peut pas être consensuel et susciter l’adhésion générale. Je savais bien, en le disant, que pour une partie des Français qui considèrent que cela ne va pas mieux, ou que rien n’a changé, cela allait créer une contestation. Mais je revendique, et je vais continuer, parfois dans le scepticisme et même dans l’irritation, car c’est étayé par des indicateurs, des chiffres, une réalité, et ça peut l’être encore davantage demain. »
L’avenir du pays ? « Explosion sociale », répondent les Français
Il a toujours existé un décalage dans le temps entre la publication de bons résultats socio-économiques et leur perception par l’opinion. De ce point de vue, il est naturel que M. Hollande n’en soit pas encore crédité. Mais la pente qu’il doit remonter est particulièrement forte. A cet égard, deux autres indicateurs ont de quoi inquiéter fortement le chef de l’Etat. Le premier est la part d’électeurs ayant voté pour lui en 2012 qui se disent prêts à revoter pour lui en 2017 : sur 100 personnes lui ayant accordé leur suffrage au premier tour il y a quatre ans, elles ne sont qu’une petite quarantaine à envisager de revoter pour lui l’an prochain. Le second indicateur est le poids de la gauche en général dans les intentions de vote : si l’on ajoute au score de M. Hollande ceux de Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot, l’on arrive seulement à 32 %, soit 3 points de moins que ce qu’obtiendrait M. Juppé à lui seul. Dans l’hypothèse, aujourd’hui hautement improbable, d’une qualification du chef de l’Etat au second tour de la présidentielle, voilà pour lui de bien minces « réserves » de voix pour envisager au bout du compte une nouvelle victoire.
Ajoutons enfin le climat général, dont on sait qu’il constitue pour les sortants une donnée essentielle dans la mesure où les électeurs leur en attribuent plus ou moins consciemment la responsabilité. Or ce climat est aujourd’hui des plus moroses, comme en témoignent d’autres données de cette enquête électorale. Invitées à choisir parmi une liste de mots ou d’expressions ce qui « correspond le mieux à ce qui attend la France dans les prochaines années », les personnes interrogées ont ainsi dressé un très sombre podium. « Explosion sociale » arrive nettement en tête (29 %), suivie par « déclin » (17 %),« immobilisme » (14 %) et « décadence » (11 %). « Prospérité » (5 %), « unité » (3 %) et « rayonnement international » (2 %) sont relégués tout à la fin de ce classement. Si tel est l’état d’esprit des Français, disons qu’il n’est pas des plus propices à un retournement d’opinion en faveur de l’exécutif.
D’autant que les mêmes Français refusent désormais de se laisser bercer par de beaux discours. Interrogés sur leurs attentes à l’égard de celles et ceux qui se porteront candidats en 2017, une nette majorité (58 %) répond « des mesures concrètes », la réponse donnée en second étant « du changement » (35 %).
Dans ce contexte, il est donc clair qu’il ne suffira pas à M. Hollande de marteler que « ça va mieux ». Il lui faudra également prouver qu’il s’agit là d’une réalité tangible et perceptible par chacun dans sa vie quotidienne. Et convaincre, rapidement, qu’il peut être lui-même porteur et gage d’améliorations à venir. Faute de quoi il n’est pas exclu que ça aille mieux. Mais pour un autre que lui.
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- David Revault d'Allonnes
Grand reporter au service politique. En charge de l'Elysée Suivre Aller sur la page de ce journaliste
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