La guerre du Levant montre ses contenus et ses contours
Crédit photo Thomas Van Linge
Peu à peu, le voile des propagandes se déchire. Si Daech a une réalité idéologique dans l’islamisme politique, alors c’est dans sa branche saoudienne. Les têtes coupées, le traitement réservé aux femmes et ainsi de suite, ce n’est rien d’autre que le quotidien du pays où l’on fouette aussi les blogueurs. Mais son ancrage local, sur le terrain, sa puissance territoriale entre l’Irak et la Syrie, prend racine dans la révolte des sunnites irakiens. Brutalisés par le gouvernement chiite à Bagdad sous la poigne du Premier ministre Maliki, l’homme des Américains, écartés, proscrits, mais implantés sur leur territoire, ils se sont révoltés. Ce sont les officiers de l’ex-armée de Saddam Hussein qui prennent leur revanche. Ceux-là ont introduit le concept « d’État » dans le projet initial confus des groupuscules islamistes locaux. Et quand ils renversent la frontière en terre qui sépare la Syrie de l’Irak, ils renouent aussi avec le panarabisme spécifique de l’idéologie du Baas dont les deux gouvernements irakien et syrien se réclamaient naguère.
Dans ces conditions, l’identité religieuse de Daech n’est qu’accessoirement importante. Elle l’est seulement pour sa capacité à rallier à une guerre de conquête territoriale un mouvement politique mondial conduisant près de 80 nationalités à être représentées sur place. Car c’est une guerre de conquête sur une zone qui contient une très grande part des réserves d’hydrocarbures du monde. À partir de là, au rythme actuel, si la victoire militaire n’intervient pas, Daech sera bientôt un interlocuteur incontournable du processus pour obtenir la fin des combats. Car s’ils refluent de Syrie pour retourner en Irak d’où ils viennent, je parie que bien des accords seront possibles dans le secteur avec les puissances régionales et même avec celles beaucoup plus lointaines.
En réalité, le sort du régime de Bachar el Assad leur importe peu, sinon comme prétexte pour coaliser la population sunnite du pays. A la fin des fins, les frontières bougeront peut-être. D’aucun tenteront de reformater la carte sur une base ethnico-religieuse. On invoquera la nécessité de la cohérence et de la stabilité. Je prévois que le tracé des ciseaux ne récompensera pas l’héroïsme des combattants kurdes. Car il faudrait alors reprendre le tracé des frontières dans quatre pays… En toute hypothèse, ce découpage sera une grande première, pas très rassurante comme on ne tardera pas à le voir. Toucher aux frontières est rarement un exercice dont on sort indemne. On a connu ça en Europe et on pourrait le revoir bientôt.
Mais on entendra dire qu’il faut bien tenir compte de l’échec du concept d’États-nations post-colonial au levant. Il est vrai que la destruction de l’Irak par les USA, et leur absurde appui aveuglé au gouvernement Maliki l’a rendu évident dans cette zone. N’oublions jamais les Busch dans nos malédictions. Peut-être même mes lecteurs accepteront-ils de se souvenir que dans la période longue depuis la première guerre d’Irak, mes votes sur le sujet ne se sont jamais égarés.
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