Non à l’état d’urgence
Paru dans la Tribune des travailleurs du 1er décembre 2015
Après la prolongation de l’état d’urgence, perquisitions, parfois musclées comme à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), et assignations se multiplient. Au total, samedi 28 novembre, 1 836 perquisitions avaient déjà été menées et 305 assignations à résidence prononcées. Mais cela ne s’arrête pas là : des salariés et des militants syndicalistes, comme à Geodis, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), sont assignés en justice pour fait de grève. Pour autant, ils ne renoncent pas à combattre pour leurs revendications, de même que ne nombreux militants du PCF expriment leur colère après le vote de leurs députés.
Loi prorogeant l’état d’urgence
« Un texte qui ouvre la porte à l’arbitraire le plus total »
La loi prorogeant l’état d’urgence décrété en Conseil des ministres au lendemain des attentats de Paris est sûrement l’une des lois les plus rapidement votées de toute l’histoire de la Ve République, tous les responsables de groupe appelant à son adoption.
Pourtant, ce vote est lourd de conséquences dans la mesure où est instauré un état d’exception qui étend les pouvoirs de police et restreint les libertés publiques et individuelles, dérogeant aux règles de droit commun, notamment contenues dans le Code de procédure pénale ;
Prenons, par exemple, l’article 11 de la loi qui autorise les perquisitions administratives, c’est-à-dire en dehors de tout contrôle effectués par un juge, « en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (…) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».
Ce texte ouvre la porte à l’arbitraire le plus total sans la mesure où la décision autorisant la perquisition doit simplement préciser « le lieu et le moment de la perquisition », mais en aucun cas être motivée en exposant quelles sont « les raisons sérieuses » en question.
Dès lors, cette loi présentée comme un texte visant à lutter contre le terrorisme s’applique dans les faits bien au-delà de la lutte anti-terroriste, la notion de menace à la sécurité et à l’ordre publics permettant alors de justifier toutes les perquisitions. Concrètement, cela signifie qu’il n’y a plus aucune balise, plus aucune règle venant encadrer et limiter les pouvoirs de police. Pas plus qu’il n’y a de contrôle juridictionnel a posteriori venant sanctionner un éventuel détournement de procédure.
La fin justifie les moyens !
Pourtant, c’est à un véritable détournement de procédure qu’on assiste depuis le 14 novembre : plus de 1 800 perquisitions et pas seulement chez les personnes fichées « S », plus de 250 personnes assignées à résidence au motif qu’il « existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».
Ainsi, ce sont des centaines de personnes qui n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec le terrorisme et qui sont visées chaque jour par ces mesures arbitraires et liberticides, comme c’est le cas de vingt-quatre militants écologistes, assignés à résidence, non pas parce qu’ils étaient soupçonnés de terrorisme, mais parce qu’ils auraient pu menacer la tenue de la COP21 !
Pour d’autres personnes, cela va encore plus loin, puisqu’elles font aujourd’hui l’objet d’une procédure dite « incidente » et sont renvoyées devant les tribunaux au motif que, lors de ces perquisitions, ont été trouvés un fusil de chasse, de l’argent…
Autant de procédures qui auraient été illégales avant le 14 novembre. En réalité, l’état d’urgence permet à l’Etat de s’affranchir d’un certain nombre de règles garantissant l’état de droit. La fin justifie les moyens !
En ce sens, le maintien de l’état d’urgence est une menace pour les droits et les libertés.
Correspondance
Etat d’urgence : des militants du PCF en colère après le vote de leurs députés
« J’en suis malade depuis hier soir, c’est impensable ! »
A la fin d’une réunion de l’union départementale de mon syndicat, au moment de la pause, les responsables connus comme militants PCF s’étaient rassemblés et la discussion était très animée.
Nous avons assisté à une véritable explosion de colère des militants du PCF présents dans la salle
Cela a commencé par une interpellation de l’un d’entre eux : « Tu as vu le vote d’hier ? »demande-t-il. « Oui, c’est scandaleux », lui répond aussitôt l’un de ses camarades.
« Pas capables de prendre une décision courageuse », renchérit l’autre.
« Tout cela pour préserver leur place »
La tension est d’autant plus forte qu’une partie de la réunion syndicale a été consacrée aux conséquences de l’état d’urgence sur l’activité syndicale, et particulièrement sur le rassemblement prévu le 2 décembre en soutien avec les militants et salariés d’Air France.
La position la plus répandue était la poursuite de l’activité revendicative. Mais il fallait tenir compte de la situation de l’état d’urgence. Nous en étions tous conscients.
Or, la veille, les députés PCF ont voté le prolongement pour trois mois de l’état d’urgence, les sénateurs s’abstenant après des amendements ridicules.
« On a interpellé le conseil général, tu sais ce qu’il répond ? » « Si on était au gouvernement, nous aussi on aurait fait l’état d’urgence ». « Et il leur en accorde pour trois mois de plus ! » Un responsable du syndicat militant vient vers moi et me dit, la voix cassée : « J’ai rendu ma carte au parti hier soir parce que là, c’est trop ! ».
Une autre responsable déclare : « Moi, j’en suis malade depuis hier soir, c’est impensable, ils sont complètement en dehors »
Un autre militant, dirigeant d’une des unions locales du département, fait état réunion interne au PCF la veille dans sa localité.
« La discussion a été vive une partie de la soirée. Il y en a qui justifient le vote, c’est incroyable, ils ne se rendent pas compte de ce que c’est l’état d’urgence !
Ce n’est pas eux, c’est nous qui sommes sur le terrain ».
Témoignage
Etat d’urgence : perquisition musclée, le patron d’un restaurant raconte
« Le principe de ces perquisitions, c’est de taper large » (le préfet du Val-d’Oise)
Peut-être l’avez-vous vu à la télévision, filmée par les caméras de sécurité d’un restaurant du Val-d’Oise. Le 21 novembre au soir, filmée par les caméras de sécurité d’un restaurant du Val-d’Oise. Le 21 novembre au soir, en application de l’état d’urgence, la police a mené une perquisition administrative dans l’établissement le Pepper Grill, à Saint-Ouen-l’Aumône.
Ivan Agac, le propriétaire, raconte : « Il était 20 h 30. Une soixantaine de personne étaient en train de manger, il y avait des enfants. La police a fait irruption : environ quarante policiers, protégés par des boucliers et armés pour certains de fusils à pompe. Ils commencent par sécuriser les lieux, sortent les cuisiniers du sous-sol, les amènent à l’étage où se trouve la salle du restaurant. Ils leur demandent de s’asseoir, de garder leurs mains en évidence sur la table et de ne pas toucher leur téléphone. Un client, qui mangeait, est obligé de reposer sa fourchette ! »(Libération, 20 novembre).
Les policiers montrent au directeur une autorisation de perquisition, signée de la main du préfet du Val-d’Oise. Le document évoque « des raisons sérieuses de penser que des personnes, armes ou objets liés à des activités terroristes » se trouvent dans le restaurant ou des parties communes de l’immeuble.
Après avoir fouillé en vain le sous-sol, les enquêteurs emmènent le directeur à la caisse puis dans son bureau. Ils parcourent ses classeurs, « les jettent par terre » mais ne placent rien sous scellé. Dans leur progression, les forces de l’ordre ont enfoncé trois portes : « Je leur dis de ne pas casser les portes, j’ai les clés ! ». Sur les trois fracturées, deux n’étaient pas verrouillées à clé, se désole Ivan Avac.
La perquisition dure une demi-heure. « Les policiers nous ont souhaité une bonne soirée, puis sont partis… » Personne n’a été interpellé, rien n’a été saisi.
Le préfet s’est justifié : « On ne fait pas mouche à tous les coups, loin de là. Le principe de ces perquisitions, c’est de taper large ».
Source : Le Parisien, édition du Val-d’Oise
Chez Geodis Calberson, Gennevilliers (Hauts de Seine)
Vingt-deux grévistes assignés en justice
La grève a débuté le 18 novembre sur la plate-forme du port du site Geodis Calberson, à Gennevilliers : cinquante-et-un salariés employés au quai de chargement se sont mis en grève devant le gigantesque entrepôt.
Un piquet de grève est présent jour et nuit devant l’entrée de l’entreprise. « Ils réclament 600 euros de prime, 200 euros d’augmentation de salaire et l’embauche définitive en CDI des trente intérimaires dont la direction se sert comme variable d’ajustement », nous explique un militant CGT.
Le 23 novembre, vingt-deux grévistes ont reçu par huissier une assignation en référé devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour le 26 novembre.
La direction du groupe de transport a en effet saisi le juge des référés afin de faire lever le blocage du site. Cette décision n’a pas entamé la volonté des grévistes. « On ne cédera pas », tel est l’état d’esprit.
Face à cette détermination, la juge des référés a finalement reporté sa décision à mardi 2 décembre. Les grévistes et leur syndicat CGT ont décidé de maintenir leur piquet de grève jusqu’au 2 décembre au moins.
Ils n’acceptent pas le chantage de la direction. « La direction refuse de négocier. Cela ne risque pas d’évoluer dans les prochains jours… », déplore un responsable syndical.
Celle-ci demande en effet la levée du barrage avant toute ouverture de négociation. Les grévistes et leur syndicat CGT refusent. Ils exigent un document écrit de la direction attestant qu’elle est prête à ouvrir des négociations sur leurs revendications, A suivre…
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