Translate

dimanche 13 avril 2025

Rue 89 avec L'OBS - Dimanche 13 avril 2025

 



Dimanche 13 avril 2025

A-t-on encore le droit à un peu de légèreté et de divertissement dans un monde qui « brûle » et bascule dans le fascisme ? Je me suis posé cette question en scrutant mon profil Strava, ce réseau social où l’on poste ses « performances » sportives, qu’il s’agisse de vélo ou de course à pied – pour le dire plus simplement, Strava, c’est le royaume du « concours de quéquettes » entre sportifs amateurs, comme le reconnaît ici l’un de ses utilisateurs avec une certaine lucidité.

En faisant défiler l’autre jour l’historique de mes « exploits », j’ai compris que mon rythme de sorties à vélo n’avait cessé d’augmenter depuis la réélection, en novembre, de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Un simple hasard ? Peut-être. Corrélation ne veut pas dire causalité, vont s’empresser de me répondre nos lecteurs les plus brillants. Il n’empêche, une hypothèse ne peut pas être complètement écartée : de la même façon que certains se tournent vers les drogues pour échapper au réel, ne suis-je pas en train de me plonger à corps perdu dans le vélo dans le seul but d’oublier combien le monde déraille ?

Avaler les kilomètres à vélo, c’est l’assurance d’échapper pendant de précieuses heures au flux ininterrompu de nouvelles angoissantes venant des Etats-Unis, aux discours aux relents trumpistes de certains responsables politiques français et au racisme ambiant. C’est, shooté aux endorphines, éprouver une sensation grisante de toute-puissance au moment où tout semble nous échapper et s’écrouler autour de soi. Bref, c’est une bouffée d’oxygène dans un monde de plus en plus asphyxiant.

Mais difficile de ne pas regarder son compte Strava ces jours-ci sans ressentir une bonne dose de culpabilité. Rouler alors que le fascisme est à nos portes, que le climat s’emballe et que les bombes pleuvent toujours sur Gaza, c’est certes bon pour ma santé mentale (et physique), mais c’est aussi une façon de faire l’autruche, ou à tout le moins une forme de repli sur soi quand nous aurions besoin au contraire d’un sursaut collectif. A la question que me posera dans quelques années mon fils, « Dis, papa, tu faisais quoi en 2025 quand la guerre a éclaté ? », oserai-je lui répondre que j’avais alors les yeux rivés sur mon chrono, ma vitesse moyenne et mon nombre de calories brûlées ?

Espérons que les historiens, quand ils tenteront d’analyser comment la catastrophe est advenue et d’établir les responsabilités des uns et des autres, ne tomberont pas sur mon compte Strava (ni sur cette newsletter).

Sébastien Billard

Notre Sélection

Procès du meurtre de Lisa, 11 mois, dans une crèche People & Baby : « Je voulais la faire taire »
La suite après cette publicité
   
  
 
   
 
   
  
 
   
Contribuez à l'information durable, découvrez nos offres d'abonnement
 
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire