Après des décennies d'une croissance glorieuse, une grave stagnation affecte le pays depuis 30 ans. La dépression démographique, des institutions économiques rigides sont parmi les facteurs qui ont provoqué ce déclin. Pourtant, la société japonaise ne s'est pas écroulée : la propreté des rues, l'efficacité des infrastructures et la richesse de la culture locale sont louées par les étrangers. Le Japon a vécu une renaissance extraordinaire après sa défaite en 1945. La conquête du marché américain par ses firmes automobiles, le triomphe mondial de ses marques de haute technologie ont marqué cette revanche dans les années 80. Pourtant, tout semble s'être figé depuis le milieu des années 90. Ces 25 dernières années, le PIB réel n'y a augmenté que de 200 milliards de dollars – près d'un cinquième de ce que la Corée du Sud a produit dans la même période… Or, les villes japonaises sont réputées pour leur qualité de vie : les coûts de logement, de transport ou encore de l'énergie, ne sont pas particulièrement lourds comparés à d'autres pays très développés. Malgré des décennies de déclin économique, il est toujours aussi rare de rencontrer des sans-abri, et le taux de criminalité est resté minime. On détecte même des signes d'espoir alors que le pays du « soleil levant » est confronté à une crise démographique profonde. Le jeune prince Hisahito, héritier du trône impérial, a rencontré des journalistes début mars alors qu'il a eu 18 ans en septembre dernier. En 40 ans, c'est le premier membre mâle de la famille — qui règne depuis plus d'un millénaire sur l'archipel — à atteindre l'âge adulte. Un symbole qui montre que l'atonie démographique des Japonais touche aussi ses dirigeants. Ses 19 ans, en septembre 2025, seront l'occasion d'une cérémonie au palais impérial. Cette même année, la ville d'Osaka accueillera du 13 avril au 13 octobre, l'exposition universelle avec les thèmes : « Concevoir la société du futur, imaginer notre vie de demain ». Si l'année 2024 n'a fait que confirmer l'atonie de l'économie japonaise, les analystes ont été surpris par le rebond constaté au 4e trimestre (+0.7% de croissance alors que Bloomberg n'attendait que 0.3%) grâce essentiellement à une bonne performance du commerce extérieur. Pendant cette même période, le PIB en volume français se repliait (-0.1%). Il n'empêche que la crise de ces 30 dernières années est profonde. De 2000 à 2019, la croissance du PIB américain a été presque 10 fois plus rapide. Si l'on compare le PIB rapporté à la population active, le Japon fait à peine mieux que la France (ou l'Italie et l'Espagne) mais est très loin derrière ses voisins asiatiques. Or, le pays a d'autant plus besoin de croissance économique que les retraités pèsent de plus en plus lourd alors que les jeunes actifs sont de moins en moins nombreux. Les plus de 65 ans sont deux fois plus nombreux que les moins de 15 ans. Et la population active est la moins nombreuse depuis 1973. Difficile de produire quand on manque de bras. Difficile d'améliorer la productivité aussi : l'innovation est directement liée aux cerveaux disponibles. Le taux de brevets déposés par personne active a atteint un pic en 2000 alors que la population active était la plus nombreuse en 1995. Le déclin démographique a un coût abyssal : si le Japon avait maintenu son nombre d'actifs depuis 1997, son PIB serait supérieur de 20% aujourd'hui… L'autre facteur qui explique la stagnation japonaise est que son économie est restée largement subventionnée : des entreprises qui auraient disparu dans un système libéral fondé sur la libre concurrence sont maintenues artificiellement par les banques. Le monde économique japonais est très fermé avec des circuits de financement qui lient grandes banques, responsables politiques et patrons industriels. On constate que le nombre de ces entreprises « zombies » a augmenté de 7% à 30% entre 1990 et 1996. Cette situation perdure, car elle présente des avantages : la stabilité du taux de chômage, le maintien des liens sociaux et de pouvoir. Mais c'est aussi un mal qui ronge l'économie japonaise en empêchant l'émergence de nouvelles entreprises plus innovantes pour remplacer les défaillantes. Malgré une très longue stagnation et des faiblesses profondes, la société japonaise reste soudée. La gestion de l'urbanisme est une grande force du pays permettant d'offrir des logements de bonne qualité à des prix abordables. Exactement ce qui fait défaut dans nombre de pays occidentaux et qui affecte le pouvoir d'achat et le moral des ménages. Parmi les pays de l'OCDE, le Japon a le taux le plus élevé de construction de logements neufs pour le coût le moins élevé (rapporté au revenu moyen). Parce que l'urbanisme est géré au niveau national, sans être soumis à la complexité des gestions locales ni aux multiples contraintes environnementales. Les études d'impact ne sont imposées que pour des projets de grande ampleur (à partir de 75 hectares pour la construction résidentielle). La cohésion culturelle japonaise et son très faible taux de criminalité sont des atouts majeurs. Le coût de la criminalité aux États-Unis est estimé à 5 000 milliards de dollars par an – 18% du PIB ! Le manque d'actifs pourrait inciter à ouvrir les frontières à l'immigration mais le gouvernement s'y refuse. Il scrute la situation à l'étranger : l'immigration massive en Europe de l'Ouest n'a en rien enrayé le déclin économique. Le Japon fait donc face à un défi immense : revitaliser le pays avec des programmes natalistes tout en réformant les structures rigides de son économie qui empêchent l'émergence de talents.
Ludovic Lavaucelle |
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