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vendredi 13 septembre 2024

L'actualité littéraire HEBDO avec BIBLIOBS - Vendredi 13 septembre 2024

 



BibliObs

Vendredi 13 septembre 2024

Un rapport, c’est rarement glamour. Le rapport Meadows, lui, est franchement sinistre. Paru en 1972, c’est un pavé de 300 pages qui, à partir de simulations mathématiques réalisées par ordinateur, annonce l’effondrement inéluctable de nos sociétés industrielles, pour cause de surpollution et de surconsommation des ressources − pour faire vite. Sur le moment, l’ouvrage a apporté un socle scientifique au mouvement écologiste balbutiant, mais avec le triomphe du néolibéralisme, il est tombé dans l’oubli : trop compliqué, trop pessimiste, trop décalé avec l’air du temps. Bref, a priori, le contraire d’une matière romanesque.

Depuis une dizaine d’années, le rapport a été ressorti des placards, pour la bonne raison que, jusqu’à présent, ses prédications se sont révélées fiables. Contre-attente, Abel Quentin, jeune romancier français, a décidé d’en faire la matière d’un roman, paru fin août aux éditions de l’Observatoire. Quel choc pour la petite frange de passionnés d’écologie (dont l’auteur de ces lignes !), c’est comme un vieux grimoire qui deviendrait tendance. A quand l’adaptation avec Julia Roberts et Hugh Grant pour jouer le couple Meadows ?

« Cabane » n’élude le contenu du rapport de 1972. Il en défend au contraire avec brio la dimension prophétique. Mais pour faire un roman, il faut de la pâte humaine. Le récit se focalise sur les quatre auteurs du rapport : quatre scientifiques dont il change les noms et les destins, et auxquels il adjoint un journaliste chargé de retrouver leurs traces cinquante ans plus tard.

Le dispositif n’est pas d’une originalité folle, certains rebondissements ont un air de déjà-vu, les personnages sont stéréotypés : le journaliste est dépressif, le vieil écolo porte un gilet en grosse laine, le PDG mesure l’inanité de sa vie pendant un cocktail… Mais l’affaire est bien menée et, à mesure que l’on pénètre dans la vie des quatre personnages, la tonalité change : le couple Dundée s’est retiré à la campagne, le Français Quillerot s’est enivré d’argent, le Norvégien Gundson a disparu des radars… Des vies à moitié ratées, sombres, crépusculaires.

Quentin, dont le précédent roman (finaliste pour le Goncourt et le Renaudot en 2021) était une sévère satire du wokisme, a une évidente parenté avec Houellebecq. Comme l’auteur des « Particules élémentaires », il évite les belles phrases, esquive les mots rares et joue du même prosaïsme destiné à être au plus près du réel. Et il partage le même pessimisme gras, profond, qui colle aux chaussures et qui, appliqué à l’écologie, peut se résumer à la maxime suivante : nul ne peut annoncer la fin du monde sans perdre la boule. Ce qui ressort de « Cabane », c’est que le rapport est vrai mais que ceux qui l’ont écrit sont ridicules, mesquins, presque dégoûtants. Quand à ceux qui prétendent en tirer les conséquences, ce ne sont que de pauvres naïfs.

Le tour de force littéraire est admirable et le récit se dévore, mais est-on obligé d’être accord ? Abel Quentin s’inscrit dans la tradition des professeurs de désespoir (Debord, RossetMurayHouellebecq) qui, tout en peignant le monde en noir, prennent une pause avantageuse : « l’homme est mauvais, l’homme est fichu, qu’avez-vous donc à répondre à cela, mes jolis ? » Tout réaliste qu’il soit, le romancier se fait à son tour prophète et s’embarque dans des envolées lyriques : « La démesure de Gundson était la réponse à la démesure des temps. Il était fou, alors ? Ce ne serait pas la première fois qu’un fou aurait raison. » On finit par se demander s’il n’aurait pas aimé être Meadows à la place de Meadows, histoire d’annoncer la fin de l’homme et de clore définitivement la question de savoir s’il est bon ou mauvais !

Sauf que la littérature n’est pas là pour trancher sur la nature humaine. Juste pour en montrer la profondeur et la complexité. « Cabane » attrape le lecteur comme un polar, mais lui bourre le mou comme un essai de Philippe Muray. Voilà pourquoi c’est un bon livre, mais pas un grand livre.

Eric Aeschimann

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