Des orages d’orgasmes foudroyants. Des doigts qui courent, explorent, s’aventurent entre les cuisses ou sous une jupe. Une langue que guide l’amante pour atteindre la « perle », le « petit sexe viril ». Des toisons moites et luisantes qui se frôlent, des hanches qui s’enlacent. « Une orgie de dangers » qui rendent encore plus excitants les rendez-vous clandestins que se donnent Isabelle et Thérèse derrière les rideaux de percale, dans le dortoir de leur pensionnat. Ces scènes d’amours lesbiennes d’une sensualité pulsatile et enivrante, datent du mitan des années 1950 et sont signées Violette Leduc, autrice de « La Bâtarde » et pionnière de l’autofiction. Elles sont extraites de son livre « Ravages », mais ont longtemps été censurées, jugées « obscènes » par les messieurs, dont Raymond Queneau, siégeant au comité de lecture des éditions Gallimard. Une mutilation de plus de cent cinquante pages.
Le roman, qui était le « préféré » de l’écrivaine, récit de formation et d’éducation sentimentale autant que sexuelle, fut également expurgé de passages relatant une fellation forcée dans un taxi − « Il m’a empêchée de refermer la bouche, il a plongé dedans son arme » −, et d’autres décrivant des tentatives manquées d’avortements, considérés par les honorables membres du comité de lecture comme du « mauvais Sartre », ainsi qu’il le fut signalé à Simone de Beauvoir, amie et protectrice de Violette Leduc. « J’ai l’impression que ça les blesse directement en tant que mâles », commentera l’autrice du « Deuxième sexe ». « Ravages » lui est dédié.
Le livre parut finalement en 1955, amputé de pages essentielles, à commencer par celles sur la relation adolescente et incandescente entre Thérèse, la narratrice et double de Leduc, et Isabelle, pourtant matrice essentielle de l’ensemble. Violette Leduc ne se remit jamais vraiment de cette atteinte à l’intégrité de son texte. Pour elle, il s’agissait ni plus ni moins que d’un « assassinat ».
Voilà l’outrage enfin réparé. A l’initiative de Margaux Gallimard, qui dirige la collection « L’Imaginaire », « Ravages » paraît ces jours-ci dans une « version rassemblée », « la plus fidèle possible aux volontés de l’autrice », avec deux belles préfaces, l’une signée de la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, l’autre par l’écrivaine Mathilde Forget. Les passages victimes d’une censure assurément misogyne et patriarcale ont été réintégrés, signalés par une encre violette. Et c’est, comme l’écrit Camille Froidevaux-Metterie, « l’un des plus beaux textes jamais écrit sur le plaisir des femmes » qui nous parvient aujourd’hui.
Elisabeth Philippe
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