Internet n'a pas de frontières et les abus envers les mineurs, notamment la pornographie infantile, non plus. Pour cette raison, si les pays européens veulent éviter la diffusion de ces crimes, ils ont besoin d'une stratégie européenne, avec des règles claires et applicables. Le défi est immense. En 2021, 85 millions d'images et de vidéos de pornographie et d'abus infantiles ont été signalées par les entreprises de l'Internet. Le National Center for Missing & Exploited Children des États-Unis, en 2022, a reçu 30 millions de signalements de ce type d'abus, dont plus d'un million provenaient de pays de l'Union européenne. Et selon les experts, ces chiffres sont partiels.
Pour relever ce défi, la Commission européenne propose une nouvelle législation avec trois objectifs : aider les pays de l'UE à détecter et signaler les abus sexuels commis contre des enfants en ligne ; prévenir les abus sexuels commis contre des enfants ; soutenir les victimes. La législation en cours de discussion en Europe obligerait les fournisseurs de services à signaler les abus sexuels commis contre des enfants en ligne via leurs plateformes et à alerter les autorités afin que les prédateurs sexuels puissent être traduits en justice. Les fournisseurs seraient également tenus de signaler les cas de manipulation psychologique, une pratique par laquelle les prédateurs sexuels tissent une relation et un lien émotionnel avec des enfants et gagnent leur confiance afin de pouvoir les manipuler, les exploiter et les agresser.
La nouvelle législation européenne prévoit explicitement que les entreprises de services en ligne prennent des mesures pour évaluer l'âge des utilisateurs et identifier ceux qui sont mineurs. Cela devrait empêcher les mineurs d'accéder aux pages web réservées au public adulte. Mais est-il possible de faire cette vérification sans violer la vie privée ? Oui, expliquent des experts consultés par la Commission Européenne, grâce au système de « double anonymat », semblable à celui utilisé dans les opérations bancaires, qui impliquerait également la participation d'une autorité externe, active dans les pays européens, pour vérifier les données personnelles sans les enregistrer ni les conserver.
Cette proposition a deux grands opposants : les plateformes technologiques et les associations en faveur du respect de la vie privée des personnes. Des militants du droit à la vie privée sont très critiques à l'égard du projet de la Commission. Le nouveau règlement impliquerait la surveillance des contenus cryptés. Le cryptage de bout en bout permet normalement uniquement à l'expéditeur et au lecteur d''accéder au contenu de leur communication. Les entreprises technologiques, notamment Meta - la société mère de Facebook - et Apple, résistent depuis des années à la demande des autorités de créer dans leur services des "backdoors" (portes arrières) qui permettraient aux services étatiques d'accéder aux contenus échangés à l'insu de l'utilisateur. La nouvelle législation affecterait aussi à des plateformes comme TikTok, Tinder, Telegram, Signal, Viber, etc. C'est-à-dire, toutes les plateformes où les utilisateurs peuvent communiquer avec un chat et qui peuvent être utilisées pour la diffusion de matériel pornographique infantile.
Patrick Breyer, député européen allemand et militant des droits civiques, membre du Parti Pirate, a qualifié la loi de « plan de surveillance de masse » et d' « attaque d'espionnage de nos messages privés et de nos photos par des algorithmes sujets aux erreurs »,et a parlé d' « un pas de géant vers un État de surveillance à la chinoise ». Selon Breyer, « avec son projet de mettre fin au chiffrement sécurisé, la Commission met en péril la sécurité globale de nos communications privées et de nos réseaux publics, les secrets commerciaux et les secrets d'État pour satisfaire des désirs de surveillance à court terme. Ouvrir la porte aux services de renseignement étrangers et aux pirates informatiques est totalement irresponsable ».
L'Union Européenne a besoin d'une nouvelle législation, car la législation actuelle n'a que quelques mois à vivre. Représentants de la Commission Européenne affirme que l'objectif est d'élaborer une législation équilibrée qui protège les droits fondamentaux des enfants, ainsi que les droits à la vie privée. L'objectif est d'adopter la nouvelle législation avant la fin de la législature actuelle, au printemps de l'année prochaine. Les droites et les conservateurs sont déterminés à approuver la législation. Les socialistes et les démocrates sont plus divisés, bien que paradoxalement la proposition vient de la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, qui est socialiste. Mystères de la politique en Europe, mais l'horloge continue de tourner et il reste de moins en moins de temps pour que l'Europe adopte une législation capable de défendre ses enfants.
Jesus Colina
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