Dring dring, c’est la fin de la récré. Désolée de vous ramener à la grisaille du métro-boulot-dodo, à la rentrée des classes, à la machine à café, aux polémiques sur l’abaya. Désolée de vous demander de mettre de côté les couchers de soleil, les plages de sable fin, les eaux cristallines, les barbecues, les parties de pétanque et les moustiques tigres. Désolée de vous parler d’une destination paradisiaque, d’un lieu de vacances rêvé à vrai dire : l’île Maurice. Car ce n’est pas sur ses fabuleux lagons, ses jardins de corail ou ses forêts tropicales que l’on se penche aujourd’hui, mais sur son histoire complexe et parfois douloureuse.
Nathacha Appanah et Ananda Devi, toutes deux nées à Maurice dans des familles d’origine indienne, évoquent ce pays qui fut une colonie française pendant un siècle dans leurs livres tout juste parus. Nathacha Appanah s’intéresse plutôt au passé. Dans le récit poignant « La mémoire délavée » (Mercure de France), elle remonte l’histoire de ses aïeux, des coolies venus d’Inde pour remplacer les esclaves noirs affranchis dans les champs de cannes à sucre. Dans « Le Jour des caméléons » (Grasset), roman aux allures de fable, Ananda Devi imagine l’avenir, sombre. Et donne une voix à cette île volcanique, exsangue devant la catastrophe écologique et sociale.
Dans un dialogue publié ce jeudi dans les pages de « l’Obs », les deux écrivaines, d’une génération d’écart, qui se connaissent et s’estiment, échangent autour de l’identité et de la mémoire. Comment rendre compte de l’histoire d’un pays ? Comment parler au nom d’un peuple ? Est-ce seulement possible ? A quelle place se situer ? Comment histoire collective et histoire intime se rencontrent-elles ? Des problématiques très actuelles à l’heure des débats pour savoir si un auteur peut écrire sur une autre communauté que la sienne.
Du reste, Nathacha Appanah et Ananda Devi ne sont pas les seules à s’interroger sur l’impact du déplacement, du métissage et de la colonisation sur la psyché humaine. On pourrait citer le très fort « Portrait huaco » de Gabriela Wiener (Métailié), dont il serait dommage qu’il passe sous les radars. La romancière péruvienne explore la figure de son arrière-arrière-grand-père, Charles Wiener, un archéologue et explorateur du XIXe siècle qui a pillé le Pérou en artefacts et fait un enfant à une femme, abandonnant derrière lui une lignée de Wiener péruviens. Le livre s’ouvre une scène hallucinante au musée du Quai-Branly, à Paris, dans laquelle Gabriela Wiener fulmine devant « ces statuettes qui [lui] ressemblent » et qui « ont été arrachées au patrimoine culturel de [son] pays par un homme dont [elle] porte le nom ». Des histoires venues d’horizon lointains, qui semblent toutes transiter par la France en cette rentrée.
Amandine Schmitt
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