Qui fait souffrir les classes populaires ?
Il paraît que les mêmes responsables politiques qui, jour après jour, mènent une politique qui écrase les classes populaires, voudraient en cette rentrée s’en soucier. C’est évidemment une farce. Leurs discours vont sans doute être parsemés du mot, pour mieux continuer à transférer une part toujours plus grande des richesses produites par les classes populaires vers les rapaces du capitalisme industriel et financier. C’est le sens des orientations du projet de budget de la nation pour l’année prochaine. Les souffrances sociales ne se sont pas évanouies avec l’été. Loin de là. 40 % des familles populaires n’ont pas pu partir en vacances. Des centaines de milliers d’autres ont raccourci leur durée de séjour hors de chez elles. Fait inédit, plusieurs associations d’aide alimentaire n’ont déjà plus de stocks. La rentrée est celle de toutes les hausses de prix, que ce soit pour manger, s’habiller, se déplacer, se chauffer. La gratuité de l’école est devenue un mirage quand la rentrée scolaire pèse toujours plus lourd dans le budget des familles. Des professions entières s’interrogent sur le sens de leur métier, de leur travail, sur le sens des efforts qu’exige d’elles le système. Les infirmières qui accordent tant de leur temps et de tendresse au bénéfice de notre santé se détournent de leurs fonctions devenues aussi dures que peu reconnues. Les enseignants – les plus mal payés des pays de l’OCDE - assistent médusés à la prise de contrôle du ministère de l’Éducation nationale par le président de la République qui décoche directive sur directive pour intensifier encore leur travail – sans aucune reconnaissance supplémentaire, et mettre l’école au service des besoins du capitalisme industriel.
Les fortes chaleurs, liées aux bouleversements climatiques, causent plus de mal aux plus humbles, contraints de vivre dans des logements si peu isolés, et aux travailleurs de première ligne, qu’ils soient urbains ou ruraux. Dans les quartiers populaires comme à la campagne, l’asphyxie des services publics ou leur éloignement organisé aggravent encore toutes les insécurités sociales et, au-delà, toutes les insécurités humaines. L’augmentation des taux d’intérêt des prêts freine la construction de logements, met à mal la vie des petites entreprises, des collectivités locales et des familles qui doivent changer de voiture, d’appareils ménagers ou qui cherchent à accéder à la propriété de leur logement.
Et après avoir imposé le recul de l’âge de départ à la retraite à des travailleurs exténués, puis la compression des allocations chômage, voici que le pouvoir veut réduire le niveau de remboursement des médicaments et augmenter un certain nombre de prélèvements indirects. En laissant filer les prix, il remplit les caisses de l’État vidées par les cadeaux aux puissances industrielles et financières, puisque les impôts indirects comme la TVA ou les taxes sur l’énergie augmentent en proportion.
Ainsi, chaque année depuis 2017, les grandes entreprises et les grandes fortunes ont bénéficié de 100 milliards d’euros en réduction d’impôts. Six cents milliards d’euros de cadeaux en six ans, donc. Ceci au nom de la fumeuse théorie du « ruissellement », censée contribuer au redressement de l’économie. Et le pouvoir, par les voix de l’Élysée et du ministère des Finances, continue de clamer que la « croissance française est solide et supérieure » à celle des autres pays européens. Certes, la croissance des profits ne connaît pas de saison, mais le « ruissellement » annoncé s’est transformé en un assèchement du pouvoir d’achat des familles populaires. Seize millions de nos concitoyens terminent chaque mois sans le sou alors que le dogme de la baisse des impôts pour les plus fortunés et le grand capital est à la fois une injustice et un funeste mensonge. Cela n’a favorisé ni l’investissement, ni la productivité, ni la croissance. Les marchés financiers ne s’en accommodent plus. Ils ont une nouvelle fois montré leur violence lorsqu’ils ont débarqué en quelques jours celle qui avait succédé à Boris Johnson au poste de Premier ministre du Royaume-Uni, Mme Liz Truss, pour s’être rendue coupable de vouloir amplifier cette politique de baisse des impôts.
Curieux renversement de tendance marquant une nouvelle adaptation du capitalisme à ses propres contradictions. Que se passe-t-il ? Les institutions financières qui font fonctionner les marchés financiers, détenteurs notamment des dettes des États, commencent à percevoir que les cadeaux au grand capital et aux fortunes conduisent à affaiblir les recettes des budgets des États au point de moins bien garantir leur solvabilité, et ce du fait de l’augmentation des taux d’intérêt qu’ils ont eux-mêmes réclamée. Le niveau des taux d’intérêt de la dette devient l’un des principaux postes de dépense de l’État, constituant ainsi, une rente pour les marchés financiers. Les fonds financiers veulent à la fois sécuriser leurs remboursements et utiliser cet argument pour augmenter encore les taux d’intérêt sur la dette. Ces derniers augmentent depuis des mois sur décision des banques centrales. La théorie du « ruissellement » s’avérant inefficace pour la croissance et la productivité, du point de vue capitaliste, les marchés financiers s’inquiètent de la dégradation du rapport existant entre dette publique – dont une partie importante est causée par le soutien au capital – et richesse produite. Avec l’augmentation des taux d’intérêt, les institutions financières et bancaires, et les assurances tiennent à ce que leur rente soit garantie.
On assiste ainsi, depuis quelques jours, à un conflit interne au capitalisme : le grand capital industriel insiste pour que les « impôts de production » continuent d’être abaissés. Les rapaces de la finance qui veulent s’assurer leur ponction sur la dette freinent depuis plusieurs mois ces tendances. Le pouvoir macroniste compose, donc comme on vient de le voir avec le discours de Mme Borne au MEDEF. Et, il compose au détriment des travailleurs et des classes populaires. D’un côté, il s’engage à continuer de diminuer les impôts sur le capital, mais en les étalant dans le temps tout en continuant à subventionner de grandes entreprises, notamment dans le secteur de l’armement. De l’autre, il rassure les détenteurs de dettes publiques, c’est-à-dire les institutions financières, en engageant un nouveau programme de réduction des déficits publics.
Cette stratégie, très loin de remédier aux difficultés des classes populaires, est au cœur du budget de la nation en préparation. C’est prétendument au nom de l’écologie que certains secteurs seront légèrement mis à contribution pour environ 600 millions d’euros au total. D’autres seront aidés. Mais l’essentiel est constitué par une brutale diminution des « dépenses dans les services publics » et la Sécurité sociale pour une valeur de 15 milliards d’euros. Nous devrions dire, pour être exacts, « le désinvestissement dans les services publics et dans la garantie d’une sécurité sociale ». C’est ce qui explique la volonté de diminuer encore les remboursements de médicaments, l’augmentation des impôts indirects (dont la fin de la détaxation du fuel agricole et les impôts locaux), les modifications de structure de l’Éducation nationale, les refus d’engager les moyens nécessaires pour l’hôpital, le peu d’engagements avec la SNCF et la RATP pour diminuer les prix des transports, le laisser-faire des prix de l’électricité qui risquent encore d’augmenter après la hausse de 10 % que les familles populaires subissent depuis un mois.
Pour rassurer les marchés financiers, c’est donc le monde du travail, la santé de toutes et tous, les agents publics d’État, des collectivités et des hôpitaux, les chômeurs et les retraités qui vont payer cher. Très cher. Tout ceci est camouflé depuis des semaines derrière des écrans de fumigène brun, servant à alimenter polémique sur polémique et empêcher l’expression par les classes populaires de leurs exigences de vie meilleure.
Il est urgent de mettre sur le tapis la question de l’augmentation des salaires et des prestations sociales et un projet de révolution fiscale pour la justice et l’efficacité économiques, la nationalisation des banques, visant une autre utilisation du crédit pour le développement humain et une transition écologique créatrice d’emploi, tout en portant à l'ordre du jour des débats politiques la question d’une autre répartition des richesses – mais, au-delà de celle de la souveraineté des travailleurs, sur le sens du travail et sur l'utilisation sociale des richesses qu’ils produisent. Les travailleurs, les créateurs comme les retraités ont un grand intérêt à ce que la journée unitaire intersyndicale du 13 octobre soit une réussite. C’est la condition pour modifier le rapport des forces.
Les politiciens de droite et d’extrême droite, inscrits sur la liste de la course à l’Élysée, qui parlent de « classes populaires » sans remettre en cause le système, leur préparent un sale coup. Servir les classes populaires implique de lancer des initiatives populaires et unitaires pour préparer un « post-capitalisme ».
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