Ces derniers jours ont été marqués par des signaux contradictoires en ce qui concerne la guerre en Ukraine. D'une part, la Russie affirme que la ville de Bakhmout est finalement tombée aux mains du groupe Wagner, tandis que d'autre part, la décision de l'Occident de fournir à l'Ukraine des avions de combat F-16 et les incursions surprenantes de rebelles russes pro-ukrainiens dans la région de Belgorod en Russie ont suscité de nombreux commentaires. Beaucoup y ont vu un signe des faiblesses internes de la Fédération de Russie et le prélude possible à d'autres actions contre le régime de Vladimir Poutine, notamment de la part de groupes armés ; on note également un changement de ton dans les médias officiels russes, visiblement inquiétés par les derniers développements.
Le 22 mai, le patron du groupe Wagner, Evguéni Prigojine, avait dit que le contrôle de Bakhmout serait désormais transféré à l'armée régulière russe suite à la prise de la ville, les forces Wagner se retirant avant le 1er juin. Il s'est toutefois montré très acerbe à l'égard des opérations militaires dans une interview vidéo (truffée de jurons) publiée le 24 mai, affirmant que l'assaut à Bakhmout a coûté la vie à 20 000 soldats russes (dont 50% des prisonniers recrutés par Wagner). Il a répété ses accusations d'incompétence à l'encontre des dirigeants militaires russes Sergueï Choïgou et Valéri Guerassimov : pour Prigojine, la Russie a échoué dramatiquement dans sa tentative de « démilitariser l'Ukraine », n'aboutissant qu'à la transformation des forces ukrainiennes en armée performante. Il a évoqué l'effondrement possible de la Russie dans un scénario de révolution, comme en 1917, ou de guerre civile – scénario déclenché par un soulèvement des soldats rentrant sur le sol russe et de leurs proches. Prigojine a plaidé en faveur de la loi martiale, affirmant que « la Russie a besoin d'imiter la Corée du Nord pendant un certain nombre d'années. »
Quant aux incursions de deux milices russes anti-Poutine, la Légion « Liberté de la Russie » et le Corps des volontaires russes, dans la région de Belgorod, près de la frontière ukrainienne, elles sont généralement considérées comme ayant peu d'importance militaire. Leur impact psychologique a par contre été considérable, montrant la vulnérabilité de la zone frontalière et confirmant les craintes de Prigojine par rapport à une perte de maîtrise de la situation de la part de Moscou. Bien que Kiev nie toute responsabilité directe pour leurs actions, il semble évident que les deux groupes opèrent sous la supervision des services de renseignement ukrainiens depuis un certain temps. Le Corps des volontaires russes est une organisation d'extrême droite, tandis que la Légion « Liberté de la Russie » est composée essentiellement de déserteurs de l'armée russe dont l'objectif déclaré est de chasser Vladimir Poutine du pouvoir. L'ex-député russe Ilya Ponomarev (le seul membre de la Douma à s'être opposé à l'annexion de la Crimée en 2014, qui vit aujourd'hui en Ukraine) se positionne comme leur porte-parole politique. Ponomarev soutient également les activités de l'Armée nationale républicaine, dont l'existence réelle est débattue par les spécialistes, mais qui a revendiqué les assassinats de Daria Douguina (fille du philosophe nationaliste russe Alexandre Douguine) et de Vladlen Tatarski (vrai nom Maxim Fomin), un blogueur militaire lié avec Prigojine, tué dans un café de Saint-Pétersbourg le 2 avril dernier.
Ponomarev est par ailleurs actif au sein du « Forum des nations libres de la post-Russie » qui regroupe des mouvements sécessionistes au sein de la Fédération Russe. Suite à une réunion au Parlement européen en janvier 2023, des participants au Forum ont organisé un « Référendum national en ligne sur l'autodétermination des républiques nationales » auquel ont participé 5,6 millions de personnes, malgré les efforts de la censure gouvernementale pour bloquer les référendums en ligne. Les résultats indiquent une forte tendance séparatiste dans plusieurs régions, en particulier dans l'enclave de Kaliningrad (72% en faveur de l'indépendance) sur la mer Baltique. La ville de Kaliningrad a également fait parler d'elle récemment en raison de l'irritation du Kremlin face à la décision des États voisins (Pologne, Lettonie, Lituanie) de la désigner par des noms utilisés avant son incorporation à l'URSS en 1945. Ils sont rejoints à ce sujet dans la ville elle-même par le Parti républicain balte de Rustam Vasiliew, qui a récemment déclaré au quotidien britannique Daily Express que la rupture de l'enclave avec Moscou n'était « qu'une question de temps ». Le titre de l’article, « La Russie face à un cauchemar alors que les séparatistes de Kaliningrad déclarent que la rupture avec Moscou est inévitable », est sans doute exagéré et prématuré. L’exemple de Kaliningrad est néanmoins cohérent avec l’idée que, surtout en l'absence de succès en Ukraine, Vladimir Poutine pourrait bien se trouver confronté à des défis intérieurs de plus en plus sérieux. Des défis qui pourraient éventuellement le pousser à prendre des mesures radicales.
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