Il y a des chiffres qui, comme ça, vus de loin, ne vous parlent pas vraiment. J’avais dû l’entendre, le lire, y compris sur les murs, affichés par des militantes : en France, 99 % des plaintes pour viol ne donnent lieu à aucune condamnation. L’autre jour, comme je rentrais en métro de mon cours de sport en compagnie d’une copine, elle m’a reparlé du viol qu’elle a subi cet été. Une confidence faite sous le coup de l’émotion, en septembre, quand je discutais avec elle de l’enquête et la couverture que « l’Obs » consacrait alors
à l’affaire PPDA.
Un peu pâle, elle m’avait raconté l’agression qui venait de bouleverser sa vie, me disant « moi aussi, j’ai été violée ». Un flirt rencontré quelques mois plus tôt et avec qui elle avait accepté de partir en vacances, chacun dans sa chambre d’hôtel, avait glissé une drogue dans une boisson pour abuser d’elle, elle a fait analyser ses cheveux pour le vérifier. Toujours sous le choc, malgré les psychothérapies, le soutien d’associations, d’amis, elle m’a expliqué avec amertume : « Je ne sais toujours pas si je vais porter plainte. On m’a prévenue que j’ai moins d’1 % de chance qu’il soit condamné, que la procédure peut durer quatre ou cinq ans. J’ai peur de passer tout ce temps avec ça en tête, à quoi bon ? Dépenser encore de l’argent en avocat, en thérapies en espérant qu’on va finir par guérir, par surmonter sa peur, c’est la seule alternative quand on a été violée ! » Que répondre à sa peine, à sa colère ? Je l’ai encouragée à porter plainte, malgré tout, parce qu’il faut quand même essayer et je lui ai proposé de raconter son histoire sur le site de « l’Obs », ne trouvant à lui dire que : « Ce sera déjà ça ». Elle m’a répondu : « Oui, ça sera déjà ça ».
Nous autres Français, très fiers de notre Révolution, aimons à nous présenter comme le pays des droits de l’Homme, voire celui des droits de la femme face à des nations où celles-ci sont violentées, opprimées dans leurs droits les plus vitaux, les plus essentiels, comme l’Iran ou l’Afghanistan. Mais depuis notre Code Napoléon, les femmes sont par principe regardées comme des menteuses, comme nous l’expliquait la sociologue
Irène Théry. Et pour 99 % de celles qui portent plainte pour viol, c’est d’une certaine façon, ce que leur répond notre système judiciaire.
Et dans « Migrations », un remarquable essai dont la chronique sera publiée ce week-end sur Bibli
Obs, la journaliste américaine Sonia Shah nous raconte comment, à la même époque que le Code Napoléon, nos révérés philosophes et savants des Lumières ont inventé la notion de races inférieures, les femmes se situant évidemment en bas du bas de l’échelle. Durant plus d’un siècle, naturalistes et médecins se sont acharnés à dénicher une particularité physiologique propre aux Africains et plus encore aux Africaines. En 1739, l’Académie royale des sciences de Bordeaux offrait ainsi un prix à celui qui trouverait
« la cause physique de la couleur des nègres, de la nature de leurs cheveux et de leur dégénérescence ». Et les scientifiques se sont s’enflammés pour le
sinus pudoris, une difformité génitale prétendument propre aux femmes noires, preuve selon eux de leur animalité, faisant d’elles des êtres d’une autre essence, que l’on peut donc sans remords réduire en esclavage, vendre comme un meuble, violer ou encore laisser se noyer dans la mer. Aujourd’hui encore, lorsque Michel et Michel échangent paresseusement leurs pensées les plus crasses, dans un
grand relâchement – savamment étrillé sur Bibli
Obs par Julie Clarini et Xavier de La Porte −, c’est encore ce même inconscient machiste, raciste et imbu de lui-même propre au mythe de « l’Occidental » qui parle ou, si l’on préfère, éructe, en toute bonne conscience.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire