La biodiversité pour la survie de notre humanité commune Pendant que les écrans de télévision attiraient les yeux de milliards d’habitants de notre planète exclusivement vers la Coupe du monde de football, se déroulait dans l’indifférence, sans publicité, un événement d’une considérable importance à Montréal : la 15e conférence de la convention sur la biodiversité biologique dite COP15. Cet enjeu, bien trop négligé, a pourtant à voir avec la qualité de l’oxygène que nous respirons grâce à la photosynthèse des plantes, avec l’eau que nous buvons, la production de notre nourriture, une partie grâce au minutieux travail de pollinisation des abeilles, l’autre grâce à l’activité incessante des vers de terre qui améliorent les sols, la séquestration du carbone dans le bois, les océans, les sols et sous-sol, la régulation du climat. Des enjeux essentiels pour la vie donc !
Le rapport préparatoire à cette conférence n’a pas caché les problématiques : 75 % des milieux terrestres et 66% des milieux marins sont, selon ce document très documenté, « sévèrement altéré » par les activités humaines.
Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies alors que durant les cinquante dernières années les effectifs de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont diminué d’un tiers. La vitesse actuelle de réduction des espèces est telle, que l’on parle d’une sixième extinction massive, comparable à celle qui avait entraîné la disparition des dinosaures, il y a… 66 millions d’années.
En cause ? L’artificialisation des sols, les pollutions et dégradation des milieux naturels ; la surexploitation des ressources naturelles renouvelables, la pêche industrielle, la chimisation et l’industrialisation de la production agricole, les dérèglements climatiques, la destruction d’animaux sauvages.
La trop grande indifférence humaine envers la biodiversité fait naître un double risque : l’extinction des espèces animales et végétales et la prolifération de nouveaux virus comme ceux responsables du Covid, d’Ebola ou de la grippe aviaire.
La conférence de Montréal se devait donc de prendre en urgence des dispositions de protection et d’amélioration de la biodiversité. Ella a émis avec insistance un certain nombre d’orientations indispensables, positives pour les États qui voudront bien les mettre en œuvre : la protection de 30% des aires marines, côtières, terrestres et d’eaux douces et la restauration « d’au moins 30% » des aires dégradées d’ici 2030 ; la réduction de l’utilisation de produits néfastes à l’environnement, la réorientation des aides à l’agriculture afin de favoriser la biodiversité, une aide bien modeste pour les pays du Sud afin de financer les projets dédiés au vivant.
Cet accord est donc bienvenu. Il convient une nouvelle fois de noter qu’il n’y a pas de solution à la protection et l’amélioration de la biodiversité sans discussion et décisions dans un cadre mondial, loin de toutes tentations souverainistes. En clair : l’oiseau migrateur sentinelle de la biodiversité ne connaît pas de frontières. Il ne servirait à rien de le protéger dans un pays, s’il ne l’était pas ailleurs, là où il migre et se reproduit une partie de l’année. C’est donc un nouveau type de coopérations internationales, loin des principes de concurrence ou de l’esprit des traités de libre-échange qui est à l’ordre du jour pour assurer la sécurité humaine et celle de l’environnement.
Le raisonnement est le même à propos de l’eau, de l’air ou des insectes.
La protection, l’amélioration, la restauration de la nature nous obligent à considérer d’abord sa haute « valeur d’usage », son statut de bien commun nécessitant de lui laisser ses capacités de reproduction à l’opposé de son exploitation renforcée ou une utilisation conduisant à l’affaiblir ou à la détruire.
On ne peut donc apporter de solutions convenables à ces défis en continuant de considérer la nature comme une variable d’ajustement de l’économie marchande capitaliste. Or, tel est le point faible de la conférence de Montréal. Il n’est encadré d’aucun calendrier précis, ni d’aucune contrainte à la demande des États et des grandes sociétés transnationales.
Ainsi des objectifs généraux, positifs, peuvent n’être que des mots dès lors qu’ils n’ont pas ou peu d’implications concrètes. Il en est d’ailleurs de même de notre charte nationale pour l’environnement qui prescrit de « concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement avec le développement économique et le progrès social ».
En réalité, c’est toujours le primat des impératifs économiques de rentabilité capitaliste sur les enjeux écologiques. L’intérêt des grandes multinationales de la chimie est de vendre des pesticides et des insecticides, celui des chaînes de supermarché est de développer la pêche industrielle. La pression sur les prix agricoles à la production a éliminé les petits paysans et favorisé une agriculture industrielle. La destruction de la forêt amazonienne est pour une large part le résultat des traités de libre-échange et de la mise en concurrence des paysanneries du monde entier.
Tous les États et l’Union européenne devraient à la suite de cette conférence délibérer et inscrire dans tous leurs textes un principe de non-régression écologique et social. À défaut, le texte de la conférence sera interprété pour obtenir le statu quo, alors qu’il y a urgence. Ainsi, si dans son esprit le texte demande en apparence la réduction des pesticides, les mots qui l’accompagnent sont plus vagues : « réduire le risque des pesticides et des produits hautement dangereux de 50% » ne veut pas dire réduire de moitié l’utilisation de ces produits chimiques destructeurs des insectes, des sols tout en étant néfaste pour la santé.
De même l’avancée que constitue la protection d’un tiers des aires terrestres, marines, côtières ne comporte aucune déclinaison pour aucun pays. Enfin il convient de lier plus et mieux, bouleversements climatiques, menaces sur la biodiversité, progrès social et appropriations sociales et citoyennes de grandes entreprises afin de pouvoir piloter la transformation écologique et sociale des modes de production et de distribution.
Elle ne sera possible que par une maîtrise citoyenne de la production par les travailleurs eux-mêmes. De même une nouvelle politique agricole et alimentaire ne se fera que si les paysans-travailleurs en lien avec les consommateurs en sont les maîtres. Autant de conditions pour « démarchandiser » la nature et de réussir l’indispensable bifurcation écologique et sociale. Les modifications climatiques sont facteurs de perte de biodiversité. En retour, protéger et restaurer la biodiversité est une solution pour contrer le réchauffement, car elle est un atout pour réduire l’émission de gaz à effet de serre.
Déjà une multitude d’associations, d’organisations d’intérêt public – dont il conviendrait de se rapprocher – militent en ce sens quand ils agissent pour les circuits courts, la défense de la pêche raisonnée et durable, la protection des zones humides essentielles à la préservation de la biodiversité, une gestion collective des forêts comme puit de carbone, contre l’artificialisation des sols, pour augmenter les moyens affectés à la recherche, pour la réorientation des aides publiques à l’agriculture vers des pratiques agro-écologiques.
Des modifications législatives et constitutionnelles vont aussi être indispensables pour faire valoir un principe de non-régression écologique et pour un contrôle des impacts sur la biodiversité de tout acte gouvernemental ou législatif. La survie de l’humanité est liée à celle des espèces végétales et animales trop négligées. Puissent les conclusions de cette conférence mondiale sur la biodiversité faire prendre conscience de la situation de notre commun monde et de ses biens communs dont la préservation est antinomique avec la loi de l’argent et appelle à s’engager sur les voies du post-capitalisme.
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