Petite chronique du dernier jour d’avril de l’an de très très grande décrépitude vingt deux.
Où il est question de privilèges..et d’une perpétuelle déconvenue.
On ne parlait plus que des panties et caracos ainsi que des petits soupers fins de la duchesse de la Boustée du Bonnet. On se jetait sur la gazette de Monsieur Plenus Mustachus pour en apprendre davantage. Il apparut ainsi que la duchesse avait du se rendre chez plusieurs prêteurs sur gages pour contracter des prêts et rembourser ainsi sa dette. Cette duchesse était fort représentative de la Faction de la Marche. Ne point avoir une rutilante batterie de cuisine à exhiber était une faute de goût en Starteupnéchionne, et il en irait de même en Quètecheupnéchionne. La probité était hautement exigée du vulgaire, lequel était invariablement soupçonné de vouloir tricher, mentir et voler, ou pire encore de vouloir vivre aux dépens de l’État. Mais lorsqu’on était duc, duchesse, baron ou baronne, en cela qu’on avait hérité par les Tournois d’une charge qui conférait ce titre de noblesse, on pouvait jouir de tous les privilèges. Les Riens et les Riennes étaient profondément affectés par les mœurs de cette cour. Le dégoût courait tel un mal dans tout le pays.
La gazette de Monsieur Plénus eut vent de la mésaventure d’un maître d’une moyenne eschole dans la bonne région de l’Alsace. Ce brave hussard de la vieille République avait vu débarquer dans sa classe au milieu de ses bambins un Grand Inquisiteur Rectal, dépêché sur ordre exprès de la Reine-Qu-On-Sort. La chose ne laissa que d’étonner. Il était certes de coutume que les maitres et maitresses se fissent inspecter par le fondement afin que l’on vérifiât que leurs pratiques étaient conformes à l’évangile édictée par monseigneur de la Blanche-Equerre, en sa qualité de Chambellan à l’Instruction. Mais Dame Bireguitte, quoiqu’elle eût été maîtresse chez les Bons-Pères – chacun savait que c’était à cette occasion que s’étaient nouées les amours de Nos Extraterrestres Altesses- n’avait point de rôle officiel dans la menée des affaires du royaume. Cependant, une famille s’étant plainte de ce maitre des escholes auprès de la maison de la Reine, cette dernière avait aussitôt mandé que ce gueux fût châtié s’il apparaissait qu’il avait fauté. La Reine-Qu-On-Sort avait doncques régné tout autant que son époux, ayant reçu pour ce faire une rente fort confortable. Il fallait ajouter à cela les frais non point de bouche – elle se contentait de picorer quelques grains de riz - mais de garde-robe, laquelle était considérable. Ne l’avait-on point vue, au soir du triomphe, sanglée dans une fort courte redingote bleue, ses jambes prises dans de longues braies de la même couleur ? La ressemblance avec une créature venue tout droit de la planète Mars avait sauté aux yeux de beaucoup et l’on s’était fortement gaussé dans les chaumières.
Notre Courroucé Morveux était pour sa part fort marri de ce que le duc du Havre, monseigneur de la Flippe – qu’il avait harassé tant et plus durant quatre années quand il était son Premier Grand Chambellan – entendait présenter des champions sous ses propres couleurs au Tournoi de la Chambre Basse. « Aucun duché ni baronnie pour la Faction de l’Horizon, tempêta Sa Venimeuse Ingratitude, ce duc de la Flippe est un con, il me doit tout, il a l’outrecuidance de penser que nous sommes égaux, il a dû fumer les vapeurs du port du Havre ! ». Les Conseillers tout tremblants se mirent en demeure de faire savoir au duc ce qu’on pensait de lui au Château. Cette appréciation fort peu amène eut sur le duc un formidable effet : les mites très industrieuses qui avaient oeuvré dans sa barbe estimèrent que leur ouvrage était fini. La barbe du duc de la Flippe était devenue d'un blanc neigeux, celui de la probité.
Ainsi en allait-il en Quètecheupenéchionne au septième jour du nouveau règne de Notre Irascible Freluquet. Le bon baron du Cachesex tournait en rond, époussetant sans cesse les meubles dans son cabinet, attendant fiévreusement son successeur, mais, las, personne ne venait. Le Roy avait songé à moult grands personnages, mais tous avaient décliné. Ils n’avaient point voulu se travestir en femme, car telle était la condition exigée par le prince. Un seul se fût volontiers prêté à tous les caprices impériaux, c’était le sieur Manolo de la Valse. Il eût rampé jusqu’à Séville et retour, il eût léché les chausses du Roy, et plus encore, pour obtenir un maroquin. Ce triste sire déversait son fiel du matin jusques au soir sur Gracchus Melenchonus, qu’il craignait de voir devenir, à l’issue du Tournoi de la Chambre Basse, le nouveau Premier Grand Chambellan. Où irait-il demander asile ? Manolo estimait en son for intérieur que sa place était d’être dans la Faction de la Marche, à l’instar du duc d’Anfer, du Chevalier d’Alanver, du jeune et fat duc de l’Attelle, du duc du Sot, et d’une foultitude d’autres ducs et barons, tous anciens partisans de la Faction de la Rose. Pourquoi Sa Malveillante Mesquinerie continuait-Elle à dédaigner ses services ? Manolo s’y entendait mieux que quiconque pour ce qui était de faire tirer le Quaranteneuftrois sur ces maudits Insoumis. La guerre serait éclair et la victoire facile.
Illustration : la Reine-Qu-On-Sort par Bridget Jaune .
Texte Julie d'Aiglemont
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