Les jeunes réclament une « bifurcation » Il y a quelques semaines, lors de la cérémonie de remise de diplômes, des élèves ingénieurs d’AgroParisTech ont fermement dénoncé, à plusieurs voix, le système économique dans lequel on voulait les intégrer. « L’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur terre », ont-ils dénoncé. « Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours », ont-ils poursuivi, ajoutant avec fermeté : « La société ne pourra devenir soutenable sans que l’on se débarrasse de l’ordre social dominant ».
Il est plutôt rassurant pour l’avenir qu’en recevant leur diplôme, de jeunes ingénieurs agronomes questionnent le sens de leur futur travail et contestent le rôle des firmes de l’agrochimie, alors que les sols sont trop empoisonnés, les abeilles pollinisatrices décimées, les vaches transformées en usines à lait, que les scandales alimentaires se multiplient et que chaque jour, poussés au plus grand désespoir, deux paysans se suicident.
Mais les cercles de la bien-pensance ne l’entendent pas de cette oreille. Ils s’agitent pour traiter ces jeunes « de petits bourgeois illuminés » dans l’espoir de les couper du reste de la société. Ils refusent évidemment de débattre de la signification politique de leur message. Il y a quelques années déjà, un élève de centrale de Nantes avait également prononcé un discours très critique sur le sens de ses études et leur utilité pour l’intérêt général.
Parce qu’ils contestent les orientations antisociales et antiécologiques, de nombreux jeunes diplômés refusent désormais de travailler pour de grandes sociétés transnationales. Ils illustrent un pan de cette radicalité progressiste qui le 10 avril, a marqué le premier tour de l’élection présidentielle.
Pourquoi vouloir décrédibiliser ces actions ? Parce qu’elles mettent en cause le système ? Elles sont l’une des manifestations de l’aspiration à être considérés, respectés, et à des pouvoirs nouveaux sur l’orientation de la stratégie des entreprises, sur leur travail dans l’intérêt général humain. Ils font entendre fortement l’aspiration à une pleine souveraineté des citoyens dans la cité et la souveraineté des salariés sur leur travail.
Les grands mouvements comme « Occupy Wall-Street » devant la bourse de New York, il a quelques années, suivi du mouvement des « Indignés » dans plusieurs pays européens, des « Nuits debout » à Paris, comme les mouvements sociaux contre la destruction du Code du travail et du système des retraites, celui des gilets jaunes et celui des jeunes pour le climat, sont la marque d’une volonté plus ou moins consciente de transformer les rapports sociaux, la société et le monde.
On peut certes discuter de leurs débouchés politiques. Ils peuvent en être les prémisses. On ne saurait donc les opposer à des engagements plus permanents. Ils peuvent trouver des prolongements dans des syndicats ou des forces politiques de transformation sociale à l’opposé de ceux qui appellent à la désertion et à l’abstention. On peut aussi considérer que le progrès technique, la formation, la recherche et la science « en conscience », pensés comme des moyens d’alléger la peine des êtres humains au travail seront utiles dans la perspective d’une radicale transformation écologique de notre monde.
Pour qui est soucieux de la recherche de chemins d’invention d’un post-capitalisme, ces prises de position doivent être écoutées, entendues et mises en lien avec un mouvement général visant à dépasser l’ordre existant. Voici une bonne nouvelle ! Des jeunes diplômés, de ce haut niveau, refusent le formatage idéologique et manifestent leur volonté de se mettre au service de l’intérêt général et non de celui des voraces de la finance et des firmes agro-industrielles qui, après avoir profité de la pandémie, gonflent actuellement leurs profits grâce à la guerre de M. Poutine.
À ces jeunes diplômés, s’ajoutent ceux qui se mobilisent régulièrement pour exiger la transparence sur « l’impact » social et écologique des activités de la société qui les emploie. D’autres décident de « bifurquer » et quittent des emplois bien rémunérés dans les mondes de la finance, de la publicité, du marketing, de la grande industrie, de l’alimentation industrielle et des frères siamois de McKinsey, pour des projets plus conformes à leurs valeurs progressistes et écologiques.
Ils créent de petites entreprises d’intérêt public dans l’alimentation de qualité, contre le gaspillage alimentaire, dans les services de santé, la qualité de l’eau, l’agro-écologie, ou le sport. Ils y gagnent bien moins d’argent, mais se sentent bien mieux, plus utiles à la société. Toutes et tous posent les deux enjeux anthropologiques et environnementaux majeurs de notre temps : celui du sens des formations et du travail, et celui de l’indispensable combat pour le climat, la biosphère et la biodiversité qui conditionnent la vie humaine et animale.
La nomination d’une ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, soucieuse que l’université soit « intensive » et que la recherche soit d’abord un investissement économiquement rentable, va à rebours de ces aspirations nouvelles.
Or, il est incontestable que le besoin de démocratisation de l’accès à l’université et l’élévation des compétences et des recherches sont indispensables pour inventer un autre modèle productif, de distribution et de consommation. En revanche, le choix du ministre de l’Éducation nationale, antithèse du précédent, peut être une bonne nouvelle s’il lui est permis d’impulser un grand projet éducatif et de formation pour toutes et tous, en refusant « le marché des savoirs » tout en portant des efforts exceptionnels en direction des enfants des quartiers populaires.
Ces derniers ne peuvent continuer d’être victime de la sélection et d’une sorte de ségrégation pour n’être destinés qu’à devenir des premiers de corvée sous-payés et méprisés. Eux aussi, à leur façon, ont montré leur révolte à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle. Toutes et tous, par-delà leur lieu d’habitation et leur niveau d’études, aspirent à la transformation sociale, démocratique et écologique. En se liant, en s’unissant, ils peuvent constituer une force considérable.
Plusieurs enquêtes d’opinion montrent que les jeunes de 18 à 35 ans placent, d’un même mouvement, au cœur de leurs priorités le pouvoir d’achat et l’environnement. Dans une enquête parrainée par la revue interdisciplinaire « The Lancet Plantard Heath », réalisée dans dix pays dont la France, les trois quarts des jeunes jugent le futur « effrayant » et un sur deux considère que « l’éco-anxiété » pèse sur leur vie quotidienne. Et une récente étude de la fondation Jean-Jaurès réalisée en janvier dernier, montre que 82% des jeunes de moins de 30 ans se disent « préoccupés » par le changement climatique. La problématique climatique devient donc pour une majorité de jeunes quasi existentielle. Voilà qui ouvre un important chantier de mobilisation collective et de débat pour conjuguer, mêler, entremêler intimement dans tout projet de transformation, les enjeux sociaux, démocratiques et écologiques.
Ces jeunes auront l’occasion de prolonger leurs actions et leurs désirs en utilisant le bulletin de vote des candidats de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale le 10 juin prochain, pour changer de majorité à l’Assemblée nationale. Ces débats et actions qui portent les enjeux anthropologiques et environnementaux sont les nouvelles graines d’une visée communiste moderne. On comprend que les milieux dirigeants en soient tant effrayés !
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