Mon problème avec la montagne : le vertige. Il s’est confortablement installé avec le temps. Avant même de ressentir la sensation de vide qui happe, des jambes qui se dérobent, comme si ton corps tentait de se soustraire à l’attraction terrestre, je repère généralement le passage délicat. C’est pratique : cela me laisse le loisir d’imaginer le pire. Moi, chutant, les secours arrivant trop tard. Ça semble si réel : je visualise l’hélicoptère se poser et par déformation journalistique, la publication, dès le lendemain, d’un entrefilet dans le Dauphiné libéré. « Accident sur l’aiguille Houille : une femme est décédée. » Le vertige, quand il n’est pas lié à un trouble de l’oreille interne, est une sensation fascinante (je ne pense bien sûr pas cela dans le feu de l’action). Certains jours, la peur du vide se manifeste avec plus d’intensité sans que l’on puisse identifier quelles sont les variables à l’œuvre. « Des jours tu te sens immortel et d’autres, terriblement mal », disait un guide de montagne qui admettait lui aussi être parfois pris d’ivresse des cimes (comme le marin souffrant du mal de mer). « Quand j’ai peur, j’essaie de me sortir du contexte. Je ferme les yeux, je me visualise sous une couette… Parfois, ça marche. » Chez moi, non. Il y a sans doute dans ce vertige qui vous saisit, le cerveau qui se met en alerte, des choses à comprendre sur soi, son rapport au monde à cet instant, sur la confiance en nos propres ressources nécessaires à affronter la peur. On peut aussi s’interroger sur ce que cette trouille signifie (peur de la mort ? désir de fuite ?). En montagne, le vertige est ambivalent. Il peut devenir grisant. Car les dangers font aussi le sel des cimes… John Dennis, écrivain britannique (cité dans « Dictionnaire amoureux de la montagne ») le dit avec panache : « Nous marchions, littéralement, au bord extrême de la destruction ; on trébuche, et tant la vie que la carcasse sont immédiatement détruites. Sentir tout cela produisait différents mouvements en moi : à savoir une délicieuse horreur, une joie terrifiante, et alors même que j’éprouvais un infini plaisir, je tremblais. » Et que dire de la minute d’après. Vaincre son attraction du vide, réussir à défier cette brève incertitude procure une émotion qui mériterait un mot dédié. Au passage, chers peureux lecteurs, que vous ayez vaincu ou non le mal du vide, vos histoires de vertige m’intéressent (ebrouze@rue89.com). Merci ! |
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