Vous vous occupez d’Histoire à « l’Obs » ? Ça doit être passionnant, tous ces livres que vous avez à lire me disent les gens, pleins d’illusion. A l’occasion oui. Récemment encore, me sont passées entre les mains trois perles, que j’ai
dûment chroniquées dans nos pages :
« l’Abolition des privilèges » de Bertrand Guillot (Les Avrils), le récit détaillé, passionnant, savoureux, de la fameuse nuit du 4 août 1789 ; « La guerre avant la guerre »
(Seuil) de Daniel Schneidermann, fascinante plongée dans la presse française des années 1936-1939, ou encore « les Ratonnades d’Alger »
(Seuil) de Sylvie Thénault, la restitution minutieuse d’un épisode méconnu de la guerre d’Algérie, qui s’est déroulé dans la capitale coloniale, en décembre 1956. Le premier de ces ouvrages a été écrit par un romancier. Le second par un journaliste. Seul le troisième est l’œuvre d’une historienne. Grâce à elle se sera donc produit un miracle trop rare : on aura eu le plaisir de découvrir un livre qui nous fasse découvrir un pan du passé dont on ignorait tout, englobe son sujet avec justesse et précision et enfin, soit limpide, simple, accessible et se dévore d’une traite.
J’écris ça sans vouloir blesser quiconque. Ça n’est pas tous les jours. Je sais bien qu’il faut toujours se garder des généralisations hâtives. Il existe des tas de livres d’Histoire qui sont des merveilles de grâce, d’intelligence et de simplicité. Si les gens savaient le nombre d’enclumes qu’il faut s’avaler pour en trouver un ! Trop souvent, hélas, le plaisir que l’on a à un livre d’Histoire se réduit à peu. On nourrit de grands espoirs face au sujet proposé – chouette, je vais enfin comprendre quelque chose à l’histoire de la Russie, à la religion aztèque, au système de pouvoir dans la Chine des Tang ou à Clodion le chevelu. On se prend à rêver devant une couverture faite pour cela : portrait enrichi, photographie sépia, croquis évocateur. Trente pages plus tard, on étouffe, déjà noyé dans une inondation de dates et de détails, asphyxié sous un tsunami de notes de bas de page, étranglé par un entrelacs de noms, de traités et de références dont on n’a jamais entendu parler et qu’on espère ardemment ne jamais avoir à recroiser un jour dans sa vie. Je connais bien la raison de cela. Nombre d’historiens ont la plume lestée par un terrible surmoi : la rigueur scientifique, l’impératif de l’exhaustivité ou – plus ravageur encore – le jugement de leurs pairs. Que va-t-on penser au département d’histoire médiévale de Laouennant III si je ne montre pas que je peux remonter l’ascendance de Chilpéric VIIII sur huit générations ? C’est le problème. Nombre d’historiens écrivent pour leur jury de thèse. Quel dommage qu’il y en ait trop peu qui écrivent pour leurs lecteurs.
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