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dimanche 30 janvier 2022

N'en déplaise à Macron ..Oui « L’université est un temple du savoir et, conséquemment, un temple de la liberté. »

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Oui « L’université est un temple du savoir et, conséquemment, un temple de la liberté. »
Il convient plus que jamais de défendre ce modèle essentiel contre ce désir utilitariste et néfaste pour nos libertés. Comme le soulignait déjà Hannah Arendt, « Nier une partie du savoir, c’est nier une partie de l’humanité, et c’est nier sa capacité d’user de son libre arbitre. »
"L’université n’a jamais eu pour vocation de professionnaliser" : un doyen de fac répond à Macron
MARIANNE.NET
"L’université n’a jamais eu pour vocation de professionnaliser" : un doyen de fac répond à Macron


Dans son discours pour une réforme « systémique » des universités, Emmanuel Macron a insisté sur la nécessaire « professionnalisation » du secteur. Pierre-Louis Boyer, doyen de la faculté de Droit, des sciences économiques et de gestion du Mans, y voit une méconnaissance abyssale de l'université.

Le 13 janvier, le président de la République appelait à une université forte (si tant est qu’une institution puisse se doter d’une vertu…), considérant que l’université n’avait cessé de s’occuper de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la gestion de masse, les grandes écoles étant, quant à elles, vouées à former les élites. Il veut professionnaliser, lutter contre un prétendu modèle systémique de l’université, et ne plus ouvrir des filières sans perspective qui conduisent à un investissement à perte. Vision libérale et matérialiste du monde s’il en est – comme si toute œuvre humaine devait être un investissement rentable, et comme si tout « service public » appelait un contre-don – la pensée d’Emmanuel Macron sur l’université est criante d’une méconnaissance abyssale de cette dernière, et d’une volonté mortifère de faussement américaniser notre système d’enseignement supérieur.

« L’université n’a jamais eu pour vocation de professionnaliser. »

Passons sur le processus de rentabilisation du service public observable depuis l’ère pré-macronienne et sur lequel tant de choses ont été écrites, et centrons nos propos sur ce qu’est une université. Cette entité dont on pourrait croire, pour les plus critiques et conservateurs, qu’elle est peuplée de sociologues aux cheveux longs tout droit sortis des couloirs nanterriens de 1968, est en réalité une institution extrêmement complexe et vivante ; il s’agit d’un monde dont l’activité, à savoir la connaissance, n’a d’autre fin qu’elle-même. Et la finalité de ce monde conduit les étudiants qui viennent s’y délecter à, comme l’écrit le professeur Bastit, une vie intellectuelle contemplative.

Non, n’en déplaise à ceux qui veulent traverser la rue pour trouver un travail, l’université n’a jamais eu pour vocation de professionnaliser. Les universités médiévales formaient à la rhétorique, à la grammaire, à la théologie ; rien de professionnalisant à court terme puisqu’il s’agissait déjà de filières sans perspective, uniquement de formations dont la vocation était l’élévation des esprits. N’est-ce pas aussi pendant la Terreur que l’on supprima les universités et que l’on vit poindre les grandes écoles ? Signe des temps ? BTS, écoles de commerce, « grandes écoles » ont une finalité propre car ces établissements visent des cœurs de métiers spécifiques, mais l’université est, comme son nom l’indique, une communauté, et une communauté qui tend à l’universalité des savoirs. Les grandes écoles ont été créées dans un but précis, que rappelait d’ailleurs Fourcroy à leur origine : « servir l’État ». La finalité de celles-ci n’était donc nullement de développer un savoir et de transmettre ce dernier, mais de former les cadres supérieurs de l’administration.

« Non, Monsieur le président, l’ENA n’a jamais créé de savoir, elle n’a créé que des cadres de l’État. »

Le discours erroné du président qui consiste à lier « grandes écoles » et « élites » est significatif d’une déformation intellectuelle qui nie le savoir et la connaissance pour ne favoriser que la productivité. Qu’appelle-t-on « l’élite » ? S’il s’agit d’une classe de décideurs « préformatés » – le jury de l’ENA dénonce ce travers depuis de nombreuses années – alors, oui, ce sont les grandes écoles qui les créent. S’il s’agit, en revanche, des savants, des connaisseurs, des penseurs, de ceux qui sont persuadés que la construction du savoir et la transmission de celui-ci favorisent la liberté de chacun, et de ceux qui viennent, convaincus de cela, recevoir à la source du savoir celui qui y est enseigné, alors, ce sont bien les universités qui forment les élites. Non, Monsieur le président, l’ENA n’a jamais créé de savoir, elle n’a créé que des cadres de l’État. En revanche, notre dernier prix Nobel français de chimie est une universitaire, notre dernier prix Nobel de physique est aussi un universitaire, tout comme celui d’économie et celui de médecine. Se pose alors la question de savoir si l’élite est constituée de détenteurs d’un pouvoir institutionnel ou d’un savoir à destinée universelle.

Vouloir transformer les universités en une institution qui ne comprendrait que des filières à perspectives, c’est sélectionner une partie de la connaissance humaine qui serait « utile », c’est-à-dire rentable, et rejeter tout le reste. C’est lier l’esprit humain à une cause finale qui ne procéderait que de la productivité, et c’est donc emprisonner cet esprit en rendant superflue une partie de l’être. Nous nous approchons ici de la définition du totalitarisme que donnait Hannah Arendt. Nier une partie du savoir, c’est nier une partie de l’humanité, et c’est nier sa capacité d’user de son libre arbitre.

Là, efficience et science s’affrontent ; là, libéralisme et liberté se combattent.

Nous en convenons, un cours de philosophie sur les présocratiques ne « professionnalisera » pas dans l’immédiat, tout comme une filière en littérature médiévale ne permettra pas de parvenir à une professionnalisation instantanée comme CEO ou Global manager. Il n’y a pas de résultat matériel immédiat à dispenser ou recevoir un enseignement sur le courant Nabi. Pour autant, il s’agit d’une partie du savoir, et si ce dernier n’est plus transmis, que restera-t-il ? Le marché et ses lois. En cherchant une prétendue richesse matérielle, on appauvrit au fond l’humanité.

« L’université est un temple du savoir et, conséquemment, un temple de la liberté. »

Et dans cette quête fictive du modèle d’outre-Atlantique, pourquoi mettre l’accent sur un utilitarisme somme toute primitif de l’enseignement supérieur plutôt que sur la réalité des études américaines ? Pourquoi ne pas souligner que les grands managers américains étudient d’abord des filières sans perspectives, comme la philosophie à l’instar d’un Peter Thiel, fondateur de Paypal, marqué par l’enseignement de René Girard ?

L’université est un temple du savoir et, conséquemment, un temple de la liberté. C’est d’ailleurs pour cela que la liberté académique est le fondement d’une recherche libre et non guidée par des intérêts pécuniaires, et que cette recherche a besoin de confiance en ceux qui la font vivre et qui doivent, en conséquence, être sélectionnés sur la base de leurs compétences et non sur leur capacité à créer du profit ou, pire, sur leur posture politique.

L’université, temple du savoir, temple de la liberté, temple de la transmission et de l’éveil des esprits, est, comme le rappelait la Conférence des présidents d’universités, une collectivité intellectuelle, porteuse d’une culture savante, une communauté humaine. Ce n’est pas une entité malléable au gré des aléas économiques et des velléités du marché.

Alors, opposer universités et grandes écoles à quelques semaines des présidentielles, n’est-ce pas, pour le président en exercice, s’assurer du soutien de son potentiel électorat, s’assurer que la remise en cause d’une institution qui vise à rendre libre soit soutenue par ceux qui, bulletins en main et yeux sur l’urne, pensent qu’ils sont ceux qui réussissent quand les autres ne sont rien ?

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