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Dilma Rousseff: « Néolibéralisme et
néofascisme sont des jumeaux siamois »
- 14 Oct 2019
Parce que toutes les tentatives d’un retour au néolibéralisme par les voies démocratiques ont échoué, l’élite a fomenté un coup d’État constitutionnel. Compte rendu d’une conférence tenue le 21 septembre par Dilma Rousseff, ancienne présidente du Brésil.*
Coup d’État constitutionnel
En 2003, Lula a été élu président du Brésil et a mis fin au régime néolibéral qui existait dans le pays depuis les années 1980. Sa politique a été poursuivie par Dilma Rousseff à partir de 2011. Bien sûr, ce n’était pas au goût de l’élite. Depuis 2003, elle a fait tout son possible pour éliminer les deux présidents de manière démocratique, c’est-à-dire à travers des élections. Mais, parce que toutes ces tentatives ont échoué, l’élite a fomenté un coup d’État constitutionnel.
D’abord, Dilma a été destituée, pour des raisons plus que douteuses. Mais cela ne suffisait pas, car il y avait de fortes chances pour que Lula soit réélu président. Lula a ensuite dû faire face à une véritable campagne de diffamation et à une enquête judiciaire. Il a finalement été emprisonné illégalement pour ne plus pouvoir participer aux élections. Des fuites d’informations indiquent que le pouvoir judiciaire a comploté pour incarcérer Lula. Un objectif légitime – la lutte contre la corruption – a été dévoyé pour régler des comptes avec un opposant politique.
Il s’agit bien d’un coup d’État, comme semblent le confirmer les récentes confessions de Temer, le successeur de Dilma à la présidence. Il a reconnu qu’il s’agissait d’un « coup d’État », mais que lui-même n’y avait pas participé. Ce n’est bien sûr pas un coup d’État « classique », avec des soldats et des chars, mais un coup d’État d’un autre genre, avec d’autres acteurs. Le pouvoir judiciaire y a joué un rôle important, ainsi que la presse. Et nombre de partis politiques ont trempé dans ce coup d’État. Les USA ont également apporté leur pierre à l’édifice, en passant des informations stratégiques au pouvoir judiciaire brésilien.
Dilma a souligné la gravité de la situation. Si l’on peut arrêter le président d’un pays qui est innocent, alors on peut en faire de même avec tout citoyen. Il n’y a alors plus d’égalité devant la loi et on retourne à un système digne du moyen-âge.
Une combinaison entre néofascisme et néolibéralisme
Outre la crise économique, le Brésil est confronté aujourd’hui à une crise politique. Dilma qualifie le gouvernement brésilien actuel de néofasciste. Le président Bolsonaro est un admirateur de la dictature militaire que le Brésil a connue dans le passé. Il a récemment dédié sa voix au parlement à un commandant militaire responsable de la mort de dizaines de personnes et de tortures sur des centaines de personnes. Il est aussi très sexiste : il a dit à une parlementaire qu’elle ne méritait même pas d’être violée. Il n’y a plus le moindre respect de la démocratie chez des dignitaires parlementaires comme dans une partie des médias et au sein du pouvoir judiciaire.
Dans la plupart des cas, le fascisme est nationaliste, mais Bolsonaro est aux bottes des USA. Ainsi, il a prêté serment sur le drapeau américain, du jamais vu. Son attitude vis-à-vis du Venezuela et de Cuba est scandaleuse. Il a aussi fait un affront aux pays arabes en déplaçant l’ambassade brésilienne en Israël à Jérusalem.
Et parallèlement, Bolsonaro mène une politique clairement néolibérale. Tous les acquis sociaux de la période Lula sont démantelés en un temps record. Lula et Dilma Rousseff ont tenté de diriger le pays autant que possible d’une façon souveraine. Bolsonaro, en revanche, vend le pays à des acteurs privés étrangers et livre l’économie aux marchés financiers.
Néofascisme et néolibéralisme sont comme des jumeaux siamois. Une politique antisociale exige une attitude musclée et l’élimination de l’opposition.
La politique de Bolsonaro est néfaste pour la forêt amazonienne. Les gouvernements précédents donnaient des bourses aux habitants de la forêt à condition que leur production soit durable. Cette mesure a été supprimée. Bolsonaro coupe également les moyens des services de protection de la forêt. La présence dans le sous-sol de minéraux rares et stratégiques, comme l’uranium et le potassium, y est certainement pour beaucoup.
Quelles perspectives pour la gauche en Amérique latine
La situation est préoccupante, mais pas désespérée. Dilma ne s’est pas montrée pessimiste. Au Brésil, il y a actuellement une forte résistance face au gouvernement Bolsonaro. La société bouge. Différents secteurs se sont mobilisés : les paysans, les ouvriers, les femmes, les étudiants, les Indiens… C’est une lutte à moyen-long terme.
Le néofascisme se heurte aussi à ses propres contradictions. Le fascisme aime l’ordre, un ordre strict, mais il provoque le désordre. Sous Bolsonaro, les milices privées se sont multipliées, mais elles vont causer une augmentation de la violence et déstabiliser le pays.
Le Mexique, deuxième plus grand pays, a depuis peu un président de gauche. Ailleurs aussi en Amérique latine il y a des chances que la gauche revienne au pouvoir. Le meilleur espoir de changement est en Argentine, troisième plus grand pays de la région. Lors du premier tour des élections, l’équipe Fernández-Kirchner de la gauche populiste a obtenu 53% des voix. Il devrait y en avoir encore beaucoup plus lors du second tour. En Uruguay ainsi qu’en Bolivie, d’importantes élections auront lieu bientôt. La situation en Colombie est très préoccupante. L’accord de paix était d’une importance cruciale pour la stabilité politique en Amérique latine. Suite au non-respect de l’accord par le gouvernement colombien, les anciens combattants de guérilla ont repris les armes. Ce qui met le pays dans une situation très compliquée.
Peu après cette conférence, des protestations massives contre les hausses de prix et l’épargne ont éclaté en Équateur. Elles s’inscrivent parfaitement dans le cadre de ce que Dilma a décrit au cours de sa conférence.
Source: Investig’Action
* Dilma Rousseff a donné sa conférence lors d’une table ronde à laquelle ont également participé Abel Prieto, ancien ministre de la Culture de Cuba, et Maurice Lemoine, journaliste renommé du Monde Diplomatique. La table ronde a eu lieu dans le cadre de Manifesta, le 21/22 septembre à Belgique, et était organisée par Cubanismo.
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