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Incendie de l'usine Lubrizol à Rouen : pourquoi les autorités peinent à rassurer les populations depuis la catastrophe
Face aux critiques sur la communication des autorités, Edouard Philippe a promis une "transparence totale" sur l'incendie de l'usine rouennaise.
Une épaisse fumée noire s'échappe du site Lubrizol de Rouen, durant un important incendie, le 26 septembre 2019. (JEAN-JACQUES GANON / AFP)
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"Silence médiatique", "mensonge d'Etat", "omerta"... Sur les réseaux sociaux, ainsi que dans les commentaires reçus dans le live de franceinfo.fr, les explications données par les autorités après l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen suscitent leur lot de scepticisme et de réactions complotistes. Depuis la catastrophe, survenue jeudi 26 septembre, les pouvoirs publics sont pointés du doigt pour leur manque de transparence présumé et une volonté assumée de vouloir rassurer les habitants plutôt que de soulever des motifs d'inquiétude.
Face aux critiques, le Premier ministre, Edouard Philippe, a dû s'engager, dimanche 29 septembre, à une "transparence totale" de la part du gouvernement. "Nous avons souhaité faire en sorte que tout ce qui est su, que toutes les analyses qui sont réalisées soient rendues publiques", a fait valoir le chef du gouvernement. Une déclaration qui traduit le climat de méfiance auquel les autorités doivent faire face.
Parce que la communication a connu des ratés
Jeudi matin, après avoir pris de premières mesures de précaution (fermeture d'écoles, consignes aux habitants de rester chez eux), le préfet de Normandie et de Seine-Maritime, Pierre-André Durand, a communiqué sur l'absence de "toxicité aiguë sur les principales molécules", suivi par le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, pour qui il n'y avait "pas d'élément qui permette de penser qu'il y a un risque lié aux fumées".
Une communication fortement nuancée quelques heures plus tard par le colonel des sapeurs-pompiers, Jean-Yves Lagalle, même s'il assurait que la situation était "sous contrôle".
Ce n'est pas de la toxicité aiguë, néanmoins ces fumées sont des fumées toxiques, comme toute pollution. Il ne faut pas dire aux gens qu'il n'y a pas de risque.à franceinfo
Dans une interview à Ouest-France, Laurent Vibert ancien porte-parole des pompiers de Paris désormais expert en communication de crise, estime que la communication sur l'absence de toxicité aiguë était "inadaptée". "C'est une expression de chimiste. (...) Tout le monde ne sait pas vraiment ce que cela veut dire", juge-t-il. "Dans les incendies, ajoute l'ancien pompier, ce sont les fumées qui tuent, c’est le b.a.-ba. Et ça, ça aurait dû être dit, d’autant plus qu’ici, ce sont des dérivés d'hydrocarbures qui ont brûlé."
Parce que toutes les données n'ont pas été rendues publiques
Qu'abritaient exactement les locaux partis en fumée dans l'incendie ? Quels étaient exactement les produits chimiques entreposés ? En quoi consistent, dans le détail, les analyses effectuées dans l'air et dans les sols ? Les réponses à ces questions ont mis du temps à arriver, et certaines d'entre elles n'ont toujours pas été données.
Dans un communiqué diffusé samedi, la CGT 76 et une dizaine d'autres organisations déploraient que la liste des produits qui ont brûlé n'ait "pas été communiquée", de même que "les résultats complets d'analyse des fumées, de l'air, des résidus et de l'eau". Les signataires accusaient également la préfecture de ne pas communiquer sur plusieurs points : une toiture amiantée partie en fumée ou encore la mort d'oiseaux et de poissons imputée à l'incendie (ce dernier point n'ayant pas été corroboré pour le moment).
Le préfet a en partie répondu à ces griefs lors de sa conférence de presse, samedi après-midi. Par ailleurs, les résultats d'analyses détaillées, avec le nom des produits recherchés et les lieux de prélèvement, sont désormais disponibles sur le site de la préfecture. Mais si le préfet a décrit "l'essentiel de ce qui a brûlé", comme "des hydrocarbures, des huiles et des additifs chimiques pour huiles de moteur", la composition chimique précise des éléments n'a pas été communiquée publiquement, ni par les autorités ni par la direction de l'entreprise.
L'avocat François Lafforgue, qui représente notamment l'association Générations futures a insisté sur franceinfo sur cette exigence de transparence. "On va demander à toutes les autorités publiques concernées de nous adresser les documents qui nous permettront d'être éclairés sur la situation exacte (...) afin de ne pas se laisser entrainer par les simples allégations des autorités publiques", confie-t-il.
Parce que les analyses prennent nécessairement du temps
Les experts qui réalisent les mesures ne peuvent pas répondre de façon instantanée à la question de la toxicité des fumées observées. L'organisme Atmo Normandie analyse quotidiennement la qualité de l'air à Rouen en mesurant des polluants "classiques" présents de manière chronique dans l'atmosphère, comme les particules fines, le dioxyde d'azote ou encore l'ozone. Des mesures à partir desquelles un indice de qualité de l'air est obtenu chaque jour.
Mais comme l'explique Atmo Normandie, cet indice "ne prend pas en compte les odeurs et les polluants particuliers pouvant être dégagés lors d’accidents/incidents". L'indice a ainsi cessé d'être communiqué pendant la journée du jeudi 26 septembre, car jugé "pas représentatif" de la réelle qualité de l'air.
Pour juger de celle-ci après l'incendie, Atmo Normandie a donc mené des mesures complémentaires à des endroits positionnés dans l'axe de la trajectoire du panache de fumée. Ces mesures, qui portent sur des polluants qui ne sont pas recherchés en situation normale, ne peuvent être faites en temps réel, "car faites en laboratoire de chimie", ce qui implique des délais.
Selon Atmo Normandie, les analyses réalisées pendant l'incendie ont montré des concentrations "en dessous des valeurs de référence pour les risques sanitaires à court terme". Les jours suivants, l'organisme s'est attaché à effectuer des mesures dans les zones touchées par les odeurs incommodantes. Ces résultats ne sont, par exemple, toujours pas connus. Sans oublier que d'autres analyses sont encore en cours. C’est le cas pour les retombées potentielles d’amiante présente dans la toiture de l’usine. Les premiers résultats ne seront publiés que mardi. Les résultats s'agissant des prélèvements effectués sur les récoltes et les cheptels ne sont, eux, pas encore connus. Ce qui a poussé la préfecture à publier un arrêté prefectoral dans lequel 112 communes sont visées par une interdiction de ventes de produits agricoles.
Parce que l'opinion publique est échaudée par les scandales sanitaires
Un nuage qui se promène dans l'atmosphère et des autorités qui s'emploient à rassurer la population : il n'en fallait pas davantage pour que la comparaison avec la catastrophe nucléaire de Tchernobyl ne soit convoquée dans les discussions à Rouen, sur les réseaux sociaux, ou dans les déclarations d'associations environnementales. En 1986, les autorités avaient tout fait pour minimiser la progression du nuage radioactif au-dessus du territoire français. Une attitude souvent rappelée lorsque survient un accident industriel, incitant l'opinion à douter des informations qui lui sont communiquées par les sources officielles.
Sang contaminé, Mediator, amiante... Ces dernières décennies, les scandales sanitaires à répétition ont fini par entamer la confiance envers les organismes censés les éviter. A chaque nouvelle "affaire", le doute s'empare des citoyens, à tort ou à raison, sans que les communiqués officiels ne parviennent à les dissiper totalement.
Concernant l'incendie à Rouen, plusieurs députés de gauche comme le patron du PS, Olivier Faure, ont réclamé une commission d'enquête parlementaire pour obtenir "toute la vérité sur Lubrizol". Sur France 3, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, s'est quant à elle interrogée "sur la qualité des contrôles effectués" dans cette usine chimique. De quoi renforcer un climat de méfiance qui risque de mettre du temps à se dissiper.
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