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3.mai.2019
Edouard Vuiart : « Après la chute de Baghouz, la guerre contre Daech n’est pas terminée… »
Source : Le Journal de l’Economie, Edouard Vuiart, 25-03-2019
Reprise d’un papier rédigé par Edouard Vuiart, analyste géopolitique et membre de l’équipe Les-Crises, autour de son ouvrage « Après Daech, la guerre idéologique continue » (VA Éditions).
Édouard Vuiart, analyste géopolitique, est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble (IEP) et titulaire d’un master « Défense, Sécurité et Gestion de crises » de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Auteur de “Après Daech, la guerre idéologique continue” (VA Éditions), il revient sur la récente chute de Baghouz qui, tout en officialisant la défaite territoriale du groupe État Islamique, ne met en aucun cas un terme à la menace djihadiste.
Baghouz, le dernier bastion de l’État islamique en Syrie est tombé. Ce village qui abritait les derniers fidèles de Daech depuis plusieurs mois a été officiellement libéré par les Forces Démocratiques Syriennes, qui en ont profité pour annoncer la « défaite territoriale à 100 % de Daech ». Plus de cinq ans après la constitution de son proto-État syro-irakien, Daech se retrouve ainsi sans territoire et sans Califat. Son slogan des débuts « baqiya wa tatamaddad » (Demeurer et s’étendre) ne représente plus que l’échec d’une « utopie avortée », et son assise territoriale a totalement disparu. Mais si la chute de Baghouz marque en effet la fin territoriale du Califat, l’organisation terroriste, de retour à la clandestinité, est loin d’être condamnée à mort et notamment d’un point de vue idéologique.
Notre vision d’une défaite militaire de Daech est loin d’être partagée par les djihadistes. À leurs yeux, la chute du Califat s’inscrit dans l’histoire d’un crime occidental séculaire qu’ils finiront tôt ou tard par venger. Non seulement leur idéologie leur permet de gagner les esprits au fur et à mesure qu’ils subissent des revers – l’ancien porte-parole de Daech al-Adnani affirmait que le fait d’être tué constituait en soi une victoire – mais leur propagande avait largement anticipé la chute du proto-État. Plus d’un an avant la libération de Raqqa, la propagande de Daech expliquait déjà aux djihadistes que la défaite ne résidait pas dans la perte d’une ville ou d’un territoire ; que la force de conviction des djihadistes finirait par l’emporter sur la supériorité militaire adverse ; et que la chute du Califat n’était que l’ultime épreuve avant leur victoire finale. Dès lors, si la victoire militaire des Forces Démocratiques Syriennes à Baghouz est bien évidemment à féliciter, n’oublions pas que Daech a fait évoluer son discours pour que l’idée survive à la réalité, que l’utopie demeure malgré l’échec et que la rage persiste face à l’évidence de la faiblesse.
La plus grande erreur serait donc de croire qu’une défaite militaire de Daech pourrait permettre de régler la question du terrorisme. Son « retour au désert » ne constitue que la répétition de ce qu’avait connu son prédécesseur, l’État islamique en Irak, entre 2009 et 2011, avant qu’il ne se lance dans une conquête fulgurante qui consacra l’apogée de l’État islamique d’Al-Baghdadi. Cette équation complexe pourrait tout à fait se renouveler, notamment lorsque la pression militaire aura diminué et que l’instabilité chronique de la région aura recréé les conditions d’un retour en force pour Daech. Sans compter les nombreuses métastases djihadistes que le groupe a produit au-delà de cette zone, notamment grâce au mythe qu’il est parvenu à forger autour de la bataille de Mossoul et de sa capacité à résister pendant plus de deux ans face aux plus grandes puissances du monde. Malgré la chute du Califat, les djihadistes restent donc convaincus qu’ils finiront par triompher, et leur volonté de frapper les « apostats » et les « Croisés occidentaux » reste intacte. Leur idéologie ne s’est pas éteinte avec la disparition du califat syro-irakien, et la menace terroriste a su trouver ses relais au sein de cellules dormantes basées notamment dans le Nangarhar afghan, le sud libyen, le Sinaï égyptien, l’est du Yémen et le sud des Philippines.
Il nous faut donc parvenir non seulement à comprendre la part de rationalité qui pousse ces individus à avoir foi dans les solutions prônées par l’idéologie djihadiste, mais également à affirmer collectivement que le fait d’expliquer n’amène pas à excuser, mais à maîtriser la situation. C’est à cette seule condition que nous pourrons emprunter sereinement le chemin de la délégitimation. Dans le cas contraire, il y a de fortes chances que les groupes djihadistes perpétuent le grand paradoxe de la violence terroriste contemporaine, à savoir : « Proliférer partout ; Triompher nulle part et partout renaître ».
« Après Daech, la guerre idéologique continue » (VA Press), disponible en librairie ou via :
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Plus d’infos sur le site : https://apres-daech.jimdo.com
Quatrième de couverture :
L’État islamique appartient déjà au passé. L’existence du Califat n’aura été qu’éphémère et l’annonce de sa défaite militaire va inéluctablement briser l’unité de l’organisation. Mais en avons-nous réellement fini avec Daech et la menace djihadiste ?
Infliger une défaite, c’est amener l’adversaire à se convaincre qu’il a perdu la bataille et à le reconnaître. Or, comment convaincre de sa défaite un ennemi dont l’idéologie lui permet de gagner les esprits au fur et à mesure qu’il enchaîne les revers et qu’il perd du territoire ? « Être tué est une victoire. Vous combattez un peuple qui ne peut connaître la défaite », affirmait Abu Muhammad al-Adnani, ancien porte-parole de Daech.
La fin de l’État islamique en tant que proto-État ne signifie donc pas la fin du phénomène djihadiste. L’idéologie va survivre au Califat et la menace terroriste, loin de disparaître, trouvera toujours sa source dans la propagande et les processus de radicalisation. Dès lors, il apparaît aujourd’hui plus que nécessaire de parvenir, non seulement à comprendre le discours djihadiste, mais surtout à se détacher des interprétations psychotiques du terrorisme – sorte d’épidémie mondiale de folie – pour déceler la part de rationalité qui pousse ces individus à passer à l’acte. Comment les djihadistes légitiment-ils leur violence ? Quels sont leurs arguments face au discours occidental ? Comment la menace peut-elle évoluer dans un avenir proche et quelles sont les pistes politiques et théologiques à envisager pour y faire face ?
Réalisé à partir de nombreux documents de propagande, cet ouvrage vous propose de mieux comprendre l’idéologie à l’origine du terrorisme qui nous frappe…
Sur « Après Daech – La guerre idéologique continue », par François-Bernard Huyghe, préfacier
Source : Huyghe.fr – 23/03/2019
« Après Daech La guerre idéologique continue » d’Edouard Vuiart aborde un problème fondamental : que va devenir Daech dont la défaite sur terrain semble achevée en Syrie et Irak (sauf des poches comme avant 2013) ? Et surtout que veut-il devenir ? Comment une organisation hyperdoctrinaire a-t-elle pensé et préparé Une telle perspective historique ?
Leurs chefs expliquent déjà que perte de leur territoire et l’effondrement de leurs forces matérielles ne sont qu’un épisode de la lutte millénaire, que le vrai triomphe appartient à celui qui conserve la volonté de se battre. Ils sont persuadés que l’appel au djihad sera renforcé par la « persécution » : le désastre apparent ne saurait dissimuler aux cœurs purs l’imminence de la victoire finale et de la fin des temps. Et Daech forme de nouveaux plans contre ses ennemis, c’est-à-dire le reste du monde. Ils justifient, ils donnent des consignes… Ces gens ne cessent d’expliquer et d’annoncer, il serait peut-être temps d’aller y voir. C’est ce que fait ce livre.
Le premier mérite est de nous mettre en garde contre l’autisme intellectuel. Il montre que l’action de l’adversaire obéit à une logique qui n’a rien à voir avec la nôtre mais qui est sans doute davantage articulée et explicite. Il y a une dogmatique de Daech, une rhétorique, une casuistique, une géopolitique, une eschatologie, une vision du monde et une stratégie califale. Ce n’est pas parce qu’elles nous semblent absurdes qu’elles perdent tout efficace – au contraire- ni parce qu’elles nous horrifient qu’elles ne signifient rien.
Edouard Vuiart s’est attaqué à la reconstitution de ce processus idéologique en allant aux sources : pour des gens pour qui tout est ou bien permis ou bien interdit, soit conforme à la volonté divine soit abominable, le principe d’autorité est crucial et les dispositifs de justification indispensables. L’idéologie, c’est la rencontre d’un corpus d’idées articulées, de convictions que des individus adoptent comme si elles leur venaient spontanément et d’appareils qui renforcent les communautés dans leur conviction et leur donnent une direction. La doctrine, la croyance et le rite, pour reprendre la trilogie du philosophe Slavoj Zizek : l’articulation des trois est parfaitement restituée par le jeune auteur (que j’ai eu le plaisir d’avoir pour étudiant). Avec lui, nous découvrons comment raisonne et juge l’adversaire, mais aussi les passions qui l’animent.
L’auteur pose, par exemple, clairement la question de la concurrence avec al Qaïda ou des nouvelles formes de prolifération du djihadisme. Il aborde la prospective – anticiper la stratégie future de l’organisation Daech privée ce qui fut sa base et sa justification théologique à la fois, le califat au pays de Cham-. Le triomphe de l’État islamique en 2014 – et son paradoxe : être plus extrémiste qu’al Qaïda, se vanter de crimes encore plus abominables, exclure toute alliance, affronter encore plus d’ennemis, décider de construire le califat à cheval sur deux pays en défiant toutes les puissances internationales, et pourtant y parvenir – était une surprise. Après la défaite de l’État islamique – et accessoirement le démenti de son principal « argument de vente », leur slogan « le califat durera et s’étendra » – ne créons pas les conditions d’une autre surprise. Comment l’idée peut-elle survivre à la réalité, l’utopie à l’échec et la rage à l’évidence de la faiblesse ? Comment raisonneront les soldats perdus ? Que vaudra leur propagande maintenant privée de beaucoup de ses supports ? Que voudront, que pourront les vengeurs autoproclamés du califat ? Nous ne promettons pas au lecteur qu’il trouvera la bonne prédiction dans ces quelques pages, ceci n’est pas une collection d’astrologie. Mais il aura les éléments pour former son jugement.
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Source : Le Journal de l’Economie, Edouard Vuiart, 25-03-2019
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