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La forme, le contenu, le moyen
Par Daniel Gluckstein .
Le « grand débat » de Macron semble promis à faire un « flop » avant même d’avoir commencé. Le rejet du gouvernement est tel que la plupart de ceux qu’il appelle les « corps intermédiaires » – élus et syndicats ouvriers notamment – rejettent l’opération.
Pour autant, la liste des questions soumises (et des questions interdites) mérite attention.
Il y a celles que Macron jette comme un os à ronger en jouant sur les déclarations équivoques de nombreux animateurs des gilets jaunes : l’immigration, la laïcité, les « économies » à réaliser sur les services publics, la « baisse des charges sociales ».
Il y a celles qui font mine de répondre aux aspirations démocratiques : quel recours (limité) à un moyen référendaire (encadré), quelle dosette de proportionnelle, etc. ?
Et puis, il y a les questions qu’il ne faut surtout pas poser. Exemple : faut-il confisquer les 57 milliards de dividendes versés aux actionnaires, et les 41 milliards d’intérêts de la dette* versés aux grandes banques, et les 40 milliards du CICE, pour les affecter aux besoins urgents de la population laborieuse ? Question taboue, et pourtant… l’utilisation de ces 138 milliards pour les services publics, l’emploi ou le logement modifierait radicalement la situation, comme nous le montrons dans ce journal (lire page 3).
À cela, Macron et ses partisans pourraient objecter que c’est contraire à la Constitution. Ils auraient raison : sous la Ve République*, il est interdit de toucher à la propriété privée des moyens de production, c’est-à-dire au droit des patrons d’exploiter les travailleurs pour dégager des profits et… les empocher. Les mêmes pourraient aussi objecter qu’une telle mesure serait contraire aux traités de l’Union européenne qui garantissent le droit des capitalistes à s’emparer de toute la vie sociale et à tout détruire pourvu qu’augmente la courbe des profits.
Si les institutions de la Ve République et de l’Union européenne sont à ce point contraires à la satisfaction des besoins les plus élémentaires de la majorité, la démocratie – c’est-à-dire la loi de la majorité – n’impose-t-elle pas qu’on en finisse avec elles ?
Un vent de révolte souffle sur le pays qui touche toutes les couches de la population. Qu’est-ce qui l’alimente, sinon les plans et les contre-réformes des capitalistes et des gouvernements à leur botte qui, depuis des décennies, écrasent tout sous le talon de fer du sacro-saint droit au profit ? Ces montagnes de capitaux ainsi accumulées, le peuple travailleur n’aurait aucun droit à en disposer ? Même le président du Medef s’interroge sur l’immunité dont il bénéficie (1).
Arrivé à ce degré de crise, quelle perspective s’ouvre au peuple travailleur ? Le gouvernement table sur le pourrissement de la situation, combiné à une répression de plus en plus banalisée. Il table aussi sur le respect du cadre et des règles de la Ve République par toute l’opposition institutionnelle et parlementaire, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Cette dernière renonçant en outre à ouvrir la moindre perspective politique, empêtrée qu’elle est dans sa soumission à un mouvement des gilets jaunes qui ne cesse de se morceler, miné par ses contradictions.
Il existe pourtant dans ce pays une force sociale capable d’ouvrir une issue positive pour l’ensemble du peuple travailleur : la classe de ceux qui ne possèdent que leur force de travail et à qui n’appartiennent pas les moyens de production. La classe ouvrière forme un ensemble suffisamment puissant et cohérent, elle occupe une place suffisamment centrale dans la production des richesses pour imposer la rupture avec l’ordre actuel. À condition que les travailleurs des villes et des campagnes, se rassemblant avec leurs organisations, réalisent leur unité sur leurs revendications de classe. À condition qu’ils s’organisent par eux-mêmes en contrôlant leur mouvement et leur représentation avec leurs assemblées générales, leurs délégués, leurs comités mandatés. À condition de préserver l’indépendance des organisations ouvrières de toute forme d’intégration à l’État ou de subordination à des mouvements divers. Alors, oui, la voie peut s’ouvrir, elle commence d’une certaine manière à s’ouvrir vers une autre issue.
S’il s’agit réellement de répondre à l’attente sociale de l’immense majorité, l’issue, c’est un gouvernement qui mène une politique pour la majorité : un gouvernement des travailleurs et des organisations unis prenant les mesures de rupture et d’urgence qui s’imposent pour garantir à tous un vrai travail, un vrai salaire, le maintien de toutes les garanties sociales, l’abandon des contre-réformes.
Avancer dans ce sens ne se fera pas à coups de toilettage de la Ve République. Instaurer une démocratie suppose la convocation tout de suite d’une Assemblée constituante disposant de tous les pouvoirs pour définir la forme de la démocratie. Laquelle est indissociable de son contenu : une véritable démocratie aujourd’hui doit s’étendre jusqu’au domaine économique et social, en rendant au peuple travailleur les richesses produites par son labeur, à commencer par le contrôle des grands moyens de production et d’échange.
C’est en ce sens qu’aujourd’hui Assemblée constituante et gouvernement ouvrier sont deux revendications liées. Une telle issue ne s’imposera pas en demandant à M. Macron de bien vouloir la concéder. Elle suppose l’irruption en masse de millions de travailleurs des villes et des campagnes – organisés sur leur propre terrain. C’est la grève générale ouvrière qui est à l’ordre du jour, pour ouvrir la voie au pouvoir de la majorité, c’est-à-dire à la démocratie.
Ces questions seront au centre des débats du IIIe Congrès du Parti ouvrier indépendant démocratique qui s’ouvre ce 19 janvier. Nous en rendrons compte dans notre prochain numéro.
(1) « Le siège du Medef, avenue Bosquet à Paris, souvent la cible de manifestations de travailleurs, a été totalement épargné par les “gilets jaunes” et par les violences au cours des samedis successifs d’événements parisiens », s’étonne Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef (Challenges, 12 décembre 2018).
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