L'annonce en fanfare et en chiffres de grands contrats lors des voyages à l'étranger – notamment en Chine – n'est " plus d'actualité " : ces déplacements ne sont pas faits pour cela. Emmanuel Macron l'a répété tout au long de sa visite d'Etat en Chine.
Pour les industriels français, elle s'est achevée, mercredi 10 janvier, sur un bilan honorable dont le président de la République s'est néanmoins refusé à chiffrer le montant. Pas question, a-t-il souligné, de fanfaronner comme son homologue américain, Donald Trump, qui avait estimé à quelque 220 milliards d'euros les commandes engrangées lors de son premier déplacement, alors qu'il s'agissait pour partie de mémorandums ou de lettres d'intention !
M. Macron a tout de même annoncé, mercredi, la finalisation prochaine d'un contrat de livraison de 184 A320 en 2019-2020, qui représente 18 milliards d'euros au prix catalogue
. Si l'Elysée assure qu'il s'agit d'une
" commande nouvelle ", Airbus laisse entendre que les discussions se poursuivent sur un nombre encore indéterminé d'A320 et de long-courriers A330.
Le chef de l'Etat a aussi précisé avoir reçu l'assurance que Pékin respecterait la parité des parts de marché Airbus-Bœing.
Le constructeur européen va accélérer la cadence de fabrication des A320 dans son usine de Tianjin (Nord-Est), qui passera de quatre à six par mois en 2020. De son côté, CFM International (Safran-General Electric) a vendu des moteurs d'avion et des contrats de maintenance pour 2,9 milliards. Paris a également obtenu une mesure importante : la levée,
" dans les six mois ", de l'embargo sur la viande bovine française imposé par Pékin en 2001 après la crise de la vache folle.
L'heure n'est plus à l'angélismeMais c'est sur le nucléaire que l'avancée est la plus prometteuse, en raison du montant du contrat (10 milliards) et de son importance vitale pour la filière française. Après dix ans d'âpres négociations, Areva et China National Nuclear Corporation ont signé un
" protocole d'accord commercial " pour la construction d'une usine du type de La Hague (Manche), qui traitera le combustible usé des centrales chinoises. La signature interviendra
" au printemps ", s'est avancé le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, alors que le groupe nucléaire est plus prudent sur le calendrier. Ce contrat
" historique " permettra, selon M. Macron, de
" sauver " le nouvel Areva recentré sur le cycle de l'uranium.
Au-delà des contrats, sa première visite en Chine – où il souhaite
" retournerau moins une fois par an " – a marqué une rupture avec les déplacements de ses prédécesseurs. Dans la communication, d'abord. Pourquoi si peu de contrats chiffrés ?
" C'est un peu ce que nous avons acté avec le président - chinois - , a-t-il souligné.
Nous voulons travailler dans la durée. Il y a des accords, c'est clair, on peut reconstituer les chiffres, si on veut. Mais je ne souhaite pas donner le sentiment que cette visite est là pour venir chercher un maximum de contrats, avec un montant affiché très élevé.
" Il a constaté que,
" par le passé, quand - ils l'avaient -
fait, la réalité n'était pas derrière les chiffres (…). - Il -
croi - t -
beaucoup plus aux réalisations concrètes qu'aux chiffres ".
Mais la rupture est surtout évidente dans la volonté affichée de rééquilibrer les échanges commerciaux. Membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2001, la Chine n'en demeure pas moins très protectionniste. Le déficit commercial franco-chinois a atteint 30 milliards en 2016. Puissant financièrement, le pays est en train de passer d'une économie de production à une économie d'innovation, en investissant massivement dans la R&D et en achetant des pépites industrielles occidentales pour une montée en gamme de ses produits.
Pour Paris, l'heure n'est plus à l'angélisme. D'emblée, le chef de l'Etat a placé sa visite sous le signe de la
" réciprocité " et d'une
" collaboration plus équilibrée ". Favorable aux nouvelles " routes de la soie " ouvertes par le président Xi Jinping pour relier son pays à l'Europe et à l'Afrique, il a prévenu qu'elles ne doivent pas être
" à sens unique ". Il faut, pour cela, que le Vieux Continent
" ne soit pas divisé ". Or,
" face à la Chine, l'Europe n'est pas cohérente ", a-t-il regretté, mercredi. Des pays
" s'ouvrent à l'encan ", comme la Grèce, d'autres sont
" trop frileux " par rapport à Pékin. M. Macron souhaite notamment que l'Union européenne définisse un périmètre d'investissements stratégiques où la vigilance s'impose.
" Rapport de force "Une démarche sur laquelle M. Le Maire s'est embarrassé de moins de circonvolutions diplomatiques. Il a révélé que Bercy refuse
" beaucoup " de projets chinois dans l'Hexagone, qu'il classe en deux catégories :
" les investissements sur le long terme ", bienvenus ; et
" les investissements de pillage ", retoqués. Le ministre de l'économie assure avoir utilisé le décret Montebourg, pris en 2014, pour bloquer l'offensive de groupes étrangers sur des entreprises françaises jugées stratégiques. Mais il le juge
" très limité " et annoncera des modifications le 15 janvier.
Les investisseurs chinois
" ne connaissent que le rapport de force ", a-t-il dénoncé. Un accord équilibré avec eux,
" c'est avoir accès au marché, ne pas se faire piller nos technologies et pouvoir fixer des limites quand ils viennent en France ". Ainsi s'est-il félicité du donnant-donnant proposé, mardi 9 janvier, par Richard Liu, PDG de JD.com, numéro deux chinois du commerce de détail électronique.
" On l'accepte, parce que dans la plate-forme installée en France, qui créera 1 000 emplois, il y a un volume de production de PME françaises qui sera exporté vers la Chine " pour 2 milliards d'euros sur deux ans, a-t-il expliqué. Il attend une telle réciprocité de Jack Ma, le patron du géant de l'e-commerce Alibaba.
Jean-Michel Bezat, Bastien Bonnefous et Brice Pedroletti (pékin, correspondant)
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