Tristement ", " sans surprise " et avec le sentiment que " les juges d'instruction et l'Etat ne veulent pas traiter ce dossier avec justice. " C'est avec amertume que la famille de Rémi Fraisse a accueilli l'ordonnance de non-lieu des juges d'instruction toulousaines. Lundi 8 janvier, les deux magistrates qui enquêtaient sur la mort du militant écologiste, tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 par l'explosion d'une grenade offensive sur le site du barrage de Sivens (Tarn), ont conclu que personne ne devait être poursuivi pour la mort du militant écologiste de 21 ans.
Cette décision était attendue, dans la mesure où aucune mise en examen n'avait été décidée au cours des plus de trois années d'enquête et que le parquet avait lui-même requis un non-lieu, le 20 juin 2017.
" Cela revient à donner un permis de tuer aux forces de l'ordre ", a réagi la famille de Rémi Fraisse, dans un communiqué.
" Nous allons faire appel ", ont déclaré leurs avocats, Arié Alimi et Claire Dujardin.
Au terme de leur instruction, les juges Anissa Oumohand et Elodie Billot ont estimé que le gendarme qui a lancé la grenade ayant tué Rémi Fraisse a agi dans les règles. Cette nuit-là, sur le site du projet de barrage de Sivens, les gendarmes mobiles devaient protéger de l'incursion de manifestants une zone vide mais destinée à accueillir des engins de chantier, dite
" zone de vie ". Peu avant 2 heures du matin, le gendarme Jean-Christophe J. décide de tirer une grenade pour
" provoquer le recul du groupe de manifestants se trouvant face à lui " mais
" sans avoir à aucun moment souhaité les atteindre ", conclut l'ordonnance de non-lieu que
Le Monde a consulté. Il a
" effectué les avertissements d'usage " et, au préalable,
" observé la zone distante d'une vingtaine de mètres ".
Les juges considèrent qu'il était, en outre, fondé à user de la force, car deux conditions étaient réunies : les militaires subissaient des violences et ils n'avaient d'autre moyen de défendre le terrain qu'ils occupaient.
" Les gendarmes étaient la cible de projectiles divers (pierres, cocktails Molotov, fusées de détresse…) de la part d'un nombre croissant d'opposants ", décrit l'ordonnance. Et le gendarme Jean-Christophe J.
" n'avait d'autre solution que de lancer une grenade (…)
en raison de l'impérieuse nécessité de mettre à distance les opposants les plus virulents dont certains étaient quasiment au contact ". Les forces de l'ordre
" ont adapté leur riposte, de façon parfaitement proportionnée ".
" Aucune faute caractérisée "De même, la chaîne de commandement
" n'a commis aucune faute caractérisée ", évacuent les juges. Au contraire, la famille de Rémi Fraisse considère que le préfet du Tarn de l'époque, Thierry Gentilhomme, a commis une série de négligences et d'imprudences, en donnant des instructions floues et en ne se rendant pas sur place. Dans un avis publié il y a un an, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, critiquait lui aussi
" le manque de clarté des instructions données aux militaires " et
" l'absence de toute autorité civile au moment du drame, malgré le caractère à la fois sensible, dangereux et prévisible de la situation ". Des circonstances ayant
" conduit les forces de l'ordre à privilégier (…)
la défense de la zone, sur toute autre considération, sans qu'il soit envisagé à aucun moment de se retirer ", disait Jacques Toubon. Au cours des affrontements, 42 grenades offensives ont notamment été tirées.
Les juges toulousaines ne voient là aucune faute pénale. La présence du préfet
" n'était pas une obligation légale ou réglementaire ", écrivent-elles. Les missions avaient été
" parfaitement comprises ". De même,
" sur la question de savoir s'il était justifié de garder un terrain vide de tout engin (…),
l'opportunité n'a pas à être appréciée par l'autorité judiciaire ", rappellent-elles, tout en précisant que le désengagement des militaires
" aurait créé une situation encore plus périlleuse pour eux ". Pour Arié Alimi, l'instruction aura été marquée par le refus des juges
" de faire aboutir la vérité ", en n'organisant pas de reconstitution ou en ne procédant pas à l'audition du préfet. Et en rejetant les demandes des parties civiles en ce sens.
" Tout a été mis en œuvre pour priver les victimes de leur participation à l'enquête ", dit Me Alimi.
Alors que le sort d'une autre " zone à défendre ", celle de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) doit être scellé dans les prochains jours, le décès de Rémi Fraisse, premier mort en manifestation sous un gouvernement socialiste, aura entaché le précédent quinquennat. A propos de Notre-Dame-des-Landes, le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a déclaré mercredi qu'il gérerait
" avec sang-froid " une éventuelle évacuation,
" en évitant qu'il y ait des morts ". Conscient que c'est là ce que les forces de l'ordre redoutent désormais.
Julia Pascual
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