La condamnation à mort, jeudi 18 janvier en Irak selon la presse allemande, d'une djihadiste allemande – une première pour une ressortissante européenne – éclaire d'un jour nouveau la situation des Français aux mains des autorités irakiennes. Si Paris souligne régulièrement la légitimité de Bagdad à juger les combattants étrangers arrêtés sur son sol, la question de la peine capitale, prévue par le droit irakien, met la France au défi de faire respecter ses valeurs et ses engagements internationaux.
Selon les informations du
Monde, une vingtaine de familles françaises – quarante adultes et soixante enfants – sont détenues par les forces kurdes de Syrie, qui n'appliquent pas la peine de mort. Cinq à six familles de Français membres de l'organisation Etat islamique (EI) ont par ailleurs été arrêtées en Irak, dont les adultes sont en revanche passibles de la pendaison s'ils viennent à être jugés par la justice irakienne.
Le cas de deux Françaises a été documenté : Melina B., 27 ans, originaire de Seine-et-Marne, est emprisonnée à Bagdad avec son dernier enfant âgé de quelques mois, les trois premiers ont été rapatriés en France. Djamila B., 28 ans, originaire de la région lilloise, est également détenue avec sa petite fille née sur place. Un troisième cas concerne une Tchétchène ayant obtenu l'asile politique en France. Selon une source diplomatique, elle aurait cependant perdu ce droit en rejoignant les rangs de l'EI.
Conflit de légitimitéLes avocats William Bourdon et Martin Pradel, qui défendent respectivement Melina B. et Djamila B., ont envoyé un courrier, mardi 23 janvier, au président de la République afin de l'interpeller sur le sort de leurs clientes à la lumière du précédent allemand. Rappelant les engagements internationaux de la France pour l'abolition de la peine de mort, un objectif qualifié de " combat civilisationnel "
par Emmanuel Macron devant
la Cour européenne des droits de l'homme, le 1er novembre 2017, ils appellent à une
" mobilisation sans faille de la France " si leurs clientes venaient à être condamnées à mort.
Les avocats insistent sur le respect des droits fondamentaux de celles-ci.
" Nous avons des doutes sérieux sur le caractère équitable de la procédure, ce qui doit être un paramètre supplémentaire de mobilisation des autorités françaises ", précise William Bourdon. Ces mêmes interrogations avaient conduit, en décembre, les Nations unies à demander la suspension immédiate des exécutions en Irak, après la pendaison de trente-huit prisonniers pour terrorisme.
Sur le plan juridique, la situation des Français détenus en zone irako-syrienne est un nœud gordien. Le procureur de Paris, François Molins, a souligné, mardi sur RTL, que tous étaient visés par des mandats de recherche ou des mandats d'arrêt, et que la justice française avait donc
" toute légitimité à les juger en France ". Mais, a-t-il ajouté, ils ont été arrêtés dans le cadre d'un conflit armé et
" les pays dans lesquels ont été commises des exactions ont eux aussi un droit légitime à les juger ".
Un conflit de légitimité qui, en l'absence de convention d'extradition avec Bagdad ou Damas, ne relève pas de la compétence de la justice française, mais de la protection consulaire, dont bénéficie tout Français emprisonné à l'étranger. La situation diffère cependant selon que ces djihadistes sont détenus en Syrie, pays avec lequel Paris n'entretient pas de relations diplomatiques, ou par les autorités irakiennes, considérées comme légitimes.
" S'agissant de nos ressortissants détenus en Irak, il revient d'abord aux autorités de ce pays de décider souverainement s'ils doivent faire l'objet de procédures judiciaires sur place, explique-t-on au ministère de la justice.
Ils ont commis des actes qui peuvent être qualifiés de délits ou de crimes en fonction de la législation irakienne. Néanmoins, ces personnes peuvent bénéficier de la protection consulaire. Notre réseau diplomatique est mobilisé en ce sens. "
" Raidissement " irakienUne source diplomatique résume l'exercice d'équilibrisme de Paris :
" C'est un sujet éminemment complexe : nous devons rester fermes sur nos valeurs mais, dans le même temps, nous ne pouvons imposer nos vues à un Etat souverain qui a, lui-même, été victime de ces terroristes. Le suivi consulaire veillera, en cas de condamnation à la peine capitale, à rappeler vivement la position de la France : tout sera mis en œuvre pour éviter que des Français soient condamnés à mort. "
Le sort de Lamia K., 50 ans, la ressortissante allemande condamnée le 18 janvier à être pendue en Irak, sera scruté par les chancelleries européennes. L'ambassadeur allemand à Bagdad a d'ores et déjà protesté auprès des autorités irakiennes, et selon le
Spiegel, Berlin entend tout mettre en œuvre pour que la condamnation de la détenue soit commuée en peine de prison. Interrogé par
Le Monde, le ministère des affaires étrangères allemand rappelle que l'Allemagne
" refuse la peine de mort en toutes circonstances ".
La volonté allemande s'est jusqu'ici heurtée à la justice irakienne. Un diplomate européen constate un
" raidissement " des autorités irakiennes à l'approche des élections législatives, prévues le 12 mai. Au sommet de la Haute Cour pénale, chargée des affaires de terrorisme, certains juges proches de Nouri Al-Maliki, prédécesseur et rival du premier ministre, Haïder Al-Abadi, pourraient être tentés de faire montre d'intransigeance et passer outre les garanties offertes éventuellement par le gouvernement irakien aux chancelleries européennes sur le sort de leurs ressortissants.
Cécile Boutelet (à berlin), -Hélène Sallon et Soren Seelow
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire