Des milliers de Kurdes sont morts pour débarrasser la Syrie et le monde du fléau de l'organisation Etat islamique. Ces femmes et ces hommes courageux, soutenus par la coalition internationale, ont brisé le mythe d'invincibilité de Daech (acronyme arabe de l'organisation EI), l'ont chassé village après village de tous les territoires où il sévissait y compris de Rakka, capitale de son prétendu califat.
Parallèlement aux combats, les Kurdes ont mis en place des institutions, des conseils élus représentatifs des populations locales pour gérer ces territoires. Ils y ont accueilli, avec très peu d'aide internationale, plus d'un demi-million de réfugiés et de déplacés en grande partie arabes fuyant la barbarie de Daech ou celle du régime syrien. Au moment où, après sept années d'épreuves, ils pensaient entrevoir la fin de cette guerre et s'apprêtaient à organiser des élections, les voilà en butte à la vindicte du président turc Erdogan, déçu par la défaite de ses alliés djihadistes et la faillite de sa politique syrienne.
La Turquie, qui s'est jusqu'à la fin 2015 fort bien accommodée de la présence de Daech à sa frontière, qui a soutenu, abrité, formé, armé divers mouvements djihadistes, lance ses chars et son aviation contre le paisible canton d'Afrin sous prétexte d'y éradiquer la milice kurde " terroriste " qui menacerait ses frontières, exposant ainsi des centaines de milliers de civils à l'exode et à la famine. Elle veut y installer ses auxiliaires syriens, pour la plupart issus de diverses factions djihadistes estampillées pour l'occasion Armée syrienne libre et détruire les institutions laïques locales.
Acte délibéré d'agressionVoilà qu'Afrin, qui est restée à l'écart de la guerre et a servi de refuge à des populations déplacées, est menacée d'occupation et de destruction par le tyran d'Ankara. Un tyran qui, non content d'avoir dévasté une quinzaine de villes du Kurdistan turc, d'avoir embastillé des milliers de patriotes kurdes, s'en prend maintenant au Kurdistan syrien pour créer une zone tampon le long de sa frontière avec la Syrie. Cette invasion se fait avec le feu vert de la Russie, qui contrôle l'espace aérien syrien, et de Damas, qui considère les combattants kurdes comme des " traîtres " en raison de leur coopération avec les Etats-Unis et la France dans la guerre contre Daech.
Et que font ces alliés occidentaux pour défendre leurs frères d'armes agressés ? Rien, sinon quelques vagues déclarations appelant la Turquie à la "
retenue ". Aucun n'a osé condamner Ankara pour cette agression délibérée. On dirait que le tyran turc qui terrorise sa population tétanise aussi les dirigeants occidentaux.
L'invasion turque est clairement un acte délibéré d'agression. Le canton d'Afrin n'a servi de base à aucune attaque contre la Turquie. Le reste du territoire du Kurdistan syrien non plus. La frontière turco-syrienne était pour le moins poreuse jusqu'en 2015, quand elle était contrôlée côté syrien par Daech. Les Turcs ont construit un mur de 600 km dès que ce sont les forces kurdes qui en ont pris le contrôle en chassant les djihadistes.
Quant au terrorisme, pour le président turc, tous ceux qui, avocats, journalistes, universitaires, militants politiques, ne sont pas d'accord avec lui sont terroristes s'ils sont kurdes ou supposés pro-kurdes ou partisans de la paix ou sympathisants de son ex-allié le prédicateur Fethullah Gülen. Les opposants turcs laïques sont considérés comme " traîtres
". Et si l'on admet avec Erdogan que les YPG (Unités de protection du peuple) sont des terroristes, les Etats-Unis et la France seraient alors coupables de collaboration avec une organisation terroriste !
Le régime islamo-fasciste que M. Erdogan met en place en Turquie, avec le soutien du Parti du mouvement national (MHP, ultranationaliste), a mis au pas les médias, la justice et la société civile. Même les mosquées doivent répondre à l'unisson aux ordres du chef. Détesté par une bonne partie de la population en raison de ses outrances, de sa répression massive, de son démantèlement de l'Etat de droit, isolé sur le plan international, le président turc se lance dans une fuite en avant dans l'espoir que des victoires militaires extérieures viendront redorer son blason.
Après bientôt quarante années de guerre, plus de 50 000 morts, deux à trois millions de déplacés, 3 400 villages, des forêts et l'économie agropastorale kurdes détruites, la Turquie croit encore à une impossible victoire militaire contre la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et pour cela, elle risque de mettre toute la région à feu et à sang.
Le président turc, par ses postures, ressemble de plus en plus au Saddam Hussein des dernières années. Il est devenu un véritable danger pour la stabilité et la paix régionales. Un danger que l'on ne saurait conjurer par des politiques d'apaisement ou des silences honteux. La France, qui a des responsabilités historiques – c'est elle qui avec l'Empire britannique a dessiné la carte du Proche-Orient, entérinant le partage du Kurdistan – et des liens affectifs forts avec le peuple kurde, doit user de toute son influence à l'ONU et en Europe. Elle doit faire respecter le droit international, pour forcer la Turquie à retirer sans délai ses troupes d'Afrin, pour veiller à ce que ses alliés kurdes ne soient pas sacrifiés sur l'autel de la realpolitik lors des négociations sur l'avenir de la Syrie et pour initier un processus de paix afin de régler la question kurde en Turquie dans le cadre des frontières existantes.
Kendal Nezan
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