Théologie et idéalisme en Histoire
Il existe plusieurs conceptions de l’histoire humaine, plusieurs façons d’envisager et d’expliquer les événements, leur cause et leur enchaînement. L’idée selon laquelle « les hommes font leur propre histoire », banale en elle-même, est de nos jours encore, une idée révolutionnaire. Elle semble buter sur un autre constat : les hommes ne sont pas maîtres de leur destinée. Dès lors, qui pourrait en être « l’intelligence créatrice » ? Quelle « volonté » ?
Il était donc tentant de penser que le mouvement historique de notre espèce était la manifestation de la volonté d’une ou plusieurs divinités, voire de « la colère des Dieux ». Il en découla une conception théologique de l’Histoire. Laquelle fut illustrée par Augustin d’Hippone allias Saint Augustin 1 . Cette conception fut introduite ainsi
« "Considérez ce Dieu souverain et véritable, dit-il, ce Dieu unique et tout-puissant, auteur et créateur de toutes les âmes et de tous les corps... qui a fait de l'homme un animal raisonnable composé de corps et d'âme, ce Dieu, principe de toute règle, de toute beauté, de tout ordre qui donne à tout le nombre, le poids et la mesure, de qui dérive toute production naturelle, quels qu'en soient le genre et le prix, je demande s'il est croyable que ce Dieu ait souffert que les empires de la terre, leur domination et leur servitude restassent étrangers aux lois de la Providence" (Cité de Dieu, traduction Emile Saisset, livre V, chap. XI, pp. 292-293). 2
Quand l’histoire tend vers l’essor du christianisme
Plus tard, cette conception fut affinée par Bossuet. Revenant sur les grands empires de l’antiquité, Bossuet 3 affirme :
" Ces empires ont une liaison nécessaire avec l'histoire du peuple de Dieu. Dieu s'est servi des Assyriens et des Babyloniens pour châtier ce peuple, des Perses, pour le rétablir, d'Alexandre et de ses premiers successeurs, pour le protéger d'Antochius l'Illustre et de ses successeurs, pour l'exercer ; des Romains, pour soutenir sa liberté contre les rois de Syrie, qui ne songeaient qu'à le détruire. Les Juifs ont duré jusqu'à Jésus-Christ sous la puissance des mêmes Romains. Quand ils l'ont méconnu et crucifié, ces mêmes Romains ont prêté leurs mains sans y penser, à la vengeance divine et ont exterminé ce peuple ingrat" (Discours, éd. Garnier frères, p.334). » 3
De fil en aiguille, nous réalisons que toutes les gesticulations humaines d’ici-bas ne font que concourir à un but unique, à l’insu même des protagonistes : l’essor de la religion chrétienne (catholique voulant dire « universel ») et la gloire de Dieu.
La main de Dieu
Mais, la seule volonté de Dieu ne peut pas tout expliquer. Et si elle devait expliquer tous les événements, le Seigneur pourrait passer pour…un démon. Bossuet poursuit :
« Les hommes et les nations ont eu les qualités, proportionnelles à l'élévation à laquelle ils étaient destinés, et qu'à la réserve de certains coups extraordinaires, où Dieu voulait que sa main parût toute seule, il n'est point arrivé de grand changement qui n'ait eu ses causes dans les siècles précédents . Et comme, dans toutes les affaires, il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre, et ce qui les fait réussir, la Vraie science de l'histoire est de remarquer dans chaque temps ces secrètes dispositions qui ont préparé les grands changements et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver." (Discours, pp. 339-340). » 4
Le passé éclaire le présent
Ainsi, à sa façon, Bossuet nous révèle que « le passé éclaire le présent ». Et invoque « une vraie science de l’Histoire ». Mais dès l’instant où l’on peut trouver des causes humaines dans le passé, établir une relation de cause à effet entre des événements anciens et des événements récents, nous « n’avons pas besoin de l’hypothèse de Dieu », pour reprendre une réplique du mathématicien Laplace au général Bonaparte. Les événements historiques, hors quelques miracles, ont une explication naturelle, de l’aveu même de Bossuet, et non spirituelle et « providentielle ». Les qualités que Dieu a données aux hommes agissent pour ainsi dire « toutes seules ». A son corps défendant, Bossuet ouvre une brèche à la conception théologique de l’histoire. C’est dans cette brèche que Voltaire va s’engouffrer, un siècle après lui.
L’opinion gouverne-t-elle le monde ?
La conception théologique de l’Histoire faisait dépendre le cours de l’histoire de la volonté de divinités ou d’agents surnaturels, les conceptions qui lui succèdent au « siècle des lumières » expliquent cette fois les événements au travers du prisme des idées, de l’évolution des mœurs ou du mouvement de « l’opinion ». C’est ce que nous appelons la conception idéaliste de l’Histoire.
Selon cette conception, qui a la vie dure, c’est l’opinion qui gouverne le monde. Et ce qui cause le plus grand tort à l’humanité est l’ignorance. Mais aussi, les préjugés.
Cette conception idéaliste anime, à leur corps défendant, bien des courants antireligieux actuels, qui voient dans les religions les causes des guerres, des actuels attentats et de différentes formes de barbarie…
Daniel Petri,
22-06-2016
22-06-2016
Prochains exposés : conceptions idéalistes et évolutionnistes classiques de l’Histoire -
1. Augustin d'Hippone (latin : Aurelius Augustinus), ou saint Augustin, né dans la Province d'Afrique au municipe de Thagaste (actuelle Souk Ahras, Algérie) le 13 novembre 354 et mort le 28 août 430 à Hippone (actuelle Annaba, Algérie) est un philosophe et théologien chrétien romain de la classe aisée, ayant des origines berbères, latines et phéniciennes.
2. Cité par Gheorgi Plekhanov. La conception matérialiste de l’histoire.https://www.marxists.org/francais/plekhanov/works/1904/00/plekhanov_19040000.htm
3. Jacques-Bénigne Bossuet (surnommé parfois l'« Aigle de Meaux »), né le 27 septembre 1627 à Dijon (France) et décédé le 12 avril 1704 à Paris était un homme d'Église, évêque de Meaux, prédicateur et écrivain français
4. Cité par Gheorgi Plekhanov. La conception matérialiste de l’histoire.https://www.marxists.org/francais/plekhanov/works/1904/00/plekhanov_19040000.htm
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