Du Brexit et de Madrid, perplexe mais motivé
À la sortie de l’Élysée, je suis revenu chez moi en courant chercher mes affaires puis prendre mon avion pour Madrid où il avait été convenu que je participerai à la soirée électorale avec la coalition Unidos-Podemos. Je ne raconte pas la visite à l’Élysée car Danielle Simonnet et Éric Coquerel, qui m’y accompagnaient, l’ont fait sur leurs blogs respectifs. Et comme je me suis exprimé sur le perron de l’Elysée, je ne vois rien à y ajouter.
Je fais un point rapide sur le Brexit, quoique je me sois aussi beaucoup exprimé sur le sujet. Je ne suis plus ni choqué ni meurtri du fait que la meute ait recommencé ses hurlements en assimilant mon point de vue à celui du FN. Nous savons tous dorénavant que c’est là une expression de la peur panique des importants et de leurs médias. Ils continuent à penser qu’en caricaturant et en assignant à domicile d’extrême droite (racistes, xénophobes et blablabla…) ceux qui critiquent l’Europe ils maintiendront le silence dans les rangs et une saine peur de moutons bêlant autour des bons bergers. Mais, en fait, c’est surtout l’aveu du fait qu’ils sont incapables de dire un mot en faveur de l’Europe elle-même ou de sa contribution au bonheur des gens. Tout simplement parce que c’est impossible. D’Europe ne viennent que des malheurs. Restent donc juste comme liant la peur, la matraque, les sanctions comme arguments pour notre chère Union européenne. À moyen terme, ils ont perdu d’avance.
Je parle davantage ici des élections en Espagne. Le score de Podemos était très attendu. Ce n’est pas que nous ayons des modèles, ni rien de ce qui excite les commentaires habituels où se mélangent si souvent l’ignorance des situations réelles et l’arrogance intellectuelle qui vont si souvent ensemble dans les commentaires des professeurs « je l’avais bien dit ». Car tout le monde le sait : au total, rien n’est transposable de ce que l’on observe ailleurs que chez soi. Mais comprendre, c’est déjà apprendre. Apprendre, c’est accumuler l’expérience qui alimente l’imagination et affine les décisions.
Je dirai, certes, ce que j’ai vu et entendu à Madrid. Mais je ne crois pas que ce soit utile d’en déduire déjà trop de choses car tout cela est beaucoup trop frais pour être encore bien digéré. Je vais devoir encore beaucoup écouter et lire. Du moins suis-je débarrassé des parallèles à propos de l’alliance avec le Parti communiste qui semble avoir coûté si cher à Podemos. En France, Le PCF a choisi à une écrasante majorité de tourner le dos à ma candidature et de me combattre de pied ferme. Dont acte.
L’actualité du weekend a servi de piqûre de rappel sur la situation. Une fois de plus, le sigle « Front de gauche » a été privatisé, cette fois ci au profit de la fédération de Loire-Atlantique du PCF. Celle-ci soutenait la décision de l’exécutif national du PCF en faveur du « oui » à l’aéroport Vinci de Notre-Dame-des-Landes. C’est évidemment une implication exceptionnelle de la direction nationale du PCF dans un dossier réputé local. Le motif de cet engagement doit sans doute être lui aussi exceptionnel. Les floués de l’affaire ne sont pas seulement les partenaires du Front de gauche partisans du « non » et foulés au pied. Il y a aussi les fédérations communistes des départements environnants, toutes opposées à l’aéroport. Inutile de s’acharner : le PCF a montré de toutes les façons et dans tous les cas possibles depuis des mois quel usage en solo il fait de ce qui était sigle commun. Comme il est impossible d’obtenir du PCF qu’il assume sous son propre sigle ses propres positions et candidatures, quiconque refuse d’être annexé de cette façon grossière et brutale, pour un usage contraire à ses convictions, doit se tenir à distance.
Pour moi, la page est donc tournée. Je ne veux rien avoir à faire avec un habit aussi usurpé que celui-là. C’est clair : « La France insoumise » est le cadre et le sigle dans lequel se situe la campagne que j’anime pour les élections présidentielles et législatives. Cela n’enlève rien aux questions qui se posent à propos de la façon de vouloir rassembler une nouvelle majorité populaire en France et sur la meilleure méthode pour fédérer le peuple.
Les élections législatives en Espagne ont donné tort aux instituts de sondage. Le parti de la droite traditionnelle en sort vainqueur. Ce n’est pas un bon signe sur la santé de la société espagnole, travaillée en profondeur par un conservatisme tel qu’elle préfère reconduire une équipe empêtrée dans près de deux cents causes de corruption devant les tribunaux. Mais la peur, celle des rouges, celle des référendums, a été, semble-t-il, la plus forte auprès de l’Espagne réactionnaire. Je dis « semble » car le niveau de vilenie auquel le PP est capable de s’abaisser pour réussir est sans bornes. Une sordide affaire récente d’intervention du ministre de l’Intérieur auprès de procureur pour se procurer des arguments d’incrimination contre les dirigeants indépendantistes en atteste.
Depuis, le résultat si étonnant par rapport aux enquêtes sorties des urnes soulève déjà des interrogations. Une pétition très virale circule, montrant que la transmission des résultats se fait dans des conditions étonnantes. Il faut dire que j’en ai appris de belles qui ne choquent personne en Espagne. Par exemple, sachez que là-bas on n’est pas obligé de passer dans l’isoloir pour voter. Il faut le vouloir. Ceux qui le font, dans les villages, sont évidemment aussitôt considérés comme ayant quelque chose à cacher. À qui ? Au maire évidemment et à son parti. Quelle importance ? La voici. C’est la mairie qui donne les « peonadas », journées de travail permettant une fois atteint un certain volume de bénéficier de la sécurité sociale. Un peu comme le régime des intermittents. Le vote local est donc souvent bien verrouillé et contrôle de visu par les notables locaux et leurs agents électoraux….
Le choc de la peur a été administré comme d’habitude par le système médiatique. Car, à proprement parler, le PP n’est pas un parti capable, en 48 heures à partir du Brexit, de répandre un argumentaire assimilant Podemos à des organisateurs de référendum irresponsables. C’est la presse écrite et télévisuelle qui s’y est attelée en martelant pendant deux jours les mêmes éléments de langage répétés en boucle. Preuve qu’une fois de plus, le vrai parti politique des conservateurs de l’ordre établi, c’est bien le système médiatique. Avant cela, il avait déjà fait fureur dans le dénigrement. Face à Pablo Iglesias, la machine a donné à fond dans le registre habituel : son physique, son agressivité, son « amour » pour Cuba et le Venezuela et ainsi de suite dans le registre que l’on connaît aussi en France et partout où l’un des nôtres fait campagne. Après cela, le résultat du PP montre qu’il aurait manifestement récupéré un grand nombre de ses électeurs partis en décembre derniers vers Ciudadanos, la formation qui se proposait de nettoyer les écuries d’Augias de la droite traditionnelle.
À gauche, la nouveauté était évidemment que Podemos avait décidé de revenir dans le champ traditionnel en se positionnant aux côtés « d’Izquierda Unida », le Front de gauche historique espagnol. Mais celui-ci, totalement récupéré par le PC espagnol, n’avait fait que 3,87 % aux élections de décembre dernier. Son nouveau jeune dirigeant avait obtenu l’accord, dans une perspective de rénovation, qui l’a conduit à faire le ménage en profondeur là où, comme à Madrid, les dirigeants locaux avaient été impliqués dans des affaires de corruption très disqualifiantes.
À chaud, une partie des analystes a voulu voir dans cette alliance entre Podemos et IU la cause de la reculade de plus d’un million de voix de la coalition par rapport aux résultats de décembre dernier. Cette thèse s’appuie sur le fait qu’une partie de la direction de Podemos, autour d’Íñigo Errejón, fait sienne cette analyse et mettait en garde avant que l’accord soit conclu. Bien sûr, je résume ici assez sommairement les points de vue. Il est clair que le retour à une latéralisation très traditionnelle a eu lieu en même temps qu’un recul asse spectaculaire. Mais les deux phénomènes sont-ils aussi liés que l’affirment ceux qui en font l’explication de la situation ? Je ne le sais pas. Je veux dire que j’attends d’en entendre et d’en lire davantage sur le sujet avant de conclure.
D’autres imputent la difficulté au fait que l’on votait, pour la deuxième fois, avec les mêmes en six mois. Et que les interminables tractations entre le PS et Podemos auraient jeté une ombre malfaisante sur la jeune formation de nos amis. Je ne sais. Mais il faut entendre aussi ce message. Je crois qu’une piste très sérieuse d’analyse doit tout de même partir de l’analyse de la campagne de nos adversaires. Une vieille manie de l’autoflagellation jointe à l’ancien avant-gardisme selon lequel il existerait une juste ligne qui garantirait la victoire fait souvent oublier ce minimum de bon sens qui consiste à se rappeler que personne n’est seul au monde et qu’une polémique électorale, une campagne, cela produit un effet dans la réflexion et le vote des citoyens… La droite et les médias ont joué la peur des référendums sur l’indépendance des autonomies régionales juste après le Brexit. Ils ont joué les divisions internes de Podemos comme une preuve de son immaturité à gouverner. Ils ont joué sur la distance qui se maintenait dans l’attelage quand IU et Podemos menaient chacun de leur côté une campagne dont j’ai pu voir un moment avec ce spectacle étonnant de deux soirées électorales dans un même lieu dimanche soir. Ils ont joué sur la peur du retour du parti communiste.
Et aussi sur la polyphonie de la campagne parfois poussée jusqu’au ridicule : quinze ou vingt orateurs et oratrices présentant une ligne différente chacun et parfois contradictoire. Et la coalition a joué sur un registre « détendu » pour répliquer a l’accusation d’agressivité. Le mot d’ordre central était « le sourire d’un pays » et le programme présenté sur une mise en page pastichant le catalogue IKEA. Cela n’a pas relâché la pression sur eux pour autant. Les enquêtes les donnant en deuxième position des votes et aux portes du pouvoir, se voient reprocher à présent leur effet émollient. Elles aboutissent à présent à présenter comme une défaite un score de 20% dans un contexte de recul de la participation. On a connu nous aussi cela quand on m’annonçait à 18% en 2012 et que l’on présenta nos quatre millions de voix comme un échec… J’énonce tous ces arguments parce que je les ai entendus à peine arrivé sur place à Madrid et davantage encore dès les résultats connus dans les messages publiés sur les réseaux sociaux. Cela ne veut pas dire que je les partage.
Un mot à présent sur le PS espagnol. Il est parvenu à sauver sa 2ème place. Du coup, il pavoise après avoir eu si peur ! Il s’agit pourtant de son plus mauvais résultat depuis la fin du franquisme ! En Andalousie même, il est dépassé par la droite, évènement sans précédent ! Son agressivité contre Podemos est au diapason de tous les PS d’Europe qui ont préféré s’allier avec la droite dans des gouvernements de grande coalition plutôt que de s’allier avec les forces alternatives comme les nôtres quand il s’agit de les voir gouverner. Ce qui en dit long sur la sincérité réelle de leur chantage à propos de la menace de la droite et de l’extrême droite.
D’ailleurs, si le PP reste le premier parti en pourcentage et en voix, il n’a pas de majorité seul. Sur le papier, la gauche a gagné en décembre dernier et encore cette fois-ci en additionnant les voix des autonomistes et indépendantistes, une alliance PSOE/Unidos Podemos serait en capacité de gouverner. Mais les gardiens du libéralisme que sont devenus les socialistes n’acceptent aucun programme de rupture avec l’austérité et la politique de l’offre. Dès lors, en rester sur ce constat du nouveau sursis obtenu par le PS pourtant en plein déclin serait cependant se tromper de perspective historique. La dynamique dans la société est autre. En trois ans, le mouvement dirigé par Pablo Iglesias a changé la donne et cassé le bipartisme en Espagne. Pour la seconde fois, il dépasse les 20 % et talonne le PS en conservant le même nombre de députés. L’une des raisons principales de l’ascension de Unidos-Podemos est la création d’un nouveau mouvement.
Ce résultat rappelle donc la nécessité de recomposer en profondeur notre espace politique pour engager une dynamique populaire à vocation majoritaire dans la société. C’est justement ce que nous voulons impulser en France en articulant la campagne présidentielle avec l’émergence de « la France Insoumise » en tant que cadre commun d’action pour ceux qui s’engagent. Bien sûr que tout y est à inventer et à mettre en place avec les groupes d’appui qui se constituent par dizaines depuis la création du mouvement. Mais cet aspect est central dans la démarche engagée avec ma candidature. Elle vise 2017 mais aussi bien au-delà, en cas de victoire comme en cas d’échec. Une nouvelle pérennité, une nouvelle référence est à construire. J’en suis le vecteur intransigeant. Mais provisoire, par une salutaire force des choses.
C’était une grande et grosse affaire que le référendum en Angleterre pour ou contre l’appartenance à l’Union européenne. Je ne croyais pas aux chances du « oui ». Quelles raisons auraient un Anglais du commun de voter pour que continue ce qu’il ressent au mieux comme un poids mort sans saveur ni odeur, au pire comme une menace permanente ? Comme d’habitude, les argumentaires du « oui à l’Europe » tournaient en rond, prenant l’électeur pour un imbécile sans cervelle. À force de s’entendre annoncer tous les malheurs et même l’hiver atomique, ceux qui doutent s’offensent d’être traités de la sorte et la propagande du « oui à l’Europe » devient le premier véhicule du « non ».
Mais cela même devrait faire réfléchir les eurolâtres. Comment se fait-il que, pour défendre l’idée européenne, vous n’ayez rien d’autres que des menaces à mettre en scène ? Certes, vous pourriez parler du progrès social. Mais tout le monde sait qu’avec la directive service, l’interdiction de l’harmonisation sociale et fiscale, il ne saurait en être question. Cette arnaque a déjà trop servi ! Cette ruse ne fonctionnerait pas. De l’Union européenne ne viennent que chômage et misère, et tout le monde le sait surtout depuis la Grèce. Vous pourriez proposer le rêve spatial ou que sais-je encore qui soit juste un dépassement de l’esprit d’épicerie rance qu’est « le projet européen » ? Non, ce n’est plus possible pour cause de désengagement des États. Le programme Erasmus ? Ah ! Non plus car c’est devenu un fétide programme de crédit bancaire aux étudiants. La paix ? Hum, passons vite car il faudrait expliquer pourquoi nous avons repris la guerre froide et parfois chaude comme en Ukraine avec la Russie. Bref, je n’insiste pas.
L’Europe ne peut plus être un rêve pour personne. Elle est laide, injuste, sans ambition humaine. Donc le Royaume-Uni a voté non. Le gouvernement Cameron est tombé. Et c’est le début de la fin car le modèle sera contagieux. En effet, une fois passés les quelques jours de crise, tout le monde se rendra compte qu’il n’y a aucune conséquence à cette décision, en tous cas aucune des apocalypses annoncées n’aura eu lieu.
Avant d’en dire davantage, méditons sur la façon avec laquelle le monstre libéral s’est lui-même coupé la gorge à l’initiative d’un gouvernement libéral dans un pays dévoré par le libéralisme le plus grossier et le capitalisme financier le plus arrogant ! Le sordide égoïsme social que contient la logique des libéraux en Europe les aura à menés à détruire leur propre cadre d’action. Tant mieux pour nous ! Il faut bien voir que si l’échec de l’Union européenne telle que nous la connaissons est une vérification jubilatoire de nos analyses, pour autant nous ne saurions applaudir sans réfléchir, ni surtout aller à des surenchères qui pourraient toutes fort mal tourner. La France n’est pas une province à l’intérieur d’un Empire européen. C’est un des deux pivots de l’équilibre continental avec l’Allemagne, étant entendu qu’à mes yeux il n’y a pas de signe égal entre ces deux nations, la seconde ayant prolongé dans la paix les méthodes de violences et d’annexion économique qu’elle gérait autrefois par la guerre. Encore une fois : le dire, l’écrire et y réfléchir n’est pas faire preuve de germanophobie comme l’ont affirmé sans relâche maints roquets. C’est voir en face la réalité pour éviter qu’elle vous subjugue. Notre intérêt comme nation, autant que nos projets de paix perpétuelle en Europe, nécessitent que nous assumions nos responsabilités continentales.
Le Brexit lâche bien des bondes. On peut voir le Royaume-Uni se désunir sous nos yeux et donner des opportunités inouïes Outre-Manche aux indépendantistes de longue main comme les Écossais ou les Irlandais. Certes, la France ayant avec ceux-ci des accointances multiséculaires, on serait tenté de voir la chose avec le sourire. D’autant que les eurocrates souhaitent punir les coupables d’avoir mal voté. Tendance malsaine dont on n’a pas fini non plus d’éprouver la terrible logique. Car si les frontières doivent bouger à l’intérieur des nations, à cause et d’après l’Union européenne, c’est une terrible boîte de Pandore qui pourrait s’ouvrir. Vous vous étonnerez d’apprendre que la première chose que j’ai dite à l’Élysée, c’est qu’il fallait éviter la logique de représailles, quand bien même un nouvel équilibre plus favorable à la France pourrait suivre cette mise à l’écart du Royaume-Uni. Je ne suis pas certain que la tentation soit écartée.
Commençons par dire les choses simplement : il est normal de voter non à l’Union européenne actuelle. C’est d’ailleurs la cinquième fois qu’un peuple européen dit « non » à ce que propose l’UE après les référendums en France et aux Pays-Bas en 2005, en Irlande en 2008 et en Grèce l’an dernier. C’est que l’UE, ce ne sont pas seulement des belles paroles des perroquets eurobéats. Ce sont d’abord des réalités sociales lourdes et connues. L’UE, c’est la loi El Khomri née des recommandations de la Commission européenne au gouvernement français et du marchandage de François Hollande avec Angela Merkel en matière de déficit. L’UE, ce sont les services publics dévastés par la libéralisation du rail ou de l’énergie et par les politiques d’austérité. L’UE, c’est la délocalisation à domicile institutionnalisée avec le système de détachement de travailleurs qui permet de faire travailler en France un salarié d’un autre pays de l’UE en payant les cotisations sociales de son pays d’origine. L’UE, c’est évidemment le libre-échange absolu, par exemple en matière de sidérurgie : les multinationales ferment les usines en Europe mais peuvent importer librement de l’acier chinois. L’UE, c’est enfin la concurrence déloyale et le dumping social et fiscal comme seule méthode « d’harmonisation », c’est-à-dire l’harmonisation par le bas.
Il est donc de normal que les classes populaires refusent massivement l’Union européenne. Le vote britannique est clairement un vote anti-oligarchie. C’est un vote du « peuple », avec ses contradictions, ses difficultés, mais aussi ses aspirations profondes à être maître de sa vie, individuellement et collectivement, en tant qu’individu et en tant que Nation. Ceux qui ont voté pour quitter l’Union européenne sont d’abord des pauvres, des ouvriers et employés, des chômeurs, des personnes peu ou pas diplômées, des habitants de petites villes industrielles en souffrance ou de territoires ruraux abandonnés. C’est-à-dire ceux qui ont précisément besoin de l’État, de ses services publics et de son intervention sociale et économique pour pouvoir vivre dignement.
Il est frappant de voir comment les commentaires d’explication du vote triaient avec mépris les gens des territoires abandonnés en les opposant à la jeunesse branchée et supposée instruite des centres-villes. Le même mépris de classe qui avait accablé les vainqueurs de 2005 en France de la part des élites glapissantes du système politique et médiatique dominant. Que cet abandon social et l’absence de campagne progressiste contre l’UE ait ouvert un boulevard aux discours xénophobes est une réalité. Mais la cause profonde du « Brexit » n’est pas dans ce symptôme. Preuve en est, même les plus xénophobes comme Nigel Farage, chef du parti d’extrême-droite UKIP, ont été obligés de faire de la défense du service public de santé un des axes principaux de leur campagne. Est-ce à dire que défendre les services publics serait d’extrême-droite ? Bien sûr que non.
Ce non est d’abord l’échec de l’Europe allemande. Cette Union européenne de l’austérité, du dumping, du libre-échange. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant qu’il vienne du Royaume-Uni quand on sait que le Premier ministre britannique, David Cameron, a été l’un des principaux alliés de Mme Merkel en Europe ces dernières années. Dès lors, reprocher le « nationalisme » des votants pour justifier la poursuite de la même politique « d’intégration » européenne à marche forcée est une lourde faute. On n’éteindra pas l’incendie nationaliste avec les pyromanes qui l’alimentent chaque jour par leurs politiques anti-populaires.
Mardi, au Parlement européen, les députés devaient voter sur une appréciation de la situation après cet évènement terrible. Ce qui est consternant c’est le niveau des textes proposés. Déjà notons ce fait : la droite, le PS et les verts déposent le même texte… On pourrait s’en réjouir et signaler une conscience historique commune. Que nenni. C’est une plate compilation de syndic de faillite. Sans l’ombre d’une auto-critique sur ce qui a pu conduire le peuple anglais à rejeter l’Union européenne pourtant si délicieuse d’après ces braves gens, le texte compile en une phrase toutes les mantras libéraux de la maison. Mais sa conclusion est une fulgurance magistrale : l’Union européenne doit se reformer pour répondre aux exigences des peuples ! En l’apprenant, les peuples vont sans doute se rassembler pour sauter de joie sur les places publiques ! De quelles exigences s’agit-il ? On ne le dit pas. En tous cas, ce qui est dit en commun par ces partis du système c’est que les « opportunités du traité de Lisbonne doivent être mieux exploitées ». Charmant aveu ! C’est une déclaration d’adhésion à ce traité qui est d’habitude moins affichée en France où l’on se souvient que le traité de Lisbonne est celui que signa Sarkozy après le « Non » des Français en 2005. Le traité de Lisbonne foulait aux pieds le vote des Français en reprenant mot pour mot le texte qu’ils avaient refusé !
Le creux et venteux texte des trois partis eurolâtres ne doit pas faire manquer la lecture de la résolution de l’extrême droite sous la houlette de madame Le Pen. Un pauvre texticulet rappelant pédamment diverses platitudes réglementaires et se concluant par un pompeux item pour demander… la transmission de cette motion à divers organes de l’Union dans le style notarial qui sied si bien à ceux qui n’ont pas d’idées. Au milieu de cette pauvre prose, des félicitations pour la décision du peuple anglais. Point. Une vision de l’histoire et du moment politique où le FN très divisé n’a pas l’intention, lui non plus, de se poser des questions sur les causes du rejet anglais et de son contenu social autant que purement national.
Je ne dis pas que le texte de la GUE soit un monument de vision historique, cela va de soi parce que ce n’est pas le cas. La GUE aussi a ses eurolâtres aveuglés et ses « modérés » qui craignent l’opprobre que vaut à ses auteurs toute critique qui touche au fond de la nature actuelle de l’Europe. De toute façon, certaines pudeurs de gazelle sont désormais débordées par les audaces de quelques lucides dans le camp du système. En effet à présent, même Martin Schultz, le président social-démocrate allemand du Parlement européen veut « refonder l’Europe ». Ironie de l’affaire c’est là notre slogan pour la campagne européenne en France de 2014. Je m’amuse de penser que tant n’en voulaient pas et non des moindres jusque dans nos rangs d’alors ! Mais le texte de la GUE a le mérite de situer les responsabilités. Il met en cause les directives antisociales, notamment celle sur les travailleurs détachés qui jettent les salariés les uns contre les autres dans les divers pays ou cette « délocalisation à domicile » sur place s’opère. En cela, il nous permet de ne pas accepter les éléments de langage dominant depuis la décision anglaise. Il refuse d’attribuer aux nationalistes et aux xénophobes le vote du oui à la sortie de l’union. Il ramène la question posée dans son environnement social et dans son ancrage dans la vie réelle des gens plutôt que dans les limbes de la politique conventionnelle où les électeurs sont censés être les troupeaux dociles des cartels de partis.
Évidemment la tâche qui consiste à vouloir arracher le vote populaire anglais aux nationalistes est rendue très compliqué par le fait que la gauche anglaise est restée peureusement terrée dans ses arrangements et tractation d’appareil à l’intérieur du Labour. Un institut de sondage britannique affirme pourtant que 37% des électeurs du parti travailliste ont voté pour quitter l’Union européenne ! Et ce alors même qu’aucun des dirigeants nationaux de ce parti ne faisait campagne sur ce mot d’ordre, hormis une poignée de députés. Et ceux qui croyaient éviter par ce moyen les complications internes, comme l’a fait Corbyn, n’ont fait que désorganiser leurs bases. Et bien sûr, il leur faut quand même affronter un assaut du vieil appareil droitier du Labour qui tente de récupérer la direction du parti ! Une preuve de plus qu’on ne gagne rien à refuser les combats que la vie met à l’ordre du jour. Preuve encore qu’en privant de sa voix progressiste la colère populaire pour tâcher de l’enrégimenter une nouvelle fois sous le harnais de l’ordre établi on livre les cœurs et les esprits à l’extrême droite.
Dès lors, la réaction de François Hollande n’est pas au niveau de l’Histoire. Pas de nouveau traité ? Pas de référendum ? Juste des aménagements aux textes existants ? Et pour quoi faire ? Des règlements sur les investissements ! Et une nouvelle étape dans la liquidation de l’indépendance de notre pays : l’intégration de nos forces armées ! Bon appétit ! Et là-dessus, courir voir Mme Merkel à Berlin sur le mode « allo maman bobo » est la preuve d’une analyse faussée du résultat.
Puisque Mme Merkel est une bonne partie du problème, elle ne peut pas être le cœur de la solution. La grande explication sur l’Union européenne aura donc lieu en 2017 lors des élections présidentielles et législatives en France en avril et en Allemagne en septembre. Dans ce contexte, je me sens très à l’aise avecma candidature de « sortie des traités européens ». L’impasse actuelle montre qu’il n’y a pas d’autre issue possible. J’ai résumé cet état d’esprit par une formule : « L’Union européenne, on la change ou on la quitte !» J’espère que chacun voit bien désormais que le rapport de force national et le recours au référendum sont des armes redoutables. Il n’est pas interdit de vouloir les utiliser dans d’autres buts que David Cameron ou l’extrême-droite anglaise.
Dans tous les cas, je pense que tous les candidats à l’élection présidentielle en France devraient s’engager à soumettre à référendum du peuple français le bilan des négociations qu’ils prétendent engager avec l’Union européenne et les 26 autres pays membres. Cela permettrait de débattre sereinement des solutions proposées par chacun. Et d’éviter les forfaitures de 2008 et 2012 où Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont fait ratifier en catimini des traités que les Français avaient rejetés par leurs votes. Je note d’ailleurs que ce sont les deux seuls candidats putatifs à l’élection présidentielle qui ont clairement refusé de s’engager sur un nouveau référendum. Faut-il y voir le signe qu’ils préparent un nouveau mauvais coup pour l’après 2017 ?
Je demande donc que la préparation du nouveau traité budgétaire prévu pour 2017 soit menée au grand jour, et qu’on en connaisse les étapes et les contenus au fur et à mesure. Lors de notre entretien, François Hollande a indiqué qu’il n’y aurait pas de nouveau traité adopté avant l’élection. Mais peut-on lui faire confiance ? Déjà le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et son homologue allemand proposent plusieurs modifications lourdes de la zone euro. Dans ces conditions, quoi qu’il arrive, l’élection présidentielle fonctionnera comme un vote pour ou contre le texte qui aura été préparé ces jours-ci.
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