30
Mai
2015
La France s’érige en Big Brother européen, par Guy Verhofstadt
Comme quoi, ils peuvent quand même être utiles les libéraux européistes…
La France, ses grandes entreprises, ses diplomates, des hauts fonctionnaires européens, ont été espionnés pendant des années par les services secrets allemands dont les dérives défraient aujourd’hui la chronique politico-judiciaire outre Rhin. Cela rend d’autant plus incompréhensible cette loi d’exception sur le renseignement que vient de voter l’Assemblée nationale et qui généralise la surveillance de masse, au mépris non seulement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg mais aussi de la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg en matière de rétention des données. Cette législation dans l’urgence est de surcroît une mauvaise manière de François Hollande à ses collègues du Conseil européen qui avaient demandé une Stratégie de sécurité intérieure après l’attentat contre Charlie Hebdo, laquelle vient justement d’être présentée par la Commission européenne. Avec cette loi taillée sur mesure pour ses seuls services secrets, Paris s’érige en Big Brother européen.
L’inquiétude majeure concerne naturellement cette obligation faite aux opérateurs de télécommunications et aux hébergeurs de sites Internet de poser des boîtes noires sur leurs installations, c’est-à-dire de surveiller le trafic par des algorithmes qui filtreront les profils suspects. Ces derniers, sélectionnés selon des critères pour le moins hasardeux, pourront ensuite être tracés grâce à de fausses antennes-relais installées dans des lieux publics pour capter les métadonnées de leurs téléphones mobiles. Ce système de captation directe d’informations va permettre de surveiller étroitement la société française, mais pas seulement: n’importe quel touriste étranger dans une ville française sera soumis au même régime et en réalité n’importe quel Européen partout sur le territoire de l’Union européenne. Car qu’est-ce qu’une métadonnée? Une simple adresse IP qui se connecte à une autre adresse IP. Autrement dit, tout le flux Internet au départ et à l’arrivée d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone actif sur le territoire français sera désormais sous contrôle policier.
La situation n’est pas plus satisfaisante sur le plan judiciaire. L’exploitation des données elles-mêmes, c’est-à-dire le contenu des messages ou des conversations téléphoniques, ne sera pas autorisée a priori par un juge d’instruction mais contestée a posteriori par les magistrats administratifs du Conseil d’Etat. Certes, un statut de «lanceur d’alerte» a été créé pour apporter une protection juridique aux agents secrets ou aux policiers qui voudraient dénoncer des abus. Reste que les dispositions pour protéger la confidentialité de certaines professions, comme les journalistes et les avocats, sont purement formelles et sûrement pas de nature à garantir la sécurité des sources et des conversations. Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Président et un noyau de députés courageux s’opposant à ce projet liberticide. Nous prendrons acte de sa décision, mais en tout état de cause, toute ambiguïté subsistant après son arrêt fera l’objet d’une saisine de la justice européenne.
Ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt est président de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen.
Source : Guy Verhofstadt, pour L’Opinion, le 10 mai 2015.
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