1
Avr
2015
[Inde] La victoire du parti Aam Aadmi du point de vue pakistanais
Juste parce que personne n’en a parlé, que l’Inde ça existe (ça fait terriblement colonialiste ce silence, non ?), nos médias étant de plus en plus abonnés aux (tragiques) faits divers…
Lahore : Le parti Aam Aadmi (AAP) [NdT : « parti de l'homme ordinaire »] d’Arvind Kejriwal a remporté une écrasante victoire dans l’élection territoriale de l’état de Delhi, raflant 67 sièges sur 70 possibles, concédant seulement 3 sièges au parti au pouvoir le BJP [NdT : « parti du peuple indien »], tandis que le Parti du Congrès n’en remportait pas un seul. Ainsi le BJP et le Parti du Congrès ont tous les deux été battus lors des élections territoriales de la capitale indienne. L’AAP a remporté plus de 90% des sièges dans la capitale. L’écrasante victoire de ce parti découle de sa persévérance dans le soutien des aspirations des classes pauvres, spécialement en milieu urbain, de son soutien aux revendications concernant la réduction du prix de l’électricité, l’accès gratuit à l’eau, ou encore les exigences de retenue et de professionnalisme en direction de la police de Delhi.
Delhi, petit état et capitale de l’Inde, a une assemblée très en vue. L’échec total du BJP est à coup sûr un coup rude porté au parti au pouvoir bien que cela ne représente pas pour lui une menace immédiate, puisqu’il a récemment remporté les élections territoriales des états du Maharashtra et de l’Haryana, qui ne sont pas réputés être des bastions du BJP. Le BJP a déjà remporté de nombreuses élections territoriales. Mais l’irruption de l’AAP en tant que puissance politique montante a dû faire froid dans le dos aux dirigeants du BJP. Un observateur politique notait à juste titre que la défaite à Delhi annonçait certainement la fin de l’état de grâce du premier ministre Modi. Le BJP est vu comme un parti de financiers et d’affairistes, tandis que l’AAP est devenu le parti des masses populaires pauvres en Inde. L’AAP a toujours une réputation sans tache, alors que le BJP a déjà été mis en cause pour ses profonds préjugés à l’encontre des 160 millions d’Indiens musulmans et pour son positionnement sur la ligne politique dure de son aile droite.
A présent, la question principale est : l’AAP inspirera-t-il le reste de l’Inde comme il l’a fait à Delhi ? Les principaux sujets de campagne de ces élections étaient la corruption, la fourniture d’eau, l’énergie, la loi et le maintien de l’ordre, etc. Le grand sérieux avec lequel Kejriwal de l’AAP s’est attaqué à ces problèmes dans son précédent mandat a fait naître dans l’électorat une confiance dans les capacités de son parti à trouver les solutions adéquates. Aujourd’hui, même s’il ne devrait plus y avoir de surprises en magasin pour le parti au pouvoir, c’est une réussite suffisante pour l’AAP que d’avoir fait éclater la vitrine d’invincibilité politique dont le BJP se targuait jusqu’alors. Le refus du BJP de prendre en compte les minorités, et sa propension à diviser les électeurs pour des raisons de caste, de classe ou de religion le rendra tôt ou tard impopulaire. Son attirance pour ce stupide suprématisme indien, les identités religieuses et le chauvinisme commence déjà à lui faire mauvaise presse, en Inde comme à l’international, et devrait tôt ou tard provoquer sa chute. Nous en voyons les premiers signes dans les résultats des récentes élections territoriales de l’état de Dehli.
Comment devons-nous, au Pakistan, percevoir cette élection territoriale en Inde, et comment devons-nous réagir face à de tels changements en cours ? Tout d’abord, au Pakistan, il est hautement improbable qu’un petit parti politique, vieux d’à peine deux ans, puisse corriger de la sorte un parti au pouvoir fort et bien implanté dans quelque élection que ce soit. C’est quelque chose qui n’est jamais arrivé jusqu’ici dans notre pays. Ici, même si une telle bataille électorale arrivait, le fait qu’elle implique une entité politique inexpérimentée ferait qu’à la moindre chance de succès de ce parti, la totalité de la machine gouvernementale se mettrait en action pour s’assurer qu’il n’en soit rien. Deuxièmement, dans l’éventualité d’un résultat défavorable, agiter l’épouvantail du vote truqué est une pratique éprouvée, qui permettrait de discréditer entièrement le scrutin.
On pourrait seulement souhaiter que nos politiciens aient, eux aussi, obtenu leurs postes au service de la population à la sueur de leur front, et qu’ils aient constaté et subi les rigueurs de la vie comme tout homme normal, afin de comprendre la misère et les privations subies par les populations pauvres. A moins que la direction politique ne sorte de sa répulsion pour « l’homme ordinaire », aucun changement, réel et de grande portée, ne pourra avoir lieu au Pakistan.
Zafar Aziz Chaudhry
Source : The Express Tribune, le 14/02/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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