Je voulais finir l’année sur les journalistes (et me reposer un peu), et voilà ce que ça continue.
I. Jean-Vincent Placé veut re-créer des apatrides
Et voilà donc que Jean-Vincent Placé a plaidé pour « une mesure qui soit réellement égalitaire pour l’ensemble des Français ».
« Je souhaite qu’on réfléchisse à étendre, y compris la déchéance de nationalité, aux Français uniquement Français, je sais la difficulté de créer des apatrides, il y a un vrai débat de convention internationale», a-t-il expliqué.
Vous noterez que le FN joue cartes sur tables, lui :
Qu’une personne naturalisée française tienne ce genre de propos, les bras m’en tombent…
Un ministrable, ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait…
Archive :
Comme quoi, l’indignité est intemporelle…
II. Mais oui, on peut créer des apatrides..
Une juriste lectrice du blog a attiré mon attention (merci) sur le fait que le fait de créer des apatrides n’était a-priori pas interdit par le droit international auquel est soumis la France (notez, en général, quand un politicien parle “du droit international” ou “de toutes les lois internationales”, c’est souvent faux. Demandez toujours qu’il cite 1 ou 2 textes et vérifiez…)
On parle en effet en général :
Article 15
1. Tout individu a droit à une nationalité.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.
Mais elle n’a aucune valeur contraignante, ni portée juridique réelle, elle est une proclamation de droits comme les nombreuses résolutions votées par l’Assemblée Générale de l’ONU.
Art 8-1 : “Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride.”
mais aussi :
Art 8-2 : “Nonobstant la disposition du paragraphe 1 du présent article, un État contractant peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité s’il procède, au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion, à une déclaration à cet effet spécifiant un ou plusieurs motifs, prévus à sa législation nationale à cette date et entrant dans les catégories suivantes: a) Si un individu, dans des conditions impliquant de sa part un manque de loyalisme envers l’État contractant,
i) A, au mépris d’une interdiction expresse de cet État, apporté ou continué d’apporter son concours à un autre État, ou reçu ou continué de recevoir d’un autre État des émoluments, ou
ii) A eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État;
Et justement, la France a fait usage de cette faculté par
une réserve :
”Au moment de la signature de la présente Convention, le Gouvernement de la République française déclare qu’il se réserve d’user, lorsqu’il déposera l’instrument de ratification de celle-ci, de la faculté qui lui est ouverte par l’article 8, paragraphe 3, dans les conditions prévues par cette disposition.
Mais il n’a même pas eu à le faire, vu que, si la France a signé la Convention en 1962,
elle ne l’a jamais ratifiée, donc elle n’a aucune force légale en France
(Source : ONU
ici et
là. Seuls les pays en vert foncé ont ratifié la Convention de 1961 qui leur est donc applicable – c’est pas lourd…)
Art 7 : Un État Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative, sauf dans les cas suivants :
a acquisition volontaire d’une autre nationalité;
b acquisition de la nationalité de l’Etat Partie à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent de la part du requérant;
c engagement volontaire dans des forces militaires étrangères;
d comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’Etat Partie;
e absence de tout lien effectif entre l’Etat Partie et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger;
f lorsqu’il est établi, pendant la minorité d’un enfant, que les conditions prévues par le droit interne ayant entraîné l’acquisition de plein droit de la nationalité de l’Etat Partie ne sont plus remplies;
g adoption d’un enfant lorsque celui-ci acquiert ou possède la nationalité étrangère de l’un ou de ses deux parents adoptifs. [...]
3 Un Etat Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité en vertu des paragraphes 1 et 2 de cet article si la personne concernée devient ainsi apatride, à l’exception des cas mentionnés au paragraphe 1, alinéa b, de cet article.
La, pour le coup, c’est clairement interdit sans aucune exception.
Sauf que la France l’a signé en 2000, mais toujours pas ratifié…
donc là encore, ça ne concerne pas la France…
5/ De toutes façons, si un traité concernait la France, il lui suffirait de le dénoncer ou de rajouter une réserve, si elle le voulait.
Il n’y a aucune protection à attendre de ceci…
À lire les commentaires, on serait pieds et poings liés par un traité international ad vitam aeternam, c’est incroyable de méconnaissance du Droit…
P.S. Au passage, un intéressant témoigne sur les apatrides ici,
sur Slate (ils bossaient bien les médias, en 2010…).
III. M. Hollande, expliquez-vous…
M. Hollande, j’ai repris
votre discours au Congrès le 16 novembre. On y lit que vous voulez appliquer la déchéance à des personnes nées françaises (vous insistez bien sur cette innovation que même le FN n’avait jamais avancée, remettant en question le droit du sol ET le droit du sang, vu que des fils de Français seront concernés), mais dites surtout que cela s’appliquera pour :
“ un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme”
Terrorisme, je vois assez bien (bon le concept est certes discutable, mais le code pénal le définit assez bien comme commettre des attentats), mais c’est quoi exactement “une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation” ?
Alors M. Hollande, comme vous maintenez votre position (c’est le problème des gros faibles pathologiques ; de temps en temps, ça prend un décision à la dernière seconde, mauvaise évidemment, et alors, ça s’entête pour prouver que ça existe…), pourriez-vous nous indiquer dans quels cas ceci est censé s’appliquer HORS terrorisme svp ?
Donc déchéance pour :
“une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation“
Alors M. Hollande, quels sont tous les “crimes constituant une atteinte grave à la vie de la Nation” svp ?
On ne peut le savoir à ce stade…
En tous cas, chapeau Daech, votre plan se déroule sans encombre – comme celui de Ben Laden en 2001, quelle victoire ! -, vous aurez donc réussi à nous faire changer notre Constitution avec 10 hommes.
IV. In Memoriam
Car ça peut aller chercher loin les “atteinte grave à la vie de la Nation”, selon la personne qui en décide…
Loi du 23 juillet 1940 relative à la déchéance de la nationalité française des personnes ayant quitté la France (JO du 07/1940)
Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat français,
Le conseil des ministres entendu,
Décrétons :
Article premier. – Tout Français qui à quitté le territoire français métropolitain entre le 10 mai et le 30 juin 1940 pour se rendre à l’étranger sans ordre de mission régulier émanant de l’autorité compétente ou sans motif légitime sera regardé comme ayant entendu se soustraire aux charges et aux devoirs qui incombent aux membres de la communauté nationale et par suite avoir renoncé à la nationalité française.
Il sera, en conséquence, déchu de cette nationalité par décret rendu sur le rapport du garde des sceaux, ministre secrétaire d’État à la justice.
Cette mesure prendra effet à partir du jour fixé par le décret et pourra être étendue à la femme et aux enfants qui ont suivi l’intéressé.
Art. 2. – Les biens appartenant à ceux contre lesquels la déchéance de la nationalité française aura été prononcée par application de l’article précédent seront, à la requête du ministère public, placés sous séquestre par ordonnance du président du tribunal civil du lieu de leur situation.
Cette ordonnance sera publiée par décret au Journal officiel.
Il sera, à la requête du ministère public, procédé, à l’expiration d’un délai de six mois à dater de l’insertion de l’ordonnance, à leur liquidation, sous l’autorité du président du tribunal civil et sous la surveillance du ministère public.
Le solde du produit de la liquidation sera versé à la caisse du Secours national.
Art. 3. – Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’État.
Hommage donc à :
2 réponses à Très bonne année 2016 !