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dimanche 5 janvier 2025

Rue 89 avec L'OBS - Emily in Paris a-t-elle ruiné l’Opéra ? - Dimanche 5 janvier 2025

 



Dimanche 5 janvier 2025

Emily in Paris a-t-elle ruiné l’Opéra ? Devant le Palais Garnier, un ballet de Rolls-Royce Phantom recrache des influenceurs aux tenues improbables, tandis qu’à l’intérieur les spectateurs font la queue… Pour se faire prendre en photo. Tous au même endroit : au creux du grand escalier en forme de « Y ». Là où l’on retrouve Emily Cooper (interprétée par Lily Collins) dans un épisode de la série (saison 1 ; épisode 6). Inspirées par le port de tête de l’actrice, les moues boudeuses se succèdent à la rampe. Puis, comme chaque soir, les spectateurs assis sont accueillis par ce message qui résonne jusqu’au plafond Chagall : « Il est interdit de prendre des photos et de filmer pendant le spectacle ». Le rideau se lève. Une armée d’iPhones avec. Devant moi, un couple de mannequins (sosies des premiers rôles du film « Sans filtre », la palme d’or de Ruben Östlund) retourne la caméra en mode selfie. Ce ne sont pas les danseurs que l’on immortalise mais soi-même, une seconde fois.

Pour autant, l’Emily de Darren Star n’y est pour rien. L’Opéra, cela fait des siècles que l’on y va autant pour être vu que pour voir. La preuve ? La forme des salles, en fer à cheval, permet de contempler ses voisins comme la scène. De même que les jumelles servent autant à espionner les visages en corbeille qu’à admirer les pointes des danseurs. Et à la sortie, ceux qui aiment se la jouer racontent bien haut qu’ils y vont souvent, qu’ils adorent que ça dure des heures et qu’ils ont tout compris. Il n’y a pas de quoi blâmer Netflix ou les réseaux sociaux. Emily in Paris a peut-être gâché la vie de quelques boulangers - malmenés par les fans - mais elle n’a pas dévoyé l’Opéra. En revanche, l’institution est bel et bien en crise. La véritable menace ? Un manque de ressources et des rémunérations inadaptées.

En cette fin d’année 2024, les salariés de l’Opéra ont fait grève plusieurs fois. Les danseurs, d’abord, ont réclamé une rémunération plus juste des heures de préparation avant les spectacles. La grève a finalement été suspendue le 11 décembre, mais le préavis n’a pas été levé. Puis, le 19 décembre, d’autres salariés ont dénoncé un « sous-effectif chronique ». Après plusieurs jours de négociations, un protocole a été signé avec la direction le soir du réveillon de Noël. Un rendez-vous au ministère de la Culture est prévu le 8 janvier. Emily peut manger son pain au chocolat tranquillement, c’est à Rachida Dati qu’il incombe d’offrir aux touristes et aux Parisiens un lieu où il fait bon voir et être vu. D’un côté comme de l’autre du rideau.

Barbara Krief

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Je n’aurais jamais cru le dire un jour mais effectivement, LinkedIn, ça crée des liens. Après deux mois d’immersion, je m’y suis fait des amis, enfin surtout des amies.

Alors quand Nina Ramen, la coach-star qui a été parmi les premières à m’initier à ce réseau, m’a invitée à la soirée de clôture de son Bootcamp, nom donné à sa formation en ligne qui a rassemblé 70 participantes au mois de juin, j’ai foncé. Je trouvais que c’était une belle manière de clore cette enquête avant de m’offrir des vacances bien méritées.

La soirée a lieu un vendredi soir dans le 11e arrondissement. Dehors, l’atmosphère est bouillante. La jeunesse attend avec impatience en terrasse le début du match de l’Euro qui oppose le Portugal à la France. Passé le porche d’un bâtiment industriel, je tombe sur un petit groupe de filles qui discutent dans la cour. C’est la première fois qu’elles se voient en vrai, après un mois d’entraînement intensif à LinkedIn pour un prix de 3 600 euros. Toutes ne tarissent pas d’éloges sur la formation qu’elles ont trouvée « d’une qualité incomparable » par rapport à leurs attentes de départ ou bien à celles qu’elles ont pu acheter auprès d’autres coachs.

La Queen Nina débarque en pantalon noir et baskets blanches. Avec le sourire et le dynamisme qui la caractérisent sur LinkedIn, elle nous escorte jusqu’au loft privatisé pour l’occasion. A l’intérieur, un bar vintage, des tables de ferme sur lesquelles ont été disposés des antipastis, des canapés cosy, une balancelle et un punching-ball fixés au plafond.

Après s’être délestées de nos affaires, on glane un verre de rosé et on se met à discuter. Très vite, je me rends compte que la plupart des élèves de Nina ont toutes tourné le dos à l’entreprise pour devenir coachs… en entreprise. L’une d’elles, formée en « insécurité affective » à Montréal, va apprendre aux managers à ne plus manager à l’affect. Une autre va distiller ses conseils à des PME pour promouvoir « la diversité et l’inclusivité », une autre encore va conseiller des dirigeantes qui aspirent à plus de « sérénité » sans sacrifier leurs ambitions…

J’avoue, entre la chaleur et le rosé, cette litanie me donne le tournis. En fait, pour être honnête, je me demande si leur business suffit à les faire vivre et si, derrière les discours bien rôdés et les sourires de façade, ces femmes ne sont pas tout simplement en « midlife crisis ». (Je dis ça sans méchanceté : je suis moi-même dedans).

« Ta foufoune dans la bouche »

20 heures 30, arrive le moment du discours. Entourée de son équipe 100% féminine, Nina nous remercie de notre présence à toutes. « Cette soirée est un prétexte pour se retrouver entre femmes, démarre-t-elle. En tant que femmes, on a toutes été éduquées à se jalouser, à se tirer dans les pattes. LinkedIn, pour moi, c’est un moyen de prendre confiance en soi, de prendre le pouvoir et donc de gagner plus d’argent. Donc n’attendez pas qu’on vienne vous déposer la couronne sur la tête. Arrachez-leur la couronne des mains et posez-la sur votre tête !! » Tonnerre d’applaudissements.

Le discours achevé, c’est au tour de Stéphanie, chroniqueuse judiciaire dans un grand hebdomadaire et professeure de danse, d’entrer en piste pour une session surprise de twerk. Les premières notes d’une chanson de dance-hall se mettent à résonner dans les enceintes. En arc de cercle et les pieds nus, on se met à se trémousser sur « Han ! Ta foufoune dans ta bouche ! » de la chanteuse Mara, en suivant scrupuleusement les mouvements de bassin de notre prof ès bikini. A un moment, Stéphanie nous enjoint de faire une moue en mode « Bouge de là pétasse ». Dans nos rangs, la réaction ne se fait pas attendre : « Sororité ! » clame-t-on. Je décroche et vais m’asseoir au bar pour reprendre du rosé.

22 heures 30. Juchée sur mon tabouret, je tiens le crachoir à une poignée de nanas médusées. L’alcool aidant, j’enchaîne les provocations gratuites sur LinkedIn. Au-delà des relous qui confondent le réseau avec Tinder, comme l’évoquait Isabelle, la coach en « inclusivité » qui a dû repousser par deux fois des avances de mecs, ce qui me semble le plus problématique avec ce réseau, c’est que ça rajoute du travail au travail. Déjà que le travail c’est chronophage si ce n’est aliénant alors m’en rajouter, merci mais non merci ! (Eh oui, à cette heure-ci, il ne faudrait pas trop me pousser pour fomenter une rébellion au cœur même du réacteur.)

Lors de la première Conférence annuelle sur la Révolution cyberculturelle de juin 1964 à New York, la philosophe Hannah Arendt constatait déjà, avec une clairvoyance sidérante, que l’essor des machines intelligentes a induit une réévaluation de la place du travail dans nos vie. Avec ce paradoxe étonnant : « Les activités d’œuvre et de travail sont plus faciles à mener, mais les individus y passent toujours autant de temps et même plus. »

« Sur LinkedIn, tu Invest Your Time »

« Je le dis à tous mes clients, LinkedIn c’est un travail en soi, m’expose quelques jours plus tard Alexis Makounga, influenceur et coach en marketing. Ça prend la même énergie et le même temps. » Pour cet ingénieur de formation, pour qu’il vaille le coup, l’investissement doit être scrupuleusement calculé : « Un créateur d’entreprise doit être capable de dire combien de chiffre d’affaires en plus lui a permis de générer son activité sur LinkedIn. » Cela me fait penser à ce que m’avait dit Prune Nouvion, l’ancienne directrice de la régie publicitaire de LinkedIn : « Sur LinkedIn, tu Invest Your Time. »

Si l’on suit la logique d’Alexis, un LinkedInerz cumulerait ainsi non pas un, non pas deux, mais trois métiers :

1 – Le métier effectif : architecte, pigiste, directeur marketing, coach en bien-être, médecin légiste…

2 – L’activité de promotion de ce métier sur LinkedIn afin de capter plus de clients ou d’augmenter son attractivité en tant que salarié auprès de potentiels futurs employeurs.

3 – Le calcul du retour sur investissement de son travail sur LinkedIn.

Quand j’avance qu’à ce régime, l’étape numéro 4 serait l’asile psychiatrique, Alexis éclate de rire : « C’est vraiment ça ! On n’en est pas loin. »

En effet, sur la plateforme, les posts évoquant des burn-outs dû à une surutilisation de LinkedIn sont devenus légion, à l’exemple d’Arnaud, marchand de biens dans l’immobilier :

« Il n’y a pas un créateur à qui LinkedIn ne lui pèse pas, reprend Alexis. C’est très chronophage et ça fatigue beaucoup. » Lui-même avoue connaître des phases de dépression « environ tous les six mois »« Ça m’arrive quand je crée trop de contenus à tort et à travers juste pour faire le buzz. Résultat, je travaille moins et je perds des clients. »

A ce titre, Yann Leonardi, expert en marketing et fin connaisseur de l’algorithme de LinkedIn, rappelle que chercher absolument à plaire au plus grand nombre risque de nous couper de son « premier cercle », et donc de retourner la « boucle sociale d’engagement » contre soi.

Lorsqu’il sent qu’il perd pied, le réflexe d’Alexis est alors de couper LinkedIn pour deux semaines minimum. « Au début, ça va. Mais au bout de trois-quatre jours, c’est très dur, je me retiens de ne pas y retourner pour poster. C’est une drogue, clairement. » Le jeune homme, qui vient d’entrer au classement des personnalités influentes sur LinkedIn établi par le très respecté site Favikon, affirme vouloir « prendre un psy d’ici la fin de l’année » pour gérer son addiction comme c’est déjà le cas de nombre d’influenceurs selon lui, même si ça reste tabou.

Consciente que je suis moi-même en train de vriller, je décide de quitter la soirée du Bootcamp non sans avoir chaudement remercié Nina pour l’invitation. J’atteins le métro au moment des tirs aux buts.

Le lendemain, en cuvant ma vinasse, je me sens très lasse. Ça y est, je crois que je suis atteinte de LinkedIn fatigue. Ces dernières semaines, j’ai fait tout mon possible pour sortir du lot et tenter de retrouver un boulot, mais ça n’a pas pris. En fait, je crois que je ne suis pas LinkedIn compatible.

Ma marraine Séverine avance sur le tchat : « T’es peut-être trop cynique ? » En fait, comme n’importe qui, je suis sujette à l’ascenseur émotionnel qui te porte très haut quand tu fais des likes et qui t’enfonce très bas quand tu fais un bide. A ce titre, j’étais très flattée lorsqu’un ancien rédacteur en chef, croisé à l’anniversaire d’un ami commun, est venu me tirer son chapeau pour un de mes posts qui avait atteint les 120 likes, de loin, mon record… Post qui annonçait le début de mon chômage. Je ne sais pas ce qui m’avait pris de m’épancher de la sorte. En tout cas, le fait que mon seul carton sur LinkedIn porte sur une tranche de vie si peu glorieuse montre bien à quel point l’algorithme est pernicieux…

« Certains ne reviennent jamais »

« Autour de moi, je vois beaucoup de gens partir de LinkedIn. La plupart finit par y retourner mais certains ne reviennent jamais » m’informe Alexis d’une voix éteinte. J’ai une idée : je devrais peut-être les rejoindre et leur proposer de bâtir ensemble un nouveau pays que l’on appellerait le « Bolossistan », en réaction au « Bossistan »).

Kévin Dufraisse, le Growth Hacker aux 45 000 abonnés, tente de me rattraper : « Tu peux tout à fait vivre sans LinkedIn, c’est juste que tu te fermes une porte. Tu sais déjà écrire, tu es intelligente… Pour moi, c’est certain, tu peux arriver à faire des choses très cool ici. En plus, avec ton enquête, tu as réussi à avoir plein de gens très influents comme Nina ou moi. Tu peux compter sur nous pour te soutenir au moment de la publication. Ça peut vraiment partir viral. »

Mouais, rien à foutre ! Je n’ai pas besoin de LinkedIn pour avoir une carrière digne de ce nom. Je peux exister sans lui. Je cherche le bouton pour (me) supprimer. Mais bien entendu, en bonne Quiche, je ne trouve pas. Je tape « Quitter LinkedIn » dans la F.A.Q mais ça m’amène sur une autre page qui a finalement raison de ma motivation.

Quelques jours plus tard, alors que je suis en partance pour la Côte d’Opale, je remarque avec stupeur qu’Hervé, l’éditeur de papiers-peints, a tenté de me joindre deux semaines plus tôt.

J’écoute son message : « Lisa, j’ai peut-être trouvé une solution s’agissant de votre rémunération… Rappelez-moi dès que vous pouvez. » 

Je le rappelle, le cœur battant. Hervé décroche à la première sonnerie et m’apprend que, sans nouvelles de moi, il a sélectionné quelqu’un d’autre. Il déplore : « C’est tellement dommage, vous et moi, on aurait pu faire de grandes choses… »

Après avoir raccroché, je reste pantoise, le téléphone dans la main, à regarder par la fenêtre du train. Que va-t-il advenir de moi ? Comment vais-je réussir dans la vie en étant aussi nulle en networking ?

Je repense subitement à ce rendez-vous manqué avec ce producteur télé, mi-mai, que j’avais zappé, sans aucune raison valable, alors que c’était moi qui l’avais sollicité pour le rencontrer. Il m’avait appelée depuis le café où il m’attendait. J’étais chez moi, en pyjama, en train de travailler à mon roman. Au téléphone, j’étais mortifiée, je n’avais aucune excuse à lui donner pour justifier mon oubli. Bien entendu, il ne m’a pas accordé de seconde chance, et maintenant, cet Hervé… Ça ne finira donc jamais ??

Finalement, LinkedIn, c’est comme la vie : une série d’actes manqués.

temoignagesrue89@gmail.com

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