Lewis Carroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles, aurait lui-même souffert de ce syndrome, ce qui expliquerait certaines des descriptions hallucinantes dans son œuvre, où Alice change de taille à plusieurs reprises. Quand on souffre de ce syndrome, les perceptions des distances, des formes et des volumes deviennent floues, créant des impressions visuelles qui défient la logique. Les objets peuvent paraître plus proches (pélopsie) ou plus lointains (téléopsie) qu'ils ne le sont réellement, ou encore plus grands (macropsie) ou bien plus petits (micropsie). Cette condition est souvent liée à des changements neurologiques, comme des perturbations dans le lobe pariétal du cerveau, qui gère l'intégration des informations sensorielles et la perception spatiale. Mais elle peut aussi être déclenchée par des infections virales comme le virus d’Epstein-Barr[2] (une variété d’herpès également susceptible de conduire à des maladies auto-immunes comme la mononucléose, le diabète de type 1 ou la sclérose en plaques) , des crises d'épilepsie, ou encore par un excès de stress et de fatigue, notamment dans des cas de stress post-traumatique. Votre monde est-il condamné à se contracter ?Que l’on souffre du syndrome d’Alice au pays des merveilles ou que l’on ressente simplement les variations naturelles de la perception liées à l’âge, il est important de se rappeler que la façon dont vous percevez le monde influence directement votre bien-être. Une perception déformée, qu’elle soit provoquée par un trouble neurologique ou par le passage du temps, peut affecter la manière dont vous interagissez avec votre environnement, et par conséquent, votre santé mentale et physique. Je prends un exemple simple, celui de l'anxiété : lorsque les objets paraissent menaçants ou que votre espace semble étriqué, cela peut entraîner des comportements d’évitement, de stress, voire de claustrophobie. De plus, comme avec le syndrome d’Alice, les distorsions temporelles peuvent créer un sentiment d’urgence constant ou, au contraire, une impression de paralysie dans l’action. Comprendre ces mécanismes vous aide à mieux adapter votre mode de vie, à vous reconnecter avec le monde extérieur, et à maintenir un équilibre mental. Cette perception changeante de l’espace est également à l’origine de la seule phobie qui augmente avec l’âge, c’est-à-dire la peur du vide, également appelée acrophobie. La dissonance des sensSelon les études, 28 % de la population souffrirait à des degrés divers de la « peur du vide »[3]. Cette peur, qui se manifeste souvent lorsqu’on se trouve en hauteur, est intimement liée à une altération de la manière dont le cerveau interprète les distances et les profondeurs. Face au vide, la perception spatiale peut devenir confuse : ce qui est loin semble proche, et la profondeur du gouffre se déforme dans votre esprit, vous donnant l'impression d'une chute imminente. La peur du vide serait liée à la dépendance totale de certaines personnes à leur vision pour s’orienter dans l’espace[4]. La vision prendrait en quelque sorte une importance démesurée par rapport aux autres informations spatiales qui nous parviennent de l’ouïe, mais surtout du toucher (la sensation d’avoir les pieds fermement ancrés sur le sol), et de l’oreille interne (la sensation d’être en équilibre). Il s’agit, autrement dit, d’une dissonance des sens, provoquée par un déséquilibre entre la vision et les autres sens, notamment celui de l’équilibre. Pour simplifier, si vous êtes concerné et que vous vous trouvez en haut d’une tour : - Vos pieds et votre oreille interne vous disent « Tout va bien, le sol est ferme, tu es en équilibre ! » … - Vos yeux vous crient « Alerte ! Alerte ! Tu es trop haut, tu dois être en train de tomber et tu vas mourir ! » … - … et pour résoudre ce paradoxe, votre cerveau vous dit « Jusqu’ici tout va bien, mais crois plutôt tes yeux, tu pourrais sauter et mourir ! ». Ce phénomène d’« intolérance visuelle » expliquerait notamment cette curieuse impression qu’ont certaines personnes d’être comme « attirées par le vide », comme si elles allaient s’y jeter ! La peur du vide peut alors entraîner des réactions physiques violentes : vertiges, sueurs froides, et parfois même une paralysie complète, face à ce que l’esprit interprète comme un danger imminent. La question que vous vous posez maintenant est peut-être : est-il possible de « s’entraîner » à percevoir la juste taille et la juste distance des choses ? Il n’y a pas que les choses qui rétrécissent : il y a aussi le regardUn enfant qui découvre le monde expérimente chaque nouvelle situation avec une intensité émotionnelle accrue. Cela stimule le développement du cerveau et favorise l’apprentissage. Mais, en vieillissant, la répétition des situations et l’habitude créent parfois un phénomène d’ennui ou de surmenage. Le cerveau, moins souvent surpris, peut s'enfermer dans une routine mentale qui, à terme, épuise l'énergie psychique et non seulement « réduit » la taille des objets… mais aussi le cerveau lui-même. L’esprit est comme « enfermé » dans un environnement qui se rétrécit et se contracte. Avec l’âge, la tendance à voir les choses sous un angle rétréci peut contribuer à l’anxiété et au stress, qui sont des facteurs favorisant l’apparition de maladies neurodégénératives comme Alzheimer. La pression d’un quotidien répétitif peut créer un sentiment d’étouffement, rendant les petites épreuves de la vie plus lourdes à porter. Les personnes âgées qui souffrent d’isolement social ou de monotonie quotidienne sont plus sujettes à la dépression et à d’autres troubles mentaux. Car, en avançant en âge, ce ne sont pas seulement les choses qui rétrécissent : le regard lui-même rétrécit. Et ce rétrécissement est précisément celui qui empêche de s’émerveiller de la beauté d’une rose – déjà vue – de s’émouvoir d’une rencontre – déjà vécue – de s’enthousiasmer pour un livre – déjà lu. À mesure que les choses rétrécissent, le monde devient monotone, gris, apathique. Il n’a plus rien de surprenant. Il n’a plus de goût, ni de couleur. La meilleure façon d’entraîner votre œil et votre cerveau : leur apporter du neuf Cependant, il existe des moyens de contrer cette réduction de perspective. Il suffit parfois de cultiver la nouveauté. C’est pourquoi on encourage souvent les personnes âgées à maintenir des activités sociales, à découvrir de nouvelles choses, à voyager. Les expériences nouvelles stimulent le cerveau, réactivent cette sensation d’émerveillement et aident à garder l’esprit jeune. Faire l’effort d’essayer – oui, ne serait-ce qu’essayer – d’apprendre une nouvelle langue, de vous rendre dans une ville inconnue, voire un pays inconnu, d’aller à la rencontre de nouvelles personnes étend de facto votre monde, votre expérience.
La vie est tellement vaste, riche, subtile, complexe, qu’un seul séjour terrestre ne suffit à en faire le tour. Il y a, il y aura, toujours un lieu à explorer, une conversation à nouer avec un inconnu, une recette de cuisine à expérimenter, un livre à ouvrir ! Faire ce pas-là vous fait percevoir le monde sous de nouvelles perspectives, quel que soit votre âge. C’est un moyen de maintenir une bonne santé physique et mentale, ne serait-ce que parce que c’est la condition pour faire fabriquer de nouveaux neurones[5]. Car, comme je le disais, avec l’âge, ce ne sont pas seulement les choses qui rétrécissent, c’est aussi le regard, et avec lui le cerveau. Mais la condition première pour empêcher cette réduction, cette rétractation, est simple ; elle commence bien souvent en franchissant le pas de votre porte. La taille des objets ne changera pas nécessairement. Mais c’est vous qui avez le pouvoir d’agrandir ou de rétrécir votre univers. Vous pouvez commenter cette lettre en cliquant ici. Portez-vous bien, Rodolphe |
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