Présents partout, fabriqués à partir de presque n'importe quoi, et susceptibles d'affecter la vie de chacun : tel est le constat d'un récent rapport de l'Agence européenne des drogues (EUDA) sur l'impact des stupéfiants en Europe. Celui-ci met en lumière l'ampleur alarmante prise par ce fléau de santé publique, avec près de 30 % de la population adulte ayant déjà consommé. Il montre également les graves répercussions du trafic de drogue, qui alimente la corruption, la violence et la détresse sociale, touchant particulièrement les jeunes.
D'après l'EUDA, 85.4 millions de personnes ont reconnu avoir consommé du cannabis à un moment ou l'autre de leur vie, soit quasiment 20 % de la population de l'UE et presque 30 % de la population adulte (15-64 ans). On remarque une prévalence particulièrement élevée chez les jeunes (15-34 ans). Les autres produits sont moins utilisés, mais les chiffres restent assez impressionnants : 15,4 millions de personnes ont déjà testé la cocaïne, 12,3 millions le MDMA (extasy) et 10,3 millions les amphétamines. Quant à l'héroïne et les autres opioïdes, ils comptent près d'un million de consommateurs à haut risque.
Outre les drogues plutôt « classiques », de « nouvelles substances psychoactives » (NPS) apparaissent sur le marché à un rythme inquiétant (950 d'entre elles ont été recensées en 2023). L'emblème le plus récent est la « cocaïne rose », un mélange particulièrement explosif contenant de la kétamine, une substance connue pour sa toxicité neurologique et cardiovasculaire, et pouvant provoquer des problèmes de santé mentale ainsi que des complications urinaires. La diversité croissante des formes de consommation, y compris les produits comestibles (edibles) et les e-liquides pour les cigarettes électroniques, augmentent les risques d'intoxication et compliquent la régulation. Par ailleurs, étant donné les liens bien établis entre addictions aux drogues et troubles dépressifs, il devient plus clair pourquoi un article du Figaro du 3 septembre 2024 rapporte une augmentation significative des prescriptions d'antidépresseurs chez les jeunes Français.
Des substances de synthèse, souvent plus toxiques, sont maintenant vendues sous l'apparence de cannabis. Il faut ajouter à cela, la tendance actuelle à consommer simultanément plusieurs stupéfiants différents (polydrug use), qui accroît considérablement les risques d'overdose. La consommation par injection montre une diversité croissante de drogues détectées dans les seringues, souvent combinées. Elle reste liée également à des épidémies locales de VIH, signalées en Europe au cours de la dernière décennie. La montée des opioïdes de synthèse, constitue notamment un problème sanitaire majeur. En 2022, 74 % des surdoses mortelles impliquaient des opioïdes. Des mélanges avec des sédatifs ont fait leur apparition. L'un des plus inquiétant est connu sous le nom de « tranq dope » ou « drogue du zombie ». Cette combinaison, associée à des empoisonnements et des décès en Amérique du Nord, contient de la xylazine, un puissant anesthésiant pour animaux.
Les réseaux criminels européens collaborent avec des cartels internationaux pour faciliter le transport et la distribution des drogues. En ce sens, les ports maritimes constituent de véritables plaques tournantes pour le trafic. Le rapport souligne que 70 % des saisies de drogues dans l'UE y sont effectuées. Les organisations criminelles font appel à des méthodes de plus en plus sophistiquées : corruption, intimidation de personnel clé dans les chaînes d'approvisionnement, dissimulation chimique de drogues dans des produits commerciaux comme des polymères ou des plastiques. En 2023, l'Espagne a signalé sa plus grande saisie de cocaïne jamais enregistrée, avec 9,5 tonnes dissimulées dans des cargaisons de bananes en provenance d'Équateur.
Mais l'Europe ne se limite plus seulement à importer des drogues. Elle est devenue un producteur efficace. Les autorités ont déjà démantelé des centaines de laboratoires consacrés à la fabrication de narcotiques. La production de méthamphétamine (un stimulant avec des effets semblables à la cocaïne, mais qui durent bien plus longtemps) est notamment en pleine explosion et a surtout vocation à être exportée.
Le rapport met en évidence l'exploitation grandissante des mineurs par les réseaux criminels dans les pays marqués par une forte présence de drogues. De plus en plus de jeunes sont recrutés pour participer au trafic de stupéfiants, ce qui intensifie les violences. Un indicateur spécifique est également proposé pour suivre les homicides liés à ce marché.
En France en particulier, la situation s'avère préoccupante. Un compte-rendu sénatorial, datant du mois de mai 2024, affirme que l'Hexagone est « submergé par le narcotrafic ». En 2018 déjà, le trafic de drogues avait été intégré dans le calcul du PIB (Voir LSDJ 01/02/2018). Actuellement, l'observation d'une apparition embryonnaire de la corruption d'agents publics renvoie aux constats du rapport européen. Plusieurs magistrats ont lancé l'alerte concernant Marseille qu'ils n'hésitent pas à définir comme une « narcoville ». D'autres magistrats, mexicains ceux-ci, ont expliqué craindre que la France connaisse une trajectoire semblable à leur pays, où les violences liées à la drogue ont fait 450 000 morts en 20 ans. Pour eux, les organisations criminelles en France et les forces de l'ordre « ne jouent pas à armes égales ». Ils ont surtout souligné le besoin de peines plus fortes à l'encontre des narcotrafiquants et proposent un contrôle des armes au niveau européen.
Les sénateurs français préconisent, quant à eux, la mise en place d'un « parquet national antistupéfiants », sur le modèle de l'agence américaine, la Drug Enforcement Administration (DEA). Le principal fait d'armes de cette dernière fut de faire chuter un certain Pablo Escobar...
Stanislas Gabaret
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire