Ai-je une culture « crème fraîche » ? Autrement dit, ma culture générale, vaste mais superficielle, vise-t-elle essentiellement à asseoir ma position sociale ? C’est la question que je me suis posée à la fin de l’été lorsqu’une interview de Raphaël Glucksmann dans « Le Point » a provoqué une polémique inattendue sur le rapport de nos élites à la littérature, nourri par « Frustration magazine, le média de la lutte des classes » (ça existe). Dans cet entretien, M. Glucksmann pose devant une bibliothèque fournie. Trop fournie même pour nos confrères qui, deux jours après la publication de l’interview, posaient cette question singulière : « Est-ce qu’avoir une “grosse bibli” est bourgeois ? »
Se sont ensuivies de nombreuses dénégations de gros lecteurs, ne se considérant pas bourgeois. Et une série de tweets de « Frustration » renvoyant vers une enquête consacrée au sujet deux ans plus tôt (« Qui a la plus grosse bibli ? » – Le mythe du bourgeois qui a tout lu). Nonobstant le ton frustré adopté par le rédacteur, celui-ci fait valoir un certain nombre d’arguments qui ont résonné dans mon cerveau d’ancien diplômé d’une grande école – Sciences Po – réputée pour développer une culture aussi générale que superficielle.
N’avais-je pas découvert au bout de quelques mois – et à la suite d’une césure salvatrice au Canada – qu’à quelques exceptions près, nombre de mes camarades parmi les plus brillants « apprenaient à feindre la culture en maîtrisant l’art de citer des ouvrages qu’ils n’avaient pas lus » ? Et que cette comédie de l’omniscience se perpétuait aux concours de la haute fonction publique où des jeunes gens de 20 ans sans aucune connaissance du réel se retrouvaient à disserter doctement sur « individu et société » ou « comment réduire le chômage en France » ? Avec les conséquences que nous connaissons sur la conduite de ce pays.
A quelques jours de la rentrée, je me suis ouvert de ces interrogations à mon fils aîné et lui ai fait part de ma théorie sur le sujet : les gens qui donnent l’impression d’avoir tout lu sont suspects. Soit ils ne pensent qu’à eux et délaissent leur progéniture. Soit ils mentent et n’ont lu que des abrégés. Soit, les pauvres, ils sont insomniaques. Mon idée, derrière cette saillie, était de le vacciner du sentiment d’imposture qui étreint fréquemment les élèves de banlieues ou de province quand ils « montent » à Paris (intra-muros). Ce qui, sait-on jamais, pourrait lui arriver un jour. Etait-ce toutefois de bonne politique ? Après réflexion, constatant que j’étais un père très investi et que je dormais beaucoup, Junior m’a posé ingénument la question suivante : « Mais toi, alors, tu ne sais rien non plus ? » Que lui répondre…
Gurvan Le Guellec
« Le concept de “nouveau père” est une arnaque »
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