Elle est sans aucun doute la Française la plus célèbre de la planète : Brigitte Bardot fête ses 90 ans en toute liberté, comme elle a vécu.
Il aura suffi d'un film, Et Dieu créa la femme, en 1956, pour faire d'elle une icône féminine planétaire. Un rôle aux antipodes de la personnalité réelle de cette jeune danseuse de bonne famille à l'éducation stricte, devenue mannequin et égérie du magazine Elle d'Hélène Lazareff par accident. Au fond, c'est peut-être au moment des obsèques de Françoise Sagan qu'elle se sera le plus dévoilée : elle fera déposer sur sa tombe une couronne de fleurs barrée de la mention « À ma soeur jumelle ».
Après tout, comme Sagan, Bardot est en quelque sorte une « anar de droite », rétive aux ordres, désireuse d'échapper au carcan des conventions, à l'ennui des conversations, puis au regard des foules Bardolâtres. Avec elle, pas de plan de carrière ni d'éléments de langage. Elle est une légende vivante, la dernière survivante d'un autre temps, de la France d'avant. C'est pourquoi elle parle comme elle agit, librement, quitte à commettre des erreurs ou à refuser de grands rôles, y compris le plus grand, celui de mère.
Mais il faut un courage hors du commun pour décider soudain en plein tournage, en 1973, à l'âge de 38 ans, de mettre un terme à sa carrière. Après 45 films et 70 chansons, elle ne remettra plus jamais les pieds sur un plateau de tournage ni dans un studio, malgré les ponts d'or proposés. Désormais, elle se consacrera uniquement à la cause animale. Une cause qu'elle défendait déjà dix ans plus tôt sur le plateau de l'émission Cinq colonnes à la une, pour dénoncer les méthodes barbares des abattoirs. « C'est très dur d'arrêter le cinéma quand on s'appelle Brigitte Bardot. Il faut une volonté farouche pour ne pas recommencer, confiera-t-elle dans ses mémoires. Je devais apporter aux autres, aux animaux, ce que l'on m'avait offert toute ma vie. »
Son combat pour la défense des bébés phoques, à partir de 1976, déclenchera une vague de soutien mondiale.« Il faut que vous vous disiez, même si la chasse au phoque existe depuis 300 ans, que les traditions changent et seuls les imbéciles ne changent pas d'avis », déclarera-t-elle au Canada. Soutenue par des stars du monde entier, elle obtiendra gain de cause, réduisant presque à néant le nombre de phoques abattus. Puis, avec sa fondation, lancée en 1986, elle n'a jamais cessé de combattre tant la maltraitance animale que la chasse ou l'abattage et la consommation de chevaux.
« J'ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes. Que je donne ma sagesse et mon expérience et le meilleur de moi-même aux animaux », dira-t-elle, n'hésitant jamais à vendre ses biens pour défendre sa cause. Aujourd'hui encore, à 90 ans, elle ne lâche rien, protestant contre Erdogan et le massacre des chiens errants en Turquie, la lâcheté des présidents de la République successifs sur la cause animale ou la récente arrestation de son ami Paul Watson : « Ce n'est pas Paul qui enfreint la loi, ce sont ces trois pays qui enfreignent la loi », assène-t-elle en accusant le Japon, la Norvège et l'Islande, les derniers pays à pratiquer encore la chasse commerciale à la baleine.
Avec un tel courage, un tel parcours, comment se fait-il qu'elle ne soit pas déifiée par l'intelligentsia ? Parce que même célèbre, Brigitte Bardot ne professe pas les idées qu'il faut. Celle qui se définit comme conservatrice estime être « française de souche et fière de l'être. » « Je porte ma foi en moi et j'en suis fière », confie-t-elle simplement. De quoi, comme Alain Delon récemment disparu, susciter des haines à la hauteur des passions. « Vous voulez me juger, mais vous n'avez jamais vécu, jamais aimé ! », disait son personnage dans La vérité, de Clouzeau. Pourtant, en 1961, alors qu'elle dévoilait les menaces de l'OAS, le syndicat des acteurs l'encensait, Libération titrait « B.B.B. = Bravo Brigitte Bardot ». N'allez pas non plus lui parler de MLF ou de féminisme : « Dieu sait pourtant que je suis une femme qu'on peut appeler libre. Mais je suis d'abord une femme. Et jamais les femmes ne seront comme des hommes. Si elles sont si malheureuses, c'est qu'elles ne veulent plus être ce qu'elles sont », dira-t-elle. Quant aux écologistes, ne lui en parlez pas : « Ce sont des imposteurs dont il ne faut rien attendre, qui font tout sauf de l'écologie (…) Ils se fichent du destin de la planète comme de celui des animaux. » Sa fondation a par ailleurs récemment sauvé 378 animaux du massacre lors de l'Aïd 2024.
En réalité, hier comme à 90 ans, celle que De Gaulle choisit en 1969 pour prêter ses traits à Marianne ne se soucie pas un instant de la reconnaissance éternelle des intellectuels, de la presse et des politiques. Que regrette-elle, au fond ? Pas son âge, inéluctable. Les absents, certainement, humains comme animaux. Mais surtout la liberté : « Je n'ai pas de regrets pour moi mais pour l'époque, confie-t-elle. Je regrette ce qu'on vit actuellement et le temps que j'ai connu, les Trente Glorieuses, la France d'avant, la liberté, la joie de vivre, l'insouciance. La liberté, surtout. On était moins emmerdés. Désormais, la liberté a disparu, elle a fait le tour du monde et n'est jamais revenue. C'est triste et désolant. »
Judikael Hirel
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