Le 19 août, le chavirement du yacht du milliardaire Michael Lynch a marqué la disparition d'un homme brillant et controversé. De la création d'Autonomy à sa vente à Hewlett Packard en 2011, l'individu a enchaîné les succès mais aussi les années de procès. Portrait d'un homme dont l'image de magnat de l'informatique a failli se changer en celle d'escroc.
Le 19 août, le monde anglo-saxon s'est retrouvé sous le choc. On a appris que le yacht de Michael Lynch avait coulé au fond de la Méditerranée pendant une violente tempête au large de la Sicile. À bord, se trouvaient sa fille et un groupe d'amis, venus fêter la victoire de l'homme d'affaires britannique dans son procès contre Hewlett Packard (HP), le géant américain de l'informatique. HP l'accusait d'avoir largement surévalué la valeur de son entreprise d'informatique Autonomy, lors de sa vente en août 2011. Coïncidence surprenante : 48 heures auparavant, son ancien associé, Stephen Chamberlain avait été percuté par une voiture conduite par une voisine de 49 ans et tué pendant son footing près de Cambridge.
Si Autonomy s'est si bien vendue en 2011, c'est d'abord parce que son fondateur était considéré comme un génie par ses pairs. Fondée en 1996, l'entreprise vendait un moteur de recherche interne aux entreprises. Celui-ci reposait sur des stratégies de compréhension de textes utilisant des algorithmes dits d'intelligence artificielle. Bénéficiant de la bulle informatique du début des années 2000, Autonomy a rapidement intégré le top 100 des entreprises anglaises cotées en bourse, le FTSE 100, avec un valorisation estimée à quatre milliards de livres (4,75 milliards d'euros). Jusqu'à la fin des années 2000, Lynch était décrit comme le "British Bill Gates". Son succès l'a d'ailleurs poussé à vendre au début des années 2010.
Le géant américain de l'informatique Hewlett Packard a alors sauté alors sur l'occasion pour acheter ce fleuron de la technologie britannique. En octobre 2011, Autonomy a donc été vendue pour la valeur astronomique de 8,6 milliards de livres (soit 11,7 milliards de dollars !) Notons que les actions d'Autonomy ont été achetées par HP à une valeur 64 % supérieure à leur cours en vigueur en 2011. Après la vente d'Autonomy, Mike Lynch a créé Invoke Capital et a cofondé l'entreprise de cybersécurité Darktrace, dont plusieurs employés venaient d'ailleurs d'Autonomy. Tout en siégeant au conseil d'administration de l'entreprise, il était conseiller en technologie du gouvernement de David Cameron et siégeait aussi dans les conseils d'administration de la BBC, du National Endowment for Science, de Technology and the Arts (Nesta) et du Francis Crick Institute, spécialisé dans la recherche biomédicale. Mike Lynch était alors au sommet de sa carrière ; mais son succès a vite été remis en cause.
En effet, coup de théâtre : à peine cinq semaines après l'achat d'Autonomy, en septembre 2011, le conseil d'administration de HP a licencié son PDG Léo Apotheker, en charge de la vente. En novembre 2011, HP a abaissé la valeur des actifs de l'entreprise britannique de 8,8 milliards de dollars (6,3 milliards d'euros), soit 80 % de ce qu'elle avait payé (11,7 milliards de dollars) pendant l'été. Fin 2012, l'action de HP était divisée par quatre et ses dirigeants ont engagé des poursuites judiciaires contre « Mike » Lynch et son directeur financier, Sushovan Hussain. HP réclamait 5 milliards de dollars, pour fraudes et gonflement des résultats d'Autonomy. Cette accusation grave était formulée par plusieurs analystes financiers de la City de Londres, qui avaient remis en doute la valeur de l'entreprise. Dès 2009, l'analyste Paul Morland avait qualifié les comptes d'Autonomy de « faux et erronés ». Après la publication de son étude, il avait été menacé de poursuites judiciaires par Sushovan Hussain : une pratique rarissime envers un analyste et qui a soulevé des doutes sur la bonne foi des dirigeants d'Autonomy. Doutes manifestement ignorés par HP en 2011.
Plusieurs pratiques d'Autonomy ont aussi été dénoncées avant l'achat de HP comme le channel stuffing. Selon certaines études, Autonomy aurait obligé ses revendeurs à acheter des surplus de produits informatiques pour gonfler le chiffre de ses ventes à court terme, affichant des résultats de fin d'année en hausse. Une autre pratique aurait consisté à afficher uniquement la croissance du chiffre d'affaires d'Autonomy dans ses comptes annuels, en excluant les acquisitions d'entreprises qui peuvent avoir un effet positif comme négatif sur la croissance de l'acquéreur. Enfin, Lynch aurait utilisé le système de « facturation dégressive » auprès de ses nouveaux clients ou lors du renouvellement des contrats. Au lieu d'échelonner les paiements en montants égaux pendant la durée des contrats, l'entreprise aurait demandé à ses clients un paiement très important pour chaque nouveau contrat ou pour un renouvellement, là aussi pour gonfler son chiffre d'affaires.
Durant son procès en Californie, démarré en novembre 2018, Mike Lynch a nié les accusations de fraude et a reproché à HP sa mauvaise gestion d'Autonomy au moment de son rachat, comme cause de son périclitement. Extradé du Royaume-Uni en 2022, il a été acquitté le 6 juin 2024, à la surprise générale, car HP n'a pas pu prouver son intention de falsifier ses comptes. Mais les doutes sur les irrégularités comptables d'Autonomy demeurent, en particulier à cause de la condamnation de Shushovan Hussain à cinq années de prison ferme en 2018. Malgré l'acquittement de Mike Lynch, HP réclame toujours 4 milliards de dollars (3,6 milliards d'euros) de réparations à Autonomy.
Max George
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