Les drones sont des aéronefs télépilotés, autrement dit sans pilote embarqué. Cette appellation recouvre plusieurs classes d'appareils. Les plus utilisés sont les drones FPV (First Person View) : des drones dotés d'une caméra frontale qui permet au pilote de voir comme s'il était dans un cockpit. Cependant, ils peuvent être de toutes les tailles, leur composition électronique peut être extrêmement complexe ou au contraire très simple. Ils ont deux principales missions : attaques et reconnaissance. Ils sont très prisés pour leur ratio coût/avantage : un drone peut coûter quelques milliers de dollars mais infliger des dégâts de plusieurs millions de dollars. Par ailleurs, il ne met pas en danger la vie de l'homme qui l'utilise.
Le contexte de la guerre russo-ukrainienne n'est pas favorable à l'armée ukrainienne : elle commence à être à court de munitions, la contre-offensive s'enlise sans résultats importants, et surtout, le soutien occidental commence à s'essouffler. Selon l'Institut Kiel, les aides nouvellement engagées sont en baisse de 90 % sur la période d'août à octobre 2023 par rapport à la même période l'année dernière. La difficulté de voter l'enveloppe de 61 milliards de dollars au Congrès américain est emblématique à cet égard.
Zelensky dit compter sur le développement d'une puissante industrie de drones pour retourner la situation à son avantage. Le 19 décembre, il a donc annoncé que cette industrie allait faire l'objet d'une attention particulière avec pour objectif de produire un million de drones en 2024. On parle surtout de drones FPV capables de transporter une charge explosive de plusieurs kilos, ou bien d'exploser directement sur les cibles visées (les fameux « drones kamikazes »). Cette politique n'est pas nouvelle : à l'été 2022, déjà, Zelensky avait lancé le projet « armée de drones » pour dynamiser cette filière. Ainsi, si 80 entreprises ukrainiennes étaient impliquées dans ce secteur à l'automne 2022, 200 le sont fin 2023. Mais les besoins sont énormes : ils sont estimés de 100 000 à 120 000 drones par mois pour l'armée ukrainienne, avec un taux d'attrition de 30 à 40 %, l'Ukraine perdant déjà actuellement 10 000 drones par mois.
Cependant, la Russie semble produire aujourd'hui six fois plus de drones FPV que l'Ukraine : environ 50 000 pour Kiev contre 300 000 pour Moscou. Il est ainsi raisonnable de penser qu'ils dénotent une réalité bien cruelle pour l'Ukraine. Car la Russie, en plus de sa capacité industrielle, peut compter sur deux points forts : son alliance avec l'Iran et l'indulgence de la Chine. L'alliance avec l'Iran lui permet d'avoir accès aux fameux drones kamikazes Shahed 136 qui font des ravages du côté ukrainien, tout en étant assez rentables (moins de 50 000 dollars pièce). La Chine de son côté, produit 90 % des drones domestiques de loisir utilisés massivement dans la guerre en Ukraine. Elle a certes annoncé réduire drastiquement ses exportations en septembre 2022, mais si l'Ukraine n'a importé que pour 200 000 dollars de drones à des firmes chinoises, les importations russes ont représenté 14,5 millions de dollars.
L'Ukraine, dans ce contexte, cherche à produire un drone qui puisse faire concurrence au Shahed 136 iranien. L'AQ 400 Scythe a été développé dans ce but-là par l' entreprise ukrainienne Terminal Autonomy : il peut porter des charges de 43 kg maximum, a une portée de 900 km maximum et une vitesse de croisière de 144 km/h. Il serait capable de passer les défenses Russes en volant très bas, ce qui en ferait une arme redoutable. Sa portée est significative : il permet d'aller toucher les infrastructures civiles dans la profondeur adverse et donc d'affecter le moral même de l'adversaire (c'est d'ailleurs la stratégie russe). Mais le Shahed, par comparaison, a un rayon d'action de 2500 km et une vitesse maximale de 180 km/h. Enfin, et c'est surement le plus important, ils coûtent autour de 20 000 dollars pièce.
Il faut produire beaucoup car, concernant ce type de drones, ce qui est important c'est la capacité à les faire voler en très grand nombre. Même si 80 % des drones Shahed sont abattus, les 20 % restants font suffisamment de dégâts pour rendre les attaques rentables. Grâce à leur nombre, ils peuvent saturer les défenses anti-aériennes ukrainiennes. Terminal Autonomy a annoncé avoir livré 50 unités aux forces armées ukrainiennes. Elle compte augmenter la production à 500 unités par mois au deuxième trimestre 2024, pour arriver, à terme, à 1000 unités produites mensuellement.
L'Ukraine voit dans cette industrie le « game-changer » dont elle a besoin pour retourner le sens de la guerre en sa faveur. Le potentiel industriel russe, même s'il est difficile à mesurer, pourrait néanmoins neutraliser cet effort ukrainien. Au-delà des réalités matérielles et opérationnelles des drones, ce sujet permet à Kiev de bénéficier d'un effet d'annonce et de remobiliser ses « forces morales », alors même que l'incertitude va croissante quant à la capacité du pays à remporter la victoire finale. Ce sujet est majeur car le développement des drones change complètement le visage des guerres modernes ...
Benoit Bertan de Balanda
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