Sans la couche d’ozone présente dans la haute atmosphère – faite de trioxygène ou O3 – la vie sur la Terre serait menacée par le rayonnement ultraviolet. Or cette mince enveloppe est fragile, comme l’ont montré des travaux dans les années 1970, qui ont décrit par le menu les mécanismes de la formation et de la destruction de cette molécule. Petit retour en arrière. Après sa découverte à la fin des années 1920, l’industrie a vite adopté une famille de gaz, les chlorofluorocarbones (CFC), pour produire du froid, des mousses synthétiques, ou propulser le contenu de récipients fermés, des bombes à raser ou insecticides de l’époque aux extincteurs d’incendie. Comme ils étaient indemnes de suspicion sanitaire, personne ne s’en est soucié pendant des décennies. Tous ignoraient alors leur impact sur l’atmosphère, jusqu’aux travaux sur la couche d’ozone – nobélisés en 1995. Lesquels ont expliqué, entre autres, pourquoi se forme chaque printemps au-dessus des pôles, surtout en Antarctique, un gigantesque trou dans cette frêle protection, s’amplifiant d’année en année.  A partir de stations de mesure de concentration de gaz, ici celle de Jungfraujoch, les scientifiques peuvent déterminer la source de certains polluants en s'appuyant sur les modèles météorologiques A la suite d’une intense mobilisation internationale, la planète s’est rassemblée sous l’égide de l’ONU, pour signer en 1987 le Protocole de Montréal, qui prévoyait un bannissement progressif de la plupart des usages des gaz chlorés et bromés, responsables de la perte accélérée d’ozone stratosphérique. Un consensus souvent cité en exemple – notamment face à l’inefficacité des traités onusiens sur le climat – parce qu’il a produit l’effet escompté: la quantité de chlore d’origine anthropique dans la stratosphère a baissé de 11,5% depuis son pic de 1993, quand celle de brome a reculé de 14,5% depuis un pic constaté en 1999, selon le dernier inventaire de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), publié en 2022. Une évolution qui permettait alors de pronostiquer la fin du trou de la couche d’ozone vers 2060 et qui, au passage, réduirait d’un demi-degré Celsius le réchauffement global attendu en 2100. Jusqu’aux sommets de la Suisse, les gaz sont trahisPrivée de CFC, l’industrie s’est tournée vers une autre famille de gaz – les hydrofluorocarbones (HFC) – considérée comme neutre pour l’ozone stratosphérique. Seulement voilà, ces molécules possèdent un impact climatique considérable: sur une durée de cent ans dans l’atmosphère, un seul kilo de HFC-23 – le trifluorométhane – réchauffe le climat autant que 14 800 kg – 14,8 tonnes – de CO2! Si bien que la communauté internationale a réagi en complétant le Protocole de Montréal d’un amendement dit «de Kigali», entré en vigueur en 2019. Lequel prévoit un retrait progressif des HFC qui pourrait tempérer, lui aussi, d’un demi-degré le réchauffement attendu en 2100. Seule exception, le HFC-23 bénéficie d’un traitement à part, puisque l’accord international prévoit pour le moment de le détruire «quand c’est faisable». En Suisse, la station d’altitude de Jungfraujoch, de l'EMPA, mesure en temps réel la présence de gaz, même à l’état de traces. Elle avait montré, en 2011, que l’Italie émettait alors nettement plus de HFC-23 qu’elle ne l’affirmait alors. En effet, grâce aux modèles météorologiques, les scruteurs de ciel sont capables de localiser les émetteurs importants avec une incertitude raisonnable. Depuis, sur le Vieux-Continent du moins, la situation semble rentrée dans l’ordre. «Nous mesurons la concentration de HFC-23, qui est à peine au-dessus du niveau global moyen, le «bruit de fond», explique Stefan Reimann, de l’EMPA. Cela montre que l’Europe fait sa part.» Ce n’est pas encore le cas de tout le monde. Quand la réalité déjoue les pronosticsEn 2020, des travaux dirigés par Kieran Stanley (Université de Bristol, Grande-Bretagne) ont montré un net écart entre les observations et la baisse attendue de 87% des émissions mondiales de HFC-23 entre 2014 et 2017, notamment sous l’impulsion des ambitieux programmes affirmés par l’Inde et la Chine, de gros émetteurs. Pékin avait ainsi planifié, pour l’ensemble du pays, une baisse de 99% entre 2015 et 2017. Pourtant, à partir de 2015, les émissions mondiales sont reparties à la hausse, atteignant 15 900 tonnes en 2018, puis 16 500 tonnes en 2020, un niveau jamais observé, qui équivaut, en termes d’impact climatique, à 244 millions de tonnes de CO2 – à peu de choses près les émissions totales d’un pays comme l’Espagne. Restait à identifier la source de ces rejets inattendus. En août dernier, une collaboration internationale, dont fait partie Kieran Stanley, a esquissé un élément de réponse à partir de mesures réalisées en Corée: les modèles météorologiques permettent de localiser une grande partie du rebond des émissions de HFC-23 dans l’est de la Chine. Selon ces observations, celles-ci y auraient presque doublé entre 2008 et 2019, passant de 5000 à 9500 tonnes par an, soit 60% des émissions globales estimées pour 2019. «Nous cherchons encore à déterminer d’où peuvent provenir les 40% restants», souligne Stefan Reimann. De même, les scientifiques analysent les mesures plus récentes pour comprendre si l’évolution relevée de 2018 à 2020 est une tendance ou un accident de parcours. «Des données postérieures feront l’objet d’une publication prochaine», annonce Kieran Stanley, qui se refuse à plus de détails. Les émissions de Chine orientale proviendraient d’usines de production d’un autre gaz, le HCFC-22, nécessaire pour la fabrication du PTFE (connu sous la marque originelle Teflon); ce composé est utilisé, entre autres, comme antiadhésif pour les ustensiles de cuisine, dans des tissus ou des câbles électriques. Autant de produits prisés en Chine comme chez ses importateurs. «Le HFC-23 est un sous-produit de la synthèse de ce gaz», explique Stefan Reimann. «En principe, il doit être récupéré et détruit par combustion à haute température, avec des plasmas, poursuit Kieran Stanley. Mais nos données montrent que ce n’est pas toujours le cas.» Cette destruction est onéreuse, si bien que des industriels préfèrent l’éviter sans doute discrètement. Une Chine peu diserteLes autorités de l’Empire du Milieu n’ont toujours pas réagi à ces travaux qui les pointent du doigt. Du moins officiellement. «C’est important que des médias comme Le Temps en parlent. La pression sur Pékin avait été efficace sur le CFC-11», rappelle Stefan Reimann, qui a contribué – avec des collègues de l’EMPA – à une enquête scientifique couronnée de succès, démarrée en 2018 sur ce gaz néfaste à l’ozone et au climat. Un travail en deux étapes: la détection de niveaux inattendus depuis plusieurs stations du globe dans un premier temps, puis la détermination de la région d’origine, l’est de la Chine, là encore à l’aide de modèles météorologiques nourris de mesures faites en Corée. Face à la bronca internationale, la réaction chinoise avait été vive et efficace: descentes de police, destruction d’une unité de production, arrestations chez les industriels clients… Cela avait conduit à un rapide retour à la normale. Sera-ce le cas pour le HFC-23? Pas si sûr, car contrairement au CFC-11 ce gaz, un véritable fléau climatique, n’est toujours pas formellement interdit, même si ses émissions devraient être aussi faibles que techniquement possible. De plus, des travaux publiés il y a quelques semaines – cosignés par Kieran Stanley – laissent penser que d’autres gaz réfrigérants de plus en plus répandus, car considérés comme peu néfastes pour la couche d’ozone et pour le climat, seraient susceptibles de réagir chimiquement avec l’ozone présent dans la basse atmosphère. Au point de former des substances à haut pouvoir réchauffant comme le HFC-23… Comme quoi la quête d’un réfrigérant universel et sans impact pour la planète relève sans doute de l’utopie! |
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