La cancel culture, cette entreprise de dénonciation publique, brise des carrières. La preuve avec Bastien Vivès, au cœur d’une polémique fin 2022 après avoir été accusé de promouvoir la pédocriminalité dans ses albums, qui a fait réagir jusqu’à la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak. C’est pour cette raison qu’il ne publie pas le deuxième tome de sa réécriture contemporaine de Corto Maltese d’Hugo Pratt, scénarisé par Martin Quenehen et intitulé « La Reine de Babylone » (Casterman). C’est pour cela aussi qu’il ne remercie pas à la fin du livre ceux qui ont « su maintenir un endroit où la création est encore possible », reconnaissant « à tous les acteurs de la bande dessinée, artistes, libraires, lecteurs et lectrices qui [l]’ont accompagné, soutenu et parfois même défendu ». C’est pour cela encore qu’il ne fait aucune promotion et qu’il n’est pas du tout interviewé par « le Figaro », expliquant que « nous sommes dans un État de droit ». Ah si.
La cancel culture brise des carrières. C’est pour cela que Bastien Vivès ne participe pas au recueil exceptionnel à l’occasion des 77 ans du « Journal de Tintin » (Moulinsart/Le Lombard) en reprenant les personnages de Julie, Claire, Cécile imaginés dans les années 1980 par Bom et Sidney, bien que son intervention ait fait « débat » en interne. Ah si.
La cancel culture brise des carrières. C’est pour cela que Florent Ruppert, mis en cause par une dizaine de femmes et visé par deux plaintes pénales (classées sans suite) selon Mediapart, ne voit pas sa BD « La Grande Odalisque », co-signée avec Jérôme Mulot et… Bastien Vivès, adaptée par Mélanie Laurent pour Netflix sous le titre « Voleuses » avec un budget et un casting conséquents. Ah si.
Après une plainte en janvier de l’association Fondation pour l’enfance visant Bastien Vivès et ses éditeurs, une enquête a été ouverte et est toujours en cours à la brigade de protection des mineurs selon le parquet de Nanterre cité par l’AFP. Le dessinateur n’a été ni entendu ni convoqué pour l’instant. L’immense polémique, largement alimentée par les réseaux sociaux après la programmation d’une carte blanche au Festival de la BD d’Angoulême, a suscité son lot de confusions. Quelques certitudes, néanmoins, surnagent : oui, Bastien Vivès a violemment pris à partie une autrice, oui, une certaine érotisation de l’inceste traverse plusieurs de ses publications, le tout en bénéficiant d’une exposition que d’autres n’ont pas eue.
Ce n’est pas qu’on voudrait « cancel » à tout va. C’est juste qu’on s’étonne que quelles que soient les polémiques, les artistes hommes continuent de mener leur barque − à tel point que le tirage de Corto Maltese est de 100 000 exemplaires, ni plus ni moins que le premier opus, « Ocean noir ». Circulez, il n’y a rien à voir. Coïncidence, dans le même temps, Chloé Wary, excellente autrice de « Rosigny Zoo » (FLBLB) a constaté que sa fresque dessinée sur commande de la mairie de Champigny-sur-Marne a été mystérieusement censurée. Peut-être que la cancel culture, c’est plutôt ça ?
Amandine Schmitt
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