Depuis quelques mois, on s'inquiète en France et ailleurs en Europe face à une profonde crise du logement. Si l'ancien premier ministre Édouard Philippe a récemment parlé d'une véritable « bombe sociale » et « urbaine », il est loin d'être le seul : beaucoup de commentateurs s'accordent pour dire qu'il s'agit d'un phénomène majeur auquel ont contribué plusieurs facteurs simultanés que nous essaierons de résumer brièvement ici.
La première raison citée est souvent la hausse brutale des taux d'intérêts pendant les derniers 2 ans suite à un bas historique lié à la stimulation monétaire de toutes les économies du monde industrialisé après la crise financière de 2007-2008. Cette hausse a impacté tous les domaines de l'activité économique, comme nous l'avons déjà vu au sujet du secteur bancaire, et l'immobilier n'échappe pas à la règle. Dans le cas des logements neufs, cette hausse a créé des problèmes à la fois pour promoteurs, acheteurs et locataires. Les coûts de construction ont augmenté non seulement au niveau des matériaux mais aussi du financement des projets, les permis de construire ont fortement chuté et les acheteurs potentiels trouvent difficilement des crédits. Le ralentissement de la construction de nouveaux logements, dont 50 % sont traditionnellement achetés pour être loués, impacte également le marché de la location, où la pénurie de l'offre et donc l'augmentation des prix sont très fortement ressenties. Les jeunes ont été particulièrement touchés, notamment dans les villes universitaires ou le manque de logements oblige certains étudiants à investir les mobil-homes des campings.
Ce scénario ne se limite pas à la France : selon un reportage ARTE sur la crise du logement en Europe, on trouve le même phénomène aux Pays-Bas. La location d'une chambre à Amsterdam coûterait en moyenne 940 € par mois (contre 720 € à Paris ou 546 € à Rome), et même dans une ville de taille modeste comme Nijmegen, il faudrait payer 800 € par mois pour 20m2. Il faudrait souligner que ces coûts élevés sont aggravés par des problèmes plus généraux causés par l'inflation et la crise énergétique (particulièrement depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022).
Il conviendrait de mentionner deux facteurs plus spécifiques qui ont ajouté aux difficultés des locataires. Le premier concerne la question des « passoires thermiques » qui seront progressivement interdites à la location en conformité avec la loi Climat et résilience de 2021, commençant par la catégorie G du classement DPE (diagnostic de performance énergétique) en 2025. Si l'intention de la loi était d'encourager les propriétaires à entreprendre des travaux pour améliorer l'état énergétique de leurs biens, ils pourraient, faute de ressources, simplement les retirer du marché. Vu le danger d'appauvrir encore plus le parc locataire français, la mise en œuvre de la loi a provoqué d'intenses débats au sein du gouvernement. Si le calendrier des interdictions a été maintenu malgré l'avis de Bruno le Maire, on parle néanmoins de la nécessité de clarifier le dispositif.
Une deuxième question urgente concerne les plateformes de location à court terme comme Airbnb, dont la réglementation fait actuellement l'objet d'une proposition transpartisane de loi. Plusieurs villes touristiques dans le monde (Florence, New York, Barcelone…) ont déjà pris des mesures contre les locations de courte durée, voulant encourager les propriétaires à revenir à une offre locative classique. Les porteurs de la proposition estiment que le succès d'Airbnb a fait grimper les prix et empiré la pénurie des logements, tout en créant des zones désertes en centre-ville en basse saison.
Si nous passons à l'achat, la conjoncture s'avère également très délicate. Selon une étude du site Meilleurs Agents, les habitants des 200 plus grandes villes en France ont perdu 20m2 de pouvoir d'achat immobilier depuis janvier 2022, principalement à cause de l'augmentation du coût des emprunts (désormais 4,2 % en moyenne sur 20 ans). Si cette perte est partiellement masquée par la baisse des prix des biens dans les grandes métropoles, où le pouvoir d'achat immobilier reste pourtant très faible, elle est dramatique dans certaines villes où les prix continuent d'augmenter, comme à St-Etienne (hausse de 9,3 %, perte en pouvoir d'achat -51m2) ou à Mulhouse (+6,7 %, -48m2). Etant donné que les primo-accédants sont les plus touchés par cette évolution du marché, un cercle vicieux s'installe, ces locataires ayant logiquement tendance à rester dans leur logement actuel, exacerbant encore plus la pénurie sur le marché locataire…
Face à ces problèmes, Elisabeth Borne a proposé le 16 novembre à Dunkerque une série de mesures pour combattre la crise (rachat de logements sociaux, création de 35000 logements supplémentaires pour les jeunes, prolongement du prêt à taux zéro jusqu'en 2027…). On verra bien si ces mesures seront suffisantes pour renverser une tendance générée par une superposition de facteurs systémiques qui ne semblent pas destinés à disparaître du jour au lendemain.
Peter Bannister
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