Bien qu’il n’ait pas pesé lourd pour la vaccination anti-Covid, le principe de précaution n’est pas révolu en France. La Haute Autorité de Santé (HAS) l’applique encore, en tout cas à elle-même : elle a publié le 20 février un avis « provisoire » dont l’essentiel tient dans cette phrase : « Dans le contexte actuel, l'obligation vaccinale contre la Covid-19 pourrait être levée pour tous les professionnels visés ». Étant entendu, ajoute aussitôt le communiqué de la HAS, que la vaccination anti-Covid « devrait rester fortement recommandée, en particulier pour les professions pour lesquelles une recommandation de vaccination est actuellement en vigueur pour la grippe ». La HAS ajoute encore que « a levée d'une obligation vaccinale en milieu professionnel ne doit pas être considérée comme une remise en question de l'intérêt de cette vaccination que ce soit en milieu professionnel ou en population générale ». Par un surcroît de prudence, la HAS réserve toutefois son avis définitif pour la fin mars, le temps de mener « une consultation publique » (auprès de citoyens choisis au hasard, comme pour l’euthanasie ? cf. LSDJ n°1831). Les avis de cette instance sont généralement suivis par le gouvernement, à moins que ce ne soit l’inverse. Toutefois, si par extraordinaire l’avis finalement émis par la HAS contrariait l’exécutif, il pourrait invoquer celui du Conseil national d'éthique (CCNE) qui a l’habitude de suivre au cordeau la ligne gouvernementale, y compris dans ses revirements, comme cela s’est vérifié encore à propos de l’euthanasie (cf. LSDJ n°1707).
S’agissant des vaccins anti-Covid, « le contexte » a en effet changé. La moindre virulence de la souche Omicron, les faiblesses ou les ratés de la vaccination, ou encore la peur que suscite un produit dont l’Autorisation de Mise sur le marché (AMM) a été donnée à titre provisoire, rendent l’obligation vaccinale difficilement tenable. Le gouvernement français est le seul en Europe, avec celui de la Hongrie, à ne pas avoir fait le choix de réintégrer son personnel soignant ou socio-médical non-vacciné. Ceux qui n’ont reçu aucune dose sont suspendus depuis le 15 septembre 2021, et les réfractaires à la deuxième dose depuis le 15 octobre 2021 (notons que selon un avis émis le 20 juillet 2022 par le Conseil scientifique, « la 3e dose est obligatoire dans cette population mais pas toujours réalisée » alors qu’elle est « particulièrement importante » pour les personnes à risque »...) Cette sanction d’une exceptionnelle rigueur pour les réfractaires aux deux doses de vaccin (voire à la troisième, encore que beaucoup pourraient y avoir échappé) est la conséquence de la loi sur la gestion de la crise sanitaire adoptée au mois d’août 2021 qui elle-même faisait suite à l’annonce par Emmanuel Macron de la vaccination obligatoire des soignants, le 12 juillet (approuvée par le Conseil scientifique le 16). Voilà donc dix-huit mois que des médecins, infirmières, infirmiers, secrétaires médicaux des établissements de santé et des Ehpad, ou encore des pompiers sont privés du droit d’exercer, et laissés sans salaire ni indemnité. Les nombreux recours qu’ils ont déposés auprès du Conseil d’État comme les référés devant la justice administrative ont été systématiquement rejetés, ne laissant aux requérants que la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
Combien les réfractaires sont-ils au total ? Cela reste un mystère... En novembre 2022, la Fédération hospitalière de France (FHF) estimait que sur un total de 1,2 million d’agents de la fonction publique hospitalière, 4 000 professionnels étaient suspendus (au total, tous métiers confondus, les suspendus auraient culminé à 12 000 cf. LSDJ 1749). Ce même mois de novembre 2022, l’Académie nationale de médecine s’est dite défavorable à une réintégration des soignants non vaccinés. C’est alors que le ministre de la santé, François Braun – lui-même défavorable à la réintégration – a saisi la HAS pour l’avis qu’elle vient d’émettre le 20 février dernier.
Quelle que soit la conclusion de cette affaire, on peut déjà dire que les autorités gouvernementales et sanitaires se seront hâtées lentement. Avec peu d’égards pour la misère voire le désespoir (parfois jusqu’au suicide) de milliers d’hommes et de femmes privés de ressources et mis au ban après avoir été applaudis quelques mois plus tôt, avec l’ensemble des soignants, pour leur dévouement au plus fort de la crise sanitaire. Le chirurgien Denis Dupuy dénonce dans Contrepoints (en lien ci-dessous) les « mauvaises raisons » pour lesquelles ces réfractaires ont été ostracisés après que le président de la République en personne eut déclaré son « envie de les emmerder ».
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