Le 27 février 1989, une semaine d’émeutes sans précédent éclate au Venezuela, sur fond de pauvreté. Comment le pays a-t-il pu en arriver là ?
Riche de 30 % des réserves pétrolières mondiales, le Venezuela, fondateur de l’OPEP, ne pouvait pourtant pas faire faillite. Mais le pays entretient depuis des années le mirage de la cagnotte pétrolière : administration pléthorique, entreprises publiques déficitaires, grands projets d’infrastructures et probité fragile. Tout est importé, les prix sont subventionnés et contrôlés. La classe moyenne achète une voiture neuve par an. Le litre d’essence coûte 3 centimes. Surtout, le pays ne produit presque rien de tout ce qu’il consomme : il importe tout, et en dollars.
Ce train de vie artificiel repose sur un endettement continu. Les banques internationales prêtent près de 35 milliards de dollars au pays qui n’en a pourtant pas besoin. En parallèle, tout ce qui garantit la pérennité d’un pays – éducation, formation, infrastructures, industrie, finances saines et économie productive – est négligé.
En 1984, une première alerte conduit à un accord de ré-étalement en 1986, doublé d’une dévaluation et d’un plan de rigueur créant des pénuries. Car, sans nouveaux emprunts, le pays ne peut pas importer et payer ses dettes dans le même temps.
Le bolivar chute face au dollar. Que faire ? Toute dévaluation fait monter les prix et le mécontentement. Pour préserver le pouvoir d’achat, le gouvernement crée alors une nouvelle administration qui gère un taux de change permettant d’importer les marchandises au taux de 6,5 bolivars / dollar pour un cours réel de 40. À ce compte, impossible d’équilibrer la balance commerciale et de développer l’industrie locale qui ne peut concurrencer les importations.
Fin 1988, le parti socialiste Action Démocratique de Jaime Lusinchi ne pense plus qu’à gagner les élections, quoi qu’il en coûte, et à faire réélire l’improbable Carlos Andrés Pérez, le père du système. Pour cela, on relance la consommation grâce au taux de change magique : les produits importés coûtent 7 fois moins cher qu’à Paris. On finance l’année électorale par les crédits à l’importation, garantis par des réserves de change qui n’existent plus.
Pérez remporte les élections le 2 février 1989. Deux semaines après, il déclare la cessation de paiements et réclame au FMI un nouveau prêt de 5 milliards. Les conditions d’obtention sont telles que le gouvernement annonce une série de mesures économiques très controversées, incluant notamment la fin des prix subventionnés. Dès lors, les pénuries apparaissent, les prix montent, dans un climat tendu.
Ce matin du 27 février 1989, les travailleurs se rendent à la gare routière de Guarenas, une banlieue située à 30 km de Caracas, la capitale. Sur place, ils constatent que le prix du billet de bus a doublé depuis la veille. Pour eux, c’est la ruine. De rage, ils mettent le feu au bus, gagnent la ville et pillent les petits commerces qualifiés d’accaparateurs.
Certains policiers participent au pillage, avec l’autorité que leur procure leur arme de service. D’autres font feu pour dégager les rues. Les troubles gagnent Caracas le lendemain, 28 février. Tout le monde tire sur tout le monde. Les plus riches s’enfuient vers Miami, tandis que l’émeute s’approche du palais présidentiel. Chacun se défend, arme au poing. Les milices de voisins contre-attaquent pour nettoyer les quartiers. Les combats ont lieu jour et nuit. Un avocat du quartier de la Florida abat en une nuit 14 assaillants sur son toit.
Le gouvernement, mi-compatissant mi-dépassé, ne sait plus quoi dire, ni quoi faire avec cette population qu’il cajole et achète par des dépenses inconsidérées depuis plus de 15 ans, en lui assurant la prospérité. Sidéré, le ministre de l’Intérieur ne parvient même pas à prononcer son allocution télévisée, qu’on remplace alors par un dessin animé de Walt Disney. C’en est trop. Il faut recourir à l’armée, dernière institution encore debout. Le 1er mars, le président suspend les droits constitutionnels et instaure le couvre-feu : toute personne en dehors de son domicile ou à sa fenêtre sera abattue. Le quadrillage commence rue par rue, au fusil d’assaut.
En une semaine, tout a disparu : ravitaillement, essence, État, droits fondamentaux, confiance dans le gouvernement. Le bilan humain des émeutes s’élève de 200 à 3 500 morts « selon les sources ». Aucun des gouvernements suivants ne parvient à redresser le pays. De faillites du système bancaire en coups d’État ratés, le pouvoir échoit en 1999 à Hugo Chavez.
La révolution socialiste bolivarienne de Chavez porte alors la dette à 190 milliards de dollars, engendre faillites et crises alimentaires, avec plus de 7 millions de Vénézuéliens exilés et réfugiés. En 15 ans, ce pays si riche a fait le chemin inverse d’un voisin pourtant très mal parti : le Chili. D’abord surendetté et dépendant des matières premières, celui-ci est devenu un pays industriel, développé, désendetté, et a rejeté en 1988 son dictateur, par référendum.
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