Présidentielle au Brésil : Lula « inquiet » du silence de Bolsonaro
Après les scènes de liesse, les feux d’artifice et un discours de victoire plein de promesses, Lula, président élu du Brésil, se prépare à un mandat compliqué.
BRÉSIL - Lula crie sa victoire, Bolsonaro reste muré dans le silence. Acclamé par une impressionnante marée rouge de centaines de milliers de partisans massés ce dimanche 30 octobre au soir sur l’Avenida Paulista de São Paulo, Lula a prôné la « paix et l’unité » après son élection d’une courte tête à la présidence du Brésil.
« Aujourd’hui, nous disons au monde que le Brésil est de retour, il est trop grand pour être relégué à ce triste rôle de paria dans le monde », a déclaré Lula dans son discours de victoire tandis que le plus grand pays d’Amérique latine s’est isolé sur le plan diplomatique lors du mandat de Jair Bolsonaro. Lula a aussi plaidé pour « un Brésil égalitaire, un Brésil pour tous, dont la priorité est donnée aux personnes qui en ont le plus besoin ».
Il s’est toutefois dit « inquiet » du silence assourdissant de son adversaire. Le président sortant Jair Bolsonaro n’a en effet toujours pas reconnu sa défaite plusieurs heures après l’annonce des résultats. Il a perdu de peu au second tour ce dimanche avec 49,1 % des voix contre 50,9 % pour Lula. Le silence du dirigeant qui doit encore gouverner deux mois est lourd de menaces.
« Je suis moitié heureux, moitié inquiet »
« Dans n’importe quel pays au monde, le candidat défait m’aurait déjà appelé pour reconnaître sa défaite. Il ne m’a toujours pas appelé, je ne sais pas s’il va appeler et s’il va reconnaître » sa défaite, a déclaré Lula s’adressant à ses partisans. « J’aimerais bien être juste heureux, mais je suis moitié heureux, moitié inquiet », a-t-il insisté.
« Le pire qui puisse arriver serait que les Brésiliens aillent se coucher sans entendre la position de leur président (Bolsonaro, ndlr), ce qui sèmerait le doute sur son acceptation du résultat » de l’élection, disait dimanche soir à l’AFP Leandro Consentino, politologue de l’Université privée Insper de São Paulo.
Or les lumières du Palais de l’Alvorada se sont éteintes tôt dimanche soir et selon Lauro Jardim, éditorialiste généralement bien informé du quotidien O Globo, le président défait aurait refusé toute visite après le résultat et serait allé se coucher.
Pacifier un pays divisé
Cette défaite est aussi très difficile à avaler pour ses partisans. « Je suis révoltée, le peuple brésilien ne va pas avaler une élection manipulée comme cela et remettre le pays entre les mains d’un bandit. Bolsonaro doit agir vite, sinon, on ne pourra plus rien faire », dit Ruth da Silva Barbosa, enseignante de 50 ans, dépitée après avoir suivi le dépouillement à Brasilia.
Mais plusieurs alliés importants de Jair Bolsonaro ont reconnu sa défaite, comme l’ancien juge anticorruption Sergio Moro. « La démocratie est ainsi. Je serai dans l’opposition en 2023 », a tweeté celui qui avait envoyé Lula en prison.
La suite s’annonce difficile pour Lula qui va devoir réunir et pacifier un Brésil malmené par quatre années de gestion à coups de crises de son prédécesseur au Palais du Planalto. De plus, la population est coupée en deux par la campagne la plus polarisée et brutale de son histoire récente.
« Je vais gouverner pour 215 millions de Brésiliens, et pas seulement ceux qui ont voté pour moi », a assuré Lula dans son discours de victoire. Or 58 millions de Brésiliens ont voté contre lui. « Ce pays a besoin de paix et d’unité », a insisté l’icône de la gauche car « personne n’a envie de vivre dans une famille où règne la discorde ».
L’extrême droite domine le Congrès
« La moitié de la population est mécontente » du résultat, note Leandro Consentino. « Il va être essentiel que Lula ait la capacité de tendre la main à ceux qui n’ont pas voté pour lui et leur dise qu’il est le président de tous ». « Lula va devoir pacifier le pays », dit l’analyste. C’est d’ailleurs ce qu’a dit promis le vétéran de la politique brésilienne dimanche : « il n’existe pas deux Brésil », a-t-il lancé, « nous sommes un seul peuple, une seule nation ».
Lula va aussi devoir composer avec un Parlement que les élections législatives du 2 octobre ont fait pencher davantage vers la droite radicale, le Parti libéral (PL) de Jair Bolsonaro étant devenu la première formation à la Chambre des députés comme au Sénat.
En se présentant, Lula a réuni une coalition hétéroclite d’une dizaine de formations autour de son Parti des Travailleurs (PT). Il a choisi aussi un vice-président au centre, Geraldo Alckmin, un ex-adversaire battu à la présidentielle de 2006, pour séduire l’électorat modéré et les milieux d’affaires.
« Une Amazonie en vie »
Le gouvernement de Lula devra par ailleurs redonner des moyens aux organismes de surveillance de la déforestation en Amazonie très affaiblis par les coupes de crédit, les démembrements et l’impunité totale de toutes sortes de trafiquants. « Le Brésil est prêt à reprendre son leadership dans la lutte contre la crise climatique (...) Le Brésil et la planète ont besoin d’une Amazonie en vie », a lancé Lula.
Autre défi de taille pour le nouveau président, à l’heure où il devra financer les politiques sociales promises et sans la croissance de ses précédents mandats : les finances de l’État brésilien ont été plombées après la distribution, à des fins électorales, de dizaines de milliards de réais d’aides lors de sa campagne par Jair Bolsonaro.
C’est un come-back historique pour cet ancien métallo de 77 ans, qui débutera le 1er janvier son troisième mandat, 12 ans après avoir quitté le pouvoir sur une popularité record (87 %). Mais aussi après être passé 580 jours par la case prison, après des condamnations pour corruption finalement annulées pour vice de forme.
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