Michel Etievent
A deux pas de votre porte…
Je me souviens, c’est loin, j’étais enfant. Au village, on les appelait les « Gorelettes ». « Goreler » en patois savoyard, signifie « gueuler », « hurler ». Celles qui hurlent, en somme. C’était, dit-on, deux femmes qui vivaient dans le taudis d’un hameau oublié que l’on appelait les « Pierres » en Tarentaise. Elles ne voyaient jamais personne, les gens en avaient peur, comme de ces légendes, de ces fantômes qui vous chahutent la mémoire populaire ou hantent les contes pour enfants. Elles étaient, racontait-on, de sacs rapiécées, de noir vêtues, encrassées de soleil aussi comme ces paysans de Labruyère, « au visage incertain » qui trimaient dans les argiles âpres d’antan.
Des vieux de chez moi, comme Louise aujourd’hui au paradis des marcheuses, se souvenaient encore de leurs cris stridents à la manière des loups. Des râles rauques que répétait inlassablement l’écho des montagnes. Elles criaient famine, tout simplement. « Crier famine » pour avoir entendu ces mots dans la bouche de mon maître d’école, je croyais l’expression réservée aux fables du moyen âge ou à celles de La Fontaine. En tout cas, à un temps révolu perdu au fond de nos livres d’histoire.
Pourtant, les « Gorelettes » vivaient encore quand j’étais enfant.. On criait la faim à deux pas de ma porte. Elles n’avaient rien, disait-on. Rien qu’un pauvre jardin de pierraille où tardaient quelques légumes poussifs. Pourtant ma mère ne nous en parlait jamais. L’inquiétude, la peur sans doute de devenir elle aussi, un jour, une gorelette. Les fours de l’usine, une maigre paie, des heures de trime aux ménages des autres, des courbures infinies face aux pyramides de linge à laver dans l’eau glacée des bassins lui permettaient, nous permettaient d’échapper aux cris, au sort des gorelettes. Tout juste cependant.
Un matin, je me souviens l’avoir entendu dire : «A midi, vous ferez comme les gorelettes, mes petits, je n’arriverais pas jusqu’à la prochaine paie » Je me souviens avoir eu peur. Nous allions devenir nous aussi de gorelettes, semblables à ces femmes qui hantaient la montagne. Crier famine, comme les loups des vilaines histoires pour enfants que nous livraient les ouvrages de la bibliothèque. Mais la mère était habile, il y avait toujours une soupe d’herbes sauvages, des fruits ramassés, un pain « perdu » enrobé de sucrerie à la hâte. Je n’ai jamais été gorelette. Au bord de l’être, peut être. Juste au bord.
A la radio tout à l’heure, un journaliste racontait que, dans le monde, un enfant meurt de faim toutes les deux secondes. Comptez avec moi : un…deux… Des bouches qui réclament. Des yeux qui se ferment. On dit qu’en France, des centaines de milliers de personnes n’atteignent même plus le seuil du seuil de pauvreté. On dort dans des cartons dans les beaux faubourgs, on loge dans des tentes aux quais d’un fleuve bordé de richesses provocantes, on dort dans sa voiture, on mange des miettes dès le 15 du mois . Juste là, à nos portes. Peut être à la porte en face de votre palier. Des gorelettes elles aussi, au seuil de 2020…Et de ses espoirs, peut être…
Des vieux de chez moi, comme Louise aujourd’hui au paradis des marcheuses, se souvenaient encore de leurs cris stridents à la manière des loups. Des râles rauques que répétait inlassablement l’écho des montagnes. Elles criaient famine, tout simplement. « Crier famine » pour avoir entendu ces mots dans la bouche de mon maître d’école, je croyais l’expression réservée aux fables du moyen âge ou à celles de La Fontaine. En tout cas, à un temps révolu perdu au fond de nos livres d’histoire.
Pourtant, les « Gorelettes » vivaient encore quand j’étais enfant.. On criait la faim à deux pas de ma porte. Elles n’avaient rien, disait-on. Rien qu’un pauvre jardin de pierraille où tardaient quelques légumes poussifs. Pourtant ma mère ne nous en parlait jamais. L’inquiétude, la peur sans doute de devenir elle aussi, un jour, une gorelette. Les fours de l’usine, une maigre paie, des heures de trime aux ménages des autres, des courbures infinies face aux pyramides de linge à laver dans l’eau glacée des bassins lui permettaient, nous permettaient d’échapper aux cris, au sort des gorelettes. Tout juste cependant.
Un matin, je me souviens l’avoir entendu dire : «A midi, vous ferez comme les gorelettes, mes petits, je n’arriverais pas jusqu’à la prochaine paie » Je me souviens avoir eu peur. Nous allions devenir nous aussi de gorelettes, semblables à ces femmes qui hantaient la montagne. Crier famine, comme les loups des vilaines histoires pour enfants que nous livraient les ouvrages de la bibliothèque. Mais la mère était habile, il y avait toujours une soupe d’herbes sauvages, des fruits ramassés, un pain « perdu » enrobé de sucrerie à la hâte. Je n’ai jamais été gorelette. Au bord de l’être, peut être. Juste au bord.
A la radio tout à l’heure, un journaliste racontait que, dans le monde, un enfant meurt de faim toutes les deux secondes. Comptez avec moi : un…deux… Des bouches qui réclament. Des yeux qui se ferment. On dit qu’en France, des centaines de milliers de personnes n’atteignent même plus le seuil du seuil de pauvreté. On dort dans des cartons dans les beaux faubourgs, on loge dans des tentes aux quais d’un fleuve bordé de richesses provocantes, on dort dans sa voiture, on mange des miettes dès le 15 du mois . Juste là, à nos portes. Peut être à la porte en face de votre palier. Des gorelettes elles aussi, au seuil de 2020…Et de ses espoirs, peut être…
Michel Etiévent
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