Jacques Chirac est devenu plus grand que lui-même. Au jour de
sa mort, plus personne ne se souvient du politicien carnassier qui dévora tous ses adversaires pour se hisser jusqu’à l’Elysée, et encore moins du leader opportuniste qui flirta avec toutes les idées de la droite – même les plus sombres – pourvu qu’elles servent sa marche vers le pouvoir.
Nul n’évoque le « Supermenteur » qui escamotait
les affaires politico-financières par un grand sourire « abracadabrantesque ». Et qui songe encore aux rendez-vous ratés et à l’immobilisme de son double mandat passé par pertes et profits ? Seule sa figure familière de condottiere se détache.
Avec lui s’efface un monde ancien, où l’on dévorait des têtes de veau en serrant les mains des électeurs, où l’on courait les filles en engloutissant des chopines et en lâchant des blagues de soudard. La politique, c’était la grande aventure entre copains, avec valises de cash, coups de Jarnac et rendez-vous secrets. L’univers truculent de ce « rad soc », qui n’aimait rien tant que les comices agricoles et les champs de foire, ne peut que susciter la nostalgie chez ceux qui sont nés avant l’an 2000.
Mais cette tendresse rétrospective n’épuise pas le personnage. Reconnaissance d’une faute nationale dans la rafle du Vél’d’Hiv, refus de participer à la guerre en Irak et prophétisme climatique
, ce chef d’Etat a aussi eu des fulgurances.
Chirac ne croyait pas à la supériorité de l’homme occidental. Il croyait en l’Homme et ne le voyait pas plus beau qu’il n’est. La maladie, sa vie déclinante et son effacement inexorable de la vie publique ont fini de le rendre touchant car vulnérable après avoir exercé le pouvoir. Ce conquérant était un pudique que la maladie et la disparition de sa fille aînée Laurence ont secrètement dévasté. Il s’est éteint
« au milieu des siens », comme on le faisait au Grand Siècle.
C’est, avec lui, un peu de notre histoire que nous perdons et que nous célébrons.
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