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La démocratie communale
La Tribune des Travailleurs, 9 janvier 2019
Macron, menant le pays au chaos, dresse tout le monde et principalement le peuple travailleur contre le régime. Dans une recherche intensifiée de la vraie république, les références à la Révolution de 1789 se multiplient et la perspective de la Constituante se précise. Cette semaine, La Tribune des travailleurs revient sur une des conquêtes de la Révolution, les municipalités qui se sont érigées dans toute la France et qui, en 1871 à Paris, se sont révélées comme « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ». F. T.
Par Loïc Le Bars
Dès la fin du IXe siècle, la renaissance du commerce international et la croissance de la production agricole favorisent l’essor des villes de l’Europe occidentale. Marchands et artisans veulent se libérer du joug des seigneurs et du droit féodal. Ils demandent le droit d’administrer leurs villes. En France, ils se regroupent dans des « communes ». Les rois et les seigneurs finissent par leur accorder, parfois au terme d’une lutte violente, des « chartes de commune » leur garantissant des « franchises », des libertés, dont celle de choisir les magistrats chargés d’administrer leurs cités.
Mais la royauté, après avoir encouragé le mouvement communal, tend à renforcer ses pouvoirs. Les « villes franches » doivent abandonner certaines de leurs prérogatives et ne peuvent plus choisir librement leurs maires.
Dans les villages, la seule institution communautaire est la paroisse. Son assemblée, rassemblant les chefs de famille, qui peuvent être des femmes en cas de veuvage, administre la vie locale.
Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.
En 1789, une loi entérine les acquis de la révolution communale de juillet-août (lire notre encadré). Les villes et les paroisses deviennent des communes. Chacune d’elles sera administrée par un maire et des conseillers municipaux élus par l’assemblée des « citoyens actifs », les hommes payant au minimum un impôt, généralement fixé à un niveau très bas afin de permettre une participation massive à ces élections. En septembre 1792, le suffrage universel masculin est instauré. Le maire est élu pour deux ans de même que le conseil municipal, renouvelable par moitié chaque année, ce qui permet aux électeurs d’exercer un contrôle réel sur leurs représentants.
Le conseil est chargé des affaires communales et du maintien de l’ordre. Cette démocratie communale joue un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire : « C’est l’action incessante et toujours éveillée de ces municipalités innombrables qui suppléa à l’inévitable défaillance du pouvoir exécutif, maintint l’ordre, châtia ou prévint les complots (…) et multiplia les prises de la Révolution sur le pays »*.
Sous le Consulat puis l’Empire,
les maires sont nommés
par le chef de l’État
ou par les préfets
les maires sont nommés
par le chef de l’État
ou par les préfets
Le régime né du coup d’État de 1799 de Bonaparte abroge cette loi qui a permis à la démocratie de s’implanter en profondeur dans le pays. Sous le Consulat puis l’Empire, les maires et les conseils municipaux sont nommés par le chef de l’État ou par les préfets. Il en est de même sous la Restauration. À partir de 1831, les conseils municipaux sont de nouveau élus, au suffrage censitaire sous la monarchie de Juillet, au suffrage universel masculin à partir de 1848. Mais les maires et leurs adjoints sont toujours nommés par le pouvoir. En mars 1871, c’est en référence à la Commune insurrectionnelle, qui mit fin en 1792 à la royauté, qu’est proclamée la Commune de Paris* que Marx définira comme « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ».
Il faut attendre la IIIe République et 1884 pour que les conseils municipaux se voient accorder le droit d’élire leurs maires. Sous Vichy, les maires et les conseils municipaux des communes de plus de 2 000 habitants sont désignés par Pétain ou ses préfets. La loi de 1884 est de nouveau en vigueur à la Libération et les élections municipales d’août 1945 sont les premières auxquelles les femmes peuvent participer.
Mais ce maillage du territoire en un grand nombre de communes, né de la Révolution, est aujourd’hui en voie de liquidation. Lois de décentralisation, transferts de charges, intercommunalité forcée, étranglement financier… : depuis trente ans, les gouvernements n’ont cessé d’attaquer la démocratie communale.
Il s’agit pour eux, comme le préconisait le Livre blanc publié en juin 2009 par le Comité des régions de l’Union européenne*, de faire « que les autorités régionales et locales deviennent de véritables partenaires dans la manière de concevoir et d’appliquer les politiques européennes (…) en associant mieux les collectivités territoriales au processus de maîtrise des dépenses publiques » imposé par les traités européens.
* Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, tome 1, La Constituante.
Carte d’entrée de la mairie de Paris – L’An 2
Des états généraux, des députés et une prise de la BastilleJanvier 1789. Les trois ordres de la société d’Ancien Régime, noblesse, clergé, tiers état, se réunissent, séparément, pour élire leurs députés aux états généraux. Le tiers état, 96 % de la population, se réunit par paroisse dans les campagnes, par corporation et par quartier dans les villes. Les assemblées choisissent les « électeurs » qui désignent les députés aux états généraux et rédigent leurs cahiers de « doléances ».À Paris, les assemblées continuent de se réunir après l’ouverture des états, pour rester en contact avec leurs députés. « Ainsi se constituait, par la force révolutionnaire spontanée de Paris et avant même toute loi municipale, une sorte de municipalité parisienne, fonctionnant à côté des anciens pouvoirs de la ville »*. Les députés de province rendent compte de leur intervention et de la situation dans des lettres à leurs électeurs.Début juillet, la population parisienne s’alarme de la concentration de troupes autour de la ville en vue d’un coup de force du roi contre l’Assemblée constituante. Le 10, l’Assemblée des électeurs constitue une garde armée pour défendre Paris et la Révolution. Le renvoi de Necker précipite les événements et l’Assemblée parisienne élit, le 13, un Comité permanent. Le lendemain de la prise de la Bastille, ce dernier devient la Commune de Paris, dont Bailly est élu maire. En province, cette intervention du peuple parisien suscite l’enthousiasme et accélère un mouvement qui, dans certaines villes, avait débuté dès les premiers jours de juillet. Partout se constituent des communes, qui remplacent les municipalités désignées par le roi.* Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, tome 1, La Constituante.
Les stratégies de l’État pour assurer une domination sans partage sur tous les territoires
Plusieurs stratégies sont mises en œuvre pour tenter d’en finir avec les communes dans le cadre de la dislocation de la République entamée depuis trente ans au profit de « l’Europe des régions ». Ainsi, les gouvernements ont encouragé dès le début des années 1990 la fusion de communes.Mais cette incitation n’a abouti qu’à un nombre très limité de fusions. Aussi les pou- voirs publics ont-ils eu recours au chantage aux subventions : en 2015, le gouvernement Hollande-Valls promet aux communes qui fusionneront dans l’année le gel de la baisse des dotations de l’État amorcée l’année précédente. Les résultats ne se sont pas fait attendre et dans certains départements le nombre de communes est divisé par deux en trois ans.Parallèlement, sont instituées les « communautés de communes », les « communautés d’agglomération » et les métropoles urbaines. Comme pour les fusions de communes, cette intercommunalité a d’abord été incitative puis, en 2012, elle est devenue obligatoire. Cette intercommunalité forcée n’a rien à voir avec celle mise en place volontairement depuis des décennies par des communes pour gérer collectivement, via des syndicats intercommunaux, des services publics comme ceux de l’eau ou du ramassage des ordures ménagères. Malgré l’opposition de très nombreux élus, toutes les communes ont dû intégrer ces communautés, baptisées « établissements publics de coopération intercommunale » (EPCI), dans le cadre des « schémas départementaux de coopération intercommunale » imposés par les préfets. La loi NOTRe (Nouvelle organi- sation de la République) de 2015 a relevé de 5 000 à 15 000 le nombre minimal d’habitants d’un EPCI, ce qui a obligé les trois quarts des communautés existantes à se regrouper. Dernière mesure mise en œuvre contre la démocratie communale : avec la loi de finances 2018, la tutelle de l’État découlant des contrats obligatoires que certaines communes devront passer avec celui-ci et qui leur interdit d’augmenter de plus de 1,2 % leurs dépenses de fonctionnement sous peine de pénalités financières.
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