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mardi 30 janvier 2018

Syrie : les déconvenues de la Pax Poutina


30 janvier 2018.

Syrie : les déconvenues de la Pax Poutina

Le sommet de Sotchi, qui devait réunir toutes les parties, est boycotté par l'opposition syrienne et les Kurdes

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Le décor est planté. A l'aéroport et sur les autoroutes aux abords de Sotchi, la station balnéaire russe de la mer Noire, d'immenses affiches proclamant en trois langues (russe, arabe et anglais) " La paix pour le peuple syrien ", ont été placardées. Mais le sommet qui doit s'y ouvrir lundi 29  janvier, à l'initiative du président Vladimir Poutine, en coordination avec ses alliés turc et iranien, s'annonce périlleux. Ni les Kurdes de Syrie, visés depuis le 20  janvier par une offensive de l'armée turque à Afrin, ni les mouvements d'opposition au régime Assad ne devraient y participer.
Dès samedi, à l'issue du neuvième round de pourparlers avec Damas, organisé à  Vienne (Autriche), sous l'égide des Nations unies, le Comité des négociations syriennes (CNS), qui regroupe la quasi-totalité des factions antirégime, a annoncé son intention de boycotter l'étape de Sotchi. " Le régime mise sur une solution militaire, il ne montre pas de volonté d'engager une négociation politique sérieuse ", a justifié Nasr Hariri, négociateur en chef de l'opposition syrienne.
Puis, ce fut le tour des Kurdes -syriens. " La Turquie et la Russie sont les garants de Sotchi et ces deux pays se sont mis d'accord sur Afrin, ce qui contredit le principe même de dialogue politique ", a déclaré Fawza Youssef, une responsable du mouvement kurde syrien PYD, combattu par Ankara.
Poutine se veut pacificateurMoscou, qui a lancé tous azimuts les 1 600  invitations pour ce " congrès de la paix ", n'avait pas réagi dimanche soir à cette série de -déconvenues. Seul le sénateur Konstantin Kosachev, président de la commission des affaires étrangères du Conseil de la Fédération, s'est chargé de faire part de son " extrême regret "" Le congrès, a-t-il déclaré, représente une chance réelle d'avancer dans l'unité syrienne et dans l'intérêt de la résolution onusienne 2254. "
Après Vienne, les discussions à Sotchi doivent porter sur la future Constitution de la Syrie prévue par la résolution de décembre 2016, plutôt que sur la mise en place d'un organe de transition, thème plus sensible, ou sur le sort de Bachar Al-Assad. Mais sur ce sujet aussi, l'allié syrien, représenté par Bachar Al-Jaafari, l'ambassadeur de Damas à l'ONU, n'a guère aidé son partenaire russe en opposant, à Vienne, une fin de non-recevoir aux efforts de Staffan de Mistura, l'envoyé spécial des Nations unies.
Comme les négociations ouvertes en janvier  2017 à Astana -(Kazakhstan), en parallèle du processus lancé sous l'égide de l'ONU à Genève, Sotchi devait être le pendant, en mieux, de la négociation de Vienne. Mais pour Vladimir Poutine, désireux de s'afficher dans le rôle du pacificateur, tout en épargnant Bachar Al-Assad, les choses ne se passent tout à fait comme prévu. Malgré d'intenses préparatifs, Moscou bute sur plusieurs obstacles.
La première rencontre, le 22  janvier, à Moscou, entre le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et une importante délégation du CNS menée par Nasr Hariri, s'était déroulée plutôt fraîchement. Le négociateur en chef de l'opposition syrienne avait insisté devant la presse sur les " souffrances du peuple syrien " infligées par le régime et, sous-entendu, par son allié russe. " C'est en grande partie le format d'Astana (…) et la mise en place de quatre zones de désescalade qui ont permis de réduire significativement le niveau de violence, avait rétorqué M. Lavrov.Aujourd'hui, malgré des sursauts ponctuels d'activité militaire, la situation est dans l'ensemble bien meilleure qu'il y a un an. " A la sortie, ses interlocuteurs ne semblaient pas convaincus : leur présence à Sotchi, avaient-ils prévenu, serait conditionnée aux avancées obtenues à Vienne… qui n'ont pas eu lieu.
" Pragmatisme russe "Or, les fameuses zones de désescalade, principal apport des trois pays parrains des accords d'Astana (la Russie, l'Iran et la Turquie), portent de moins en moins bien leur nom. Avant même que ne démarre l'offensive d'Afrin, conduite par Ankara et ses alliés rebelles de l'Armée syrienne libre contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), considérée comme un groupe " terroriste " par les autorités turques en raison de ses liens avec le PKK, Damas avait lancé sa propre attaque, avec le soutien de l'aviation russe, contre la région d'Idlib, dernière province syrienne encore contrôlée par les insurgés.
La récente alliance entre Ankara et Moscou ne semble pas remise en cause par l'opération d'Ankara à Afrin. Les militaires russes, présents en nombre dans le nord-ouest de la Syrie, ont en effet pris soin de se retirer de l'enclave, laissant les Kurdes aux prises avec l'armée turque. " C'est la marque du pragmatisme russe ", juge -Anton Mardasov, spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut pour le développement innovant, à Moscou. " De cette façon, assure-t-il, la Russie fait passer un message aux Kurdes qui ont refusé sa protection : les enclaves” se  restreignent de plus en plus et mieux vaut chercher des compromis avec le régime légitime” de Damas. "
L'expert va plus loin en évoquant un " troc " entre la Russie et la Turquie, la première laissant les coudées franches à la seconde qui l'aurait tenue informée de ses visées avant le début des opérations. " Moscou, poursuit Anton Mardasov, a recouru à la stratégie infaillible d'imputer la responsabilité de l'opération turque aux Etats-Unis, en affirmant qu'elle avait été déclenchée par “l'armement incontrôlé des Forces démocratiques syriennes - une alliance kurdo-arabe qui a combattu l'Etat islamique et dans laquelle les YPG tiennent un rôle moteur - par le Pentagone”. Il est clair que la Russie cherche à bouter les Etats-Unis hors de Syrie, afin de protéger le régime Assad et accroître la rupture entre Washington et Ankara, son allié au sein de l'OTAN. "
Ce jeu complexe nourrit les soupçons d'une bonne partie des acteurs sur le terrain, en dehors de quelques opposants acquis à la Russie. Les revers enregistrés par Moscou, symbolisés par la non-participation des Kurdes et du CNS à la conférence de Sotchi, ne sont pas pour déplaire à une partie des Occidentaux, qui soupçonnent Moscou de vouloir contourner le processus onusien de Genève et Vienne, ce que le Kremlin dément. L'émissaire de l'ONU sur la Syrie, Staffan de Mistura, se rendra néanmoins à Sotchi dans l'espoir, faible, que ce sommet apporte " une contribution importante " à la relance du processus de paix.
Isabelle Mandraud
© Le Monde



30 janvier 2018

Après l'attaque turque à Afrin, le pouvoir de Damas en embuscade

Le régime de Bachar Al-Assad espère récupérer la maîtrise d'une partie de sa frontière avec la Turquie, aux mains des forces kurdes

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Les autorités syriennes ont condamné l'intervention militaire de la Turquie contre le canton kurde d'Afrin, dans le nord-ouest, avec l'indignation de mise dans ce genre de situation. Le 21  janvier, au lendemain du début de cette offensive, le président Bachar Al-Assad a fustigé une " agression brutale ", caractéristique de la politique de " soutien au terrorisme " menée selon lui par Ankara depuis le début de la crise en Syrie. Le même jour, le vice-ministre des affaires étrangères, Fayçal Mekdad, a averti que des avions de combats turcs pourraient être abattus. Depuis, l'agence officielle SANA multiplie les dépêches sur les " massacres " et les dégâts causés par les bombardements turcs.
Mais une confrontation syro-turque dans le ciel d'Afrin semble improbable, car l'opération " Rameau d'olivier " n'est pas une si mauvaise nouvelle pour Damas. Des observateurs estiment qu'elle pourrait offrir au pouvoir syrien l'opportunité de reprendre le contrôle d'Afrin et de récupérer la maîtrise d'une partie de sa frontière avec la Turquie. " Le scénario le plus probable, c'est que le régime et les Kurdes négocient un compromis, qui débouche sur l'arrêt de l'attaque turque et le redéploiement de l'armée syrienne dans la zone d'Afrin ", prédit Sinan Hatahet, analyste au think tank Omran, proche de l'opposition syrienne.
Offre refusée par les KurdesDes messages en ce sens ont déjà été échangés. Selon Aldar Khalil, un haut dirigeant du Rojava, la zone autonome kurdo-syrienne (composée des trois cantons d'Afrin, Kobané et Hassaké), la Russie avait proposé, en amont de l'offensive, qu'en échange d'un retour du régime syrien à Afrin, la Turquie renonce à son opération. Le quotidien panarabeAsharq Al-Awsat a rapporté la même information. L'offre, dont les détails ne sont pas connus, a été refusée par les Kurdes, peu enclins à renoncer à l'autonomie de fait qu'ils ont acquise en  2012, lorsque l'armée syrienne s'est retirée de leur bastion.
Mais jeudi 25  janvier, signe d'un possible revirement, les autorités d'Afrin ont exhorté Damas à assumer ses obligations souveraines (…),à protéger ses frontières des attaques de l'occupant turc et à déployer les forces armées syriennes de manière à sécuriser les frontières dans le secteur d'Afrin ".
Le régime Assad n'a pas réagi à la déclaration. Il pourrait y répondre a minima, en autorisant des renforts kurdes venus de l'est à transiter par Alep, pour rejoindre Afrin, situé 50  km plus au nord. Ou bien se contenter d'attendre, tapi en embuscade, en tablant sur l'épuisement des défenseurs d'Afrin, conscient qu'ils préféreront la tutelle de Damas à celle d'Ankara.
" Dans le scénario du retour du régime, tout le monde trouve plus ou moins son compte, dit Sinan Hatahet. Le Parti de l'Union démocratique - PYD, force politique dominante du Rojava - pourrait trouver un modus vivendi avec Damas, qui lui permette de maintenir une présence, sous forme par exemple d'une police locale. Pour la Turquie, ça permettrait d'abréger une guerre potentiellement coûteuse, tout en s'assurant que son objectif premier – évincer les Kurdes de la frontière – est rempli. Mais le grand gagnant, bien sûr, ce serait le régime. "
Benjamin Barthe
© Le Monde

30 janvier 2018

Les Occidentaux à la recherche d'une stratégie commune

Méfiants envers la Russie, les Etats-Unis cherchent à pérenniser une présence en Syrie, mais ont du mal à gérer leur allié turc

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Aller ou non à Sotchi ? Washington, Londres et Paris ont longuement hésité. Ils pourraient finalement se limiter à envoyer en observateurs leurs diplomates qui suivent le processus de Genève, sous l'égide des Nations unies. Moscou reste, en effet, un acteur incontournable de toute solution de paix en Syrie, et " Sotchi est une contribution au processus de l'ONU ", non pas un substitut, assure Moscou. Les Occidentaux insistent sur la centralité des négociations de Genève – dont le grand ordonnateur, l'envoyé spécial onusien Staffan de Mistura, sera présent au bord de la mer Noire – et se méfient des ambiguïtés de la démarche russe.
Les Occidentaux entendent agir de concert pour faire " effet de pack ", selon la métaphore de rugby d'un diplomate français, et peser face à Moscou ". Ils partagent le sentiment qu'une issue militaire au conflit est impossible, et la même urgence pour tenter de relancer le processus négocié, alors que le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a dit devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale que " la -situation humanitaire ne cesse de se dégrader en Syrie".
C'est le cas dans la zone d'Afrin, où les Kurdes doivent faire face à l'offensive de l'armée turque, mais aussi dans celles d'Idlib et de la Ghouta, près de Damas, où le régime de Damas est à l'attaque, alors même qu'il s'agit de " zones de désescalade " mises en place sous l'égide de la Russie, de l'Iran et de la Turquie.
" La mutation du conflit syrien est très inquiétante. La lutte contre Daech, qui était la priorité de la coalition, avait mis au second plan les autres guerres syriennes, et les rivalités régionales apparaissent dans toute leur évidence avec l'offensive lancée par Ankara contre les Kurdes ", relève un haut diplomate français, soulignant qu'il y a " très peu d'écart " entre la vision de la France et celle exposée, le 17  janvier, par le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson.
RevirementLors de cette conférence à la Hoover Institution de l'université Stanford, M.  Tillerson avait annoncé que les Etats-Unis maintiendront aussi longtemps que nécessaire leur présence militaire dans la partie orientale du pays. C'est un revirement complet par rapport à la rhétorique de campagne souvent isolationniste du président Trump, resté muet sur cette question ces dernières semaines.
Cette volte-face est justifiée, à Washington, par une série d'objectifs. Il s'agit d'abord de s'assurer de la défaite des djihadistes, dont la présence résiduelle est mise en avant en dépit des succès enregistrés au cours des mois passés. Ensuite, de peser sur une éventuelle transition politique à Damas, permettre le retour des réfugiés et déplacés, et empêcher le régime syrien de détenir et d'utiliser des armes de destruction massive. Et enfin, de réduire l'influence de l'Iran.
Ces buts peuvent cependant difficilement être atteints par le seul maintien d'une force estimée à environ 2 000 hommes des forces spéciales, face à l'intensité de l'engagement iranien ou russe. Les démocrates du Congrès américain estiment par ailleurs que cette force ne dispose pas du cadre juridique pour opérer à long terme dans un pays où elle n'est pas la bienvenue, à la différence du contingent présent en Irak.
Autre obstacle : les intérêts de Washington divergent de ceux de son principal allié dans la région, la Turquie. Ankara n'a pas caché sa colère après l'annonce – vite démentie –, le 14  janvier, de la création d'une force frontalière kurde de 30 000 hommes. Recep Tayyip Erdogan a aussi demandé aux conseillers militaires américains de se retirer de la zone de Manbij.
A bien des égards, la stratégie syrienne de Washington reste donc illisible, avec toutes les conséquences qui en découlent. L'objectif ultime de Vladimir Poutine est de remplacer les Américains dans tout le Moyen-Orient, au besoin comme faiseur de paix.
Gilles Paris (à Washington) et Marc Semo
© Le Monde


30 janvier 2018

Erdogan promet d'étendre l'offensive turque en Syrie

L'activisme d'Ankara, qui veut éviter la formation d'une région kurde dans le nord du pays, inquiète Washington et Moscou

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L'aviation turque a intensifié ses bombardements, dimanche 28  janvier, sur des Unités de protection du peuple (YPG), les milices kurdes syriennes, dans l'enclave d'Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie. Considérés par Ankara comme " terroristes ", les YPG, affiliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en guerre contre l'Etat turc, sont aussi les meilleurs alliés au sol des Etats-Unis et de leurs partenaires au sein de la coalition internationale contre l'organisation Etat islamique. La Turquie craint avant tout la formation d'une région autonome kurde sur ses marches sud, redoutant qu'elle contamine sa propre minorité kurde (plus de 15  millions de personnes).
L'offensive turque se heurte à une forte résistance.Entrée dans sa deuxième semaine, l'opération " Rameau d'olivier ", menée par l'armée turque et ses supplétifs -rebelles syriens, a fait 20 morts côté turc (7 militaires turcs, 13 membres de l'Armée syrienne -libre) et plus de 100 morts (combattants et civils) à Afrin.
Le numéro un turc ne compte pas en rester là. " Les terroristes ne pourront échapper à la fin douloureuse qui les attend, ni à Afrin ni à Manbij ", a déclaré M. Erdogan dimanche. La ville de Manbij est située à une centaine de kilomètres à l'est d'Afrin, où des instructeurs américains sont déployés aux -côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées militairement par les YPG kurdes. " Les vrais propriétaires de Manbij ne sont pas ces terroristes mais nos frères arabes ", a dénoncé Erdogan, suggérant une poussée " jusqu'à la frontière irakienne ", ce qui a inquiété Washington.
Caution" Nous allons marcher sur Idlib ", a ensuite promis le président turc. Cette éventualité alarme la Russie : Idlib est l'une des quatre " zones de désescalade " destinées à accueillir les groupes rebelles anti-Assad, selon les accords conclus à Astana entre la Russie et l'Iran, soutiens du régime syrien, et la Turquie.
La participation d'Ankara au Congrès du dialogue national syrien, les 29 et 30  janvier à Sotchi (Russie), est cruciale. En effet, la Turquie, principal soutien de la rébellion anti-Assad, est la meilleure caution du processus diplomatique mené par Moscou. Ses diplomates veulent être à Sotchi pour peser sur les négociations et empêcher l'apparition d'une région autonome kurde dans le nord de la Syrie. Sur ce point, Ankara pourrait trouver un terrain d'entente avec Moscou, Téhéran et Damas.
En revanche, le renversement de Bachar Al-Assad n'est plus d'actualité pour le pouvoir islamo-conservateur turc. Pour contrer les ambitions kurdes, Ankara compte sur Damas. " Nous espérons que le régime syrien ne va pas coopérer avec les terroristes ",a expliqué vendredi Mevlüt Cavusoglu, le ministre turc des affaires étrangères.
Des divergences apparaissent sur un point. Moscou et Téhéran veulent anéantir la rébellion syrienne, alors que M. Erdogan mise sur la création d'une " zone de sécurité " pour les rebelles et les réfugiés. C'est déjà le cas entre Azaz et Djarabulus, où 100 000 réfugiés syriens ont été réinstallés. " Notre opération à Afrin permettra à nos frères réfugiés de rentrer dans leurs pays ", a assuré M. Erdogan. Mais en cas de règlement politique en faveur de Bachar Al-Assad, la présence rebelle dans le nord de la Syrie pourrait être remise en question, contraignant la Turquie à rendre les territoires conquis au régime de Damas.
Marie Jégo
© Le Monde

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