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16Jan2018
La litanie de corrections du Russia gate, par Robert Parry
Source : Robert Parry, Consortium News, 11-12-2017
Les médias grand public américains ont beau insister sur le fait que le scandale du Russia gate prend de l’ampleur, ce qui prend indéniablement de l’ampleur est la liste des corrections importantes que les médias ont été contraints de publier, rapporte Robert Parry.
L’hystérie qui règne depuis un an dans les médias grand public américains au sujet du rôle présumé de la Russie dans l’élection de Donald Trump a effacé les normes du journalisme normales, ce qui a entraîné une vague d’embarras journalistiques qui a déshonoré la profession et stimulé les partisans de Trump au sujet de nouveaux griefs concernant les « fausses nouvelles » des MSM [abréviation de Mainstream media, NdT]
La pensée de groupe erronée est toujours un danger lorsque des éléments clés de l’establishment de Washington et les principaux médias partagent la même croyance – qu’il s’agisse de la possession supposée d’ADM [armes de destruction massive, NdT] par l’Irak ou de la nécessité de faire tomber un dirigeant étranger ou national impopulaire auprès des élites.
Pourtant, nous avons rarement été témoins d’un tel effondrement en cascade des principes journalistiques, que celui qui s’est produit autour du « scandale » du Russia-gate. Il est difficile de faire le suivi de toutes les erreurs ou de prendre note de toutes les impasses que l’enquête ne cesse de découvrir.
Mais quiconque ose relever les erreurs, les incohérences ou les allégations illogiques est soit écarté en tant que « laquais du Kremlin », soit en tant que « facilitateur de Trump ». Les démocrates du pays et les médias grand public semblent déterminés à continuer de se précipiter le long de la route qui mène au Russia-gate, en supposant que les obstacles à venir en matière de preuves disparaîtront par magie à un moment donné, et que la voie menant à la destitution de Trump sera libre.
Vendredi, la précipitation pour arriver à prouver le récit du Russia-gate a conduit CNN – et ensuite CBS News et MSNBC – à claironner un e-mail prétendument envoyé par Michael J. Erickson le 4 septembre 2016 à Donald Trump Jr. qui impliquait que WikiLeaks avait offert à l’équipe de campagne de Trump l’accès avant publication aux e-mails du Comité national démocrate publiés par Wikileaks le 13 septembre, neuf jours plus tard.
Comme CNN faisait finalement le lien entre l’affirmation non prouvée de la CIA selon laquelle WikiLeaks collaborerait avec la Russie et l’affirmation non prouvée selon laquelle les services de renseignement russes auraient « piraté » les courriels démocrates, CNN a resserré plus fort l’étau autour de la campagne Trump pour « collusion » avec la Russie.
Après avoir demandé au journaliste du Congrès Manu Raju d’exposer les faits supposés du scoop, CNN s’est tourné vers un panel d’experts juridiques pour pontifier sur les crimes que la campagne Trump pourrait avoir commis maintenant que les « preuves » prouvant le Russia-gate étaient enfin réunies.
Il n’est pas surprenant que l’arrivée de cette « preuve » tant attendue de « collusion » russe se soit répandue comme une traînée de poudre dans les médias sociaux. Comme Glenn Greenwald de The Intercept l’a noté dans un article critiquant la performance des médias, certains enthousiastes du Russia-gate ont annoncé la révélation de CNN avec des graphismes de canons en train de tirer et des explosions de bombes nucléaires.
Le problème, cependant, c’est que CNN et les autres médias qui ont sauté sur l’article ont mal rapporté la date de l’e-mail ; c’était le 14 septembre 2016, c’est-à-dire le lendemain du jour où WikiLeaks a publié le lot d’e-mails du DNC, et non le 4 septembre. En d’autres termes, il est apparu que « Erickson » – qui qu’il soit – était simplement en train prévenir l’équipe de campagne de Trump de la divulgation de WikiLeaks.
CNN a par la suite publié une rectification discrète à son rapport incendiaire – et il n’est pas surprenant que des personnes proches de Trump aient cité la fausse allégation comme un autre exemple de « fausse nouvelle » diffusée par les médias grand public, qui se sont placés à l’avant-garde de la résistance anti-Trump au cours de l’année écoulée.
Mais ce cas journalisme bâclé – aggravé par la hâte de CNN à inscrire le « courriel du 4 septembre » dans un contexte criminel et alors que CBS et MSNBC le talonnaient – n’est pas une erreur isolée. Une semaine plus tôt, ABC News avait commis une erreur similaire en prétendant que le candidat Donald Trump avait demandé à Michael Flynn de contacter les responsables russes pendant la campagne, alors que Trump avait fait la demande après les élections, alors que Flynn était conseiller désigné en matière de sécurité nationale, ce qui est tout à fait normal pour un président élu. Cet article bâclé a amené ABC News à suspendre Brian Ross, journaliste d’investigation chevronné.
Une autre information inexacte provenant de Bloomberg News, du Wall Street Journal et d’autres organes de presse, selon laquelle le procureur spécial pour le Russia-gate Robert Mueller avait assigné la Deutsche Bank à présenter les relevés bancaires concernant le président Trump et sa famille, a été démentie par l’avocat de Trump et a conduit plus tard à d’autres correctifs. L’erreur a apparemment été que les relevés bancaires ne sont pas ceux de Trump et de sa famille, mais peut-être d’autres associés.
Un modèle de parti pris
Mais ce n’était pas seulement une mauvaise semaine pour le journalisme grand public américain. La série d’erreurs suivait un schéma de reportages faux et trompeurs antérieurs et d’autres violations des normes journalistiques, un triste bilan qui a été la marque de fabrique du « scandale » du Russia-gate. De nombreux articles ont suscité l’indignation nationale à l’égard de la Russie dotée d’armes nucléaires avant d’être considérés comme faux ou totalement exagérés. [Voir, par exemple, Russia-gate Jump the Shark de Consortiumnews.com]
Comme Greenwald l’a noté, « Les fausses informations sur la Russie et Trump au cours de l’année dernière sont si nombreuses que je ne peux littéralement pas les énumérer toutes. »
Le phénomène a commencé dans les semaines qui ont suivi la victoire stupéfiante de Trump sur Hillary Clinton, alors que les démocrates et les médias grand public cherchaient des gens à blâmer pour la défaite de leur candidate favorite.
Ainsi, le jour du Thanksgiving, quelques semaines seulement après les élections, le Washington Post a publié un article en première page s’appuyant sur les allégations d’un groupe anonyme appelé PropOrNot qui accusait 200 sites Web d’agir en tant qu’agents de propagande pour la Russie. La liste incluait certaines des principales sources de nouvelles indépendantes sur Internet, y comprisConsortiumnews, mais le Post n’a pas pris la peine de contacter les sites web calomniés ni de disséquer la méthodologie douteuse des accusateurs anonymes.
Apparemment, le « crime » de ces sites web était de faire preuve de scepticisme à l’égard des affirmations du département d’État concernant la Syrie et l’Ukraine. En amalgamant quelques cas isolés de « fausses nouvelles » où des gens avaient fabriqué des histoires à des fins politiques ou lucratives, avec de sérieuses remises en cause de la diabolisation de la Russie et de ses alliés, le Post mettait en place un repère qui indiquait que si vous vous n’étiez pas aligné derrière la propagande du gouvernement américain sur ces sujets et d’autres, vous seriez étiqueté comme un « outil du Kremlin ».
Alors que l’hystérie du Russia-gate s’installait à l’approche de l’investiture de Trump au cours des dernières semaines de l’administration Obama, le Post s’est également jeté sur une déclaration du ministère de la Sécurité intérieure selon laquelle des pirates informatiques russes auraient pénétré dans le réseau électrique du pays en passant par Burlington Electric, du Vermont.
Comme l’a fait remarquer le journaliste Gareth Porter, « Le Post n’a pas respecté la règle de base du journalisme, en s’appuyant sur sa source au DHS [Department of Homeland Security, c’est-à-dire Département de La sécurité intérieure des États-Unis, NdT] au lieu de vérifier d’abord auprès du département électrique de Burlington. Le résultat a été l’article sensationnel du Post du 30 décembre sous le titre “Les pirates informatiques russes ont pénétré le réseau électrique américain à travers un service public dans le Vermont, disent des responsables américains.”… »
« La compagnie d’électricité a rapidement nié fermement que l’ordinateur en question était connecté au réseau électrique. En fait, Le Post a été contraint de retirer son accusation selon laquelle le réseau électrique avait été piraté par les Russes. Mais il s’en est tenu à son récit selon lequel l’entreprise avait été victime d’un piratage informatique russe pendant encore trois jours avant d’admettre qu’il n’existait aucune preuve d’un tel piratage. »
Le péché originel
Dans d’autres cas, les principaux organes de presse, comme le New York Times, ont rapporté les allégations douteuses des agences de renseignement américaines concernant la Russie comme des réalités factuelles, plutôt que des allégations non prouvées qui font toujours l’objet de désaccords sérieux. Le Times et d’autres ont rapporté que le « piratage » russe des e-mails démocrates était vrai, même si WikiLeaks a nié avoir obtenu le matériel des Russes, et que les Russes ont nié l’avoir fourni.
Pendant des mois jusqu’en 2017, en rejetant ou en ignorant ces démentis, les médias grand public américains ont rapporté de façon routinière que les 17 agences de renseignement américaines s’accordaient sur la conclusion selon laquelle la Russie était derrière la divulgation d’e-mails démocrates dans le cadre d’un complot lancé par le président russe Vladimir Poutine pour aider à élire Trump. Quiconque osait remettre en question ce prétendu jugement collectif de toutes les agences de renseignement américaines risquait d’être qualifié de « conspirationniste » ou pire.
Mais l’affirmation du « consensus » n’a jamais été vraie. Un tel jugement consensuel aurait nécessité une évaluation complète des renseignements nationaux, qui n’a jamais été effectuée sur la question du « piratage » russe. Au lieu de cela, il y a eu quelque chose appelé « Intelligence Community Assessment » le 6 janvier – selon le témoignage du directeur du renseignement national du président Obama, James Clapper, en mai 2017 – qui a été rassemblé par des analystes « triés sur le volet » d’après le témoignage de trois agences seulement : la CIA, le FBI et l’Agence nationale de sécurité.
Même après le témoignage de Clapper, le bobard « consensuel » continuait de circuler. Par exemple, dans la note de la Maison-Blanche du New York Times du 25 juin, la correspondante Maggie Haberman s’est moquée de Trump pour avoir « toujours refusé de reconnaître un fait fondamental convenu par les 17 agences de renseignement américaines qu’il supervise maintenant : la Russie a orchestré les attaques et l’a fait pour l’aider à être élu ».
Enfin, le Times a publié un correctif joint à cet article. Associated Press a publié une « clarification » similaire appliquée à certains de ses rapports fallacieux qui utilisaient le même argument des « 17 agences de renseignement ».
Après le correctif, cependant, le Times a simplement eu recours à une autre formulation trompeuse pour continuer à suggérer que les agences de renseignement américaines étaient d’accord sur le « piratage » russe. D’autres fois, le Times affirmait simplement que le piratage électronique russe était un fait acquis. Tout cela n’était pas du tout professionnel, puisque « l’évaluation » du 6 janvier elle-même déclarait qu’elle n’affirmait pas que le « piratage » russe était un fait, expliquant : « Les jugements n’ont pas pour but d’insinuer que nous avons la preuve que quelque chose est bien un fait ».
Pire encore que le Times, le site de « fact-checking » Politifact, qui fait partie de la première ébauche de Google Coalition pour décider ce que les algorithmes du moteur de recherche va promouvoir comme vrai et quelles informations seront effacées comme fausses, et a tout simplement décidé de durcir et a continué à insister sur le fait que le faux argument « consensus » était vrai.
Lorsque de vrais experts, comme l’ancien directeur technique de l’Agence nationale de sécurité William Binney, ont cherché à appliquer l’analyse scientifique à la revendication centrale sur le « piratage » russe, ils sont arrivés à la conclusion impopulaire que la vitesse de téléchargement connue d’un soi-disant « piratage » n’était pas possible sur Internet, mais correspondait étroitement à ce qui se produirait par téléchargement USB, c’est-à-dire à partir d’une personne ayant un accès direct aux ordinateurs du Comité national démocrate à l’aide d’une clé USB. En d’autres termes, les e-mails provenaient plus probablement d’un initié du DNC, et non d’un « piratage » externe de la part des Russes ou autres.
Vous auriez pu penser que les médias américains ont apprécié la découverte de Binney. Cependant, soit on l’a ignorée, soit on s’est moqué de lui comme d’un « théoricien de la conspiration ». Il ne fallait pas se moquer ou douter de la croyance quasi religieuse en la certitude du « piratage » russe.
Des ennuis « triés sur le volet »
Ces derniers jours, la référence de l’ancien DNI Clapper aux analystes « triés sur le volet » du rapport du 6 janvier, est devenue de plus en plus gênante, puisque des questions ont été soulevées au sujet de l’objectivité des enquêteurs du Russia-gate et – comme n’importe quel spécialiste du renseignement vous le dira – si vous « choisissez » des analystes connus pour leurs préjugés personnels, vous choisissez la conclusion, un processus qui est devenu célèbre sous le nom de « politisation du renseignement » pendant l’administration Reagan.
Bien que l’on sache peu de choses sur qui exactement a été « sélectionné » par les chefs des services de renseignements du président Obama pour évaluer les soupçons russes de « piratage », le procureur spécial Robert Mueller a été contraint de réaffecter Peter Strzok, l’un des plus grands enquêteurs du FBI, qui a travaillé sur l’affaire Hillary Clinton et sur l’enquête Trump-Russie, après qu’il a découvert qu’il avait échangé des informations anti-Trump et pro-Clinton.
La semaine dernière, les Républicains de la Commission judiciaire de la Chambre des représentants ont demandé des réponses à Christopher Wren, le nouveau directeur du FBI, au sujet du rôle de Strzok dans la réhabilitation de Hillary Clinton d’actes répréhensibles criminels dans son utilisation d’un serveur de courrier électronique privé non sécurisé pour gérer les communications officielles du département d’État alors qu’elle était secrétaire d’État. Ils voulaient également savoir quel rôle a joué dans l’enquête menée sur le Russia-gate, un rapport de « recherche sur l’opposition », financé par le parti démocrate et rédigé par l’ancien agent de renseignement britannique Christopher Steele, qui comprenait des déclarations de ouï-dire non vérifiées faites par des Russes anonymes au sujet de Trump.
M. Wren a louvoyé en citant un contrôle en cours de l’inspecteur général et l’enquête criminelle de M. Mueller, mais les républicains ont exprimé leur mécontentement à l’égard de cette manœuvre.
Les questions républicaines ont incité E. J. Dionne Jr., une chroniqueuse libérale au Washington Post, à publier une attaque énergique contre les membres du comité républicain, les accusant de tactiques maccarthyste dans la remise en question de l’intégrité du FBI.
L’homme de paille de Dionne devait postuler que les républicains – en raison de cette découverte du parti-pris anti-Trump – ne tiendraient pas compte des preuves qui prouvent la collusion de Trump avec la Russie : « si Strzok a joué un certain rôle dans le développement des preuves matérielles… Les alliés de Trump veulent que nous disions : Dommage que le président ait menti ou enfreint la loi ou que la Russie ait tenté de faire basculer notre élection. Ce gars du FBI qui envoie des messages anti-trump est bien plus important, alors oublions tout ça. Vraiment ? »
Mais le fait est qu’aucune preuve d’une telle collusion russe n’a été présentée, et spéculer sur la façon dont les gens pourraient réagir si de telles preuves étaient découvertes est en soi du maccarthysme, suggérant une culpabilité fondée sur des hypothèses et non sur des preuves. Peu importe ce que l’on pense de Trump, il est troublant que Dionne ou quiconque de suggérer des activités de trahison basées sur des spéculations. C’est le genre de malversations journalistiques qui a contribué à la série d’abus professionnels qui a conduit au Russia gate.
Ce dont nous sommes témoins, c’est d’un désir si intense de la part des journalistes mainstream d’obtenir le mérite d’avoir aidé à évincer Trump du pouvoir, qu’ils ont oublié que le pacte du journalisme avec le public devrait être de traiter tout le monde équitablement, même si vous méprisez personnellement le sujet de votre reportage.
Les journalistes seront toujours critiqués lorsqu’ils dénicheront des informations qui montrent un politicien ou une personnalité publique sous un jour négatif, mais c’est pourquoi il est particulièrement important que les journalistes s’efforcent d’être honnêtes et ne se comportent pas comme si le journalisme n’était qu’une forme de couverture pour des partisans haineux.
La perte de confiance de la part d’un grand nombre d’Américains dans le professionnalisme des journalistes finira par nuire gravement au processus démocratique, en transformant l’information en une arme idéologique de plus. Certains diront que le mal est déjà fait.
Ce sont, si vous vous rappelez bien, les médias grand public américains qui ont lancé la controverse au sujet des « fausses nouvelles », en élargissant le concept à partir des quelques personnes sans scrupules qui inventent des histoires pour le plaisir et le profit en calomnie contre quiconque exprimait son scepticisme à l’égard des descriptions du département d’État sur les conflits étrangers. C’était le but de l’article PropOrNot du Washington Post.
Mais aujourd’hui, beaucoup de ces mêmes médias grand public sont furieux quand Trump et ses partisans utilisent le même épithète de « fausse nouvelle » à propos des grands médias. La triste vérité est que le New York Times, le Washington Post, CNN, MSNBC et d’autres grandes agences de presse qui ont laissé leur haine de Trump les aveugler sur leurs responsabilités professionnelles, ont facilité le travail de Trump.
Le journaliste d’investigation Robert Parry a révélé de nombreuses affaire de l’Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 80.
Source : Robert Parry, Consortium News, 11-12-2017
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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