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mercredi 10 janvier 2018

Les cobayes de la rupture conventionnelle .....La CFDT alerte sur le risque de " discrimination par l'âge "

10 janvier 2018

Les cobayes de la rupture conventionnelle collective

PSA, Pimkie, Groupe Figaro… certaines entreprises s'apprêtent à utiliser ce nouveau dispositif, entré en vigueur fin décembre, censé faciliter le départ de leurs salariés

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C'est un nouveau sigle auquel il va falloir s'habituer : RCC, pour rupture conventionnelle collective. Dans le cadre dela loi travail, ce dispositif va progressivement remplacer les actuels plans de départs volontaires (PDV). En ce mois de janvier, plusieurs sociétés sont d'ores et déjà prêtes à l'éprouver. Lundi 8  janvier, la chaîne de prêt-à-porter féminin Pimkie a annoncé sa volonté d'utiliser cet outil pour accompagner son plan de restructuration, qui prévoit la suppression de 208 postes.
Mardi, la direction de PSA devait discuter avec les syndicats du groupe pour l'inclure dans son dispositif de gestion des emplois et des compétences. " Afin de nous adapter à la nouvelle loi ", explique la direction du constructeur automobile. " Pour préparer un plan social déguisé ", critique déjà la CGT. Philippe Martinez, secrétaire général du syndicat, a estimé lundi sur Franceinfo qu'avec une rupture conventionnelle collective," la volonté de la direction de PSA était de transformer les CDI en précaires ". Comme d'autres grands groupes, Engie a, pour sa part, inscrit le sujet à son agenda social du premier semestre. " Afin de faire de la pédagogie sur le dispositif encore mal connu ", précise le fournisseur d'énergie.
Si les syndicats n'observent pas encore de raz-de-marée, beaucoup de secteurs en pleine transformation s'y intéressent, comme ceux de la banque et de la presse. Le Figaro a lancé une négociation pour la mise en place d'une rupture conventionnelle collective afin de se séparer de 40 à 50 personnes travaillant dans des fonctions administratives, sur un effectif total de 850 salariés, dont 500 journalistes. " C'est un accord à signer avec nos syndicats, indique Marc Feuillée, directeur général du GroupeFigaro. Nous avons l'habitude de faire les choses de manière consensuelle. "
Quel est l'intérêt du dispositif pour les entreprises ?La rupture conventionnelle collective apporte aux entreprises une sécurité juridique. Historiquement, pour faire partir demanière volontaire des collaborateurs, les sociétés pouvaient lancer un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), très cadré, ou un plan de départs volontaires autonome. Ces procédures ont été " mis - es - en place par la pratique et sont ajusté - e - s de façon pointilliste par la jurisprudence ", rappelait récemment sur Franceinfo Jean-Paul Charlez, le président de l'Association nationale des directeurs de ressources humaines. Un handicap, car elles étaient soumises aux aléas des décisions judiciaires, un plan identique pouvant être adopté ou retoqué selon le tribunal compétent.
" L'avantage de la loi travail est de fixer un cadre connu des acteurs à l'avance ", défend l'entourage de Muriel Pénicaud, la ministre du travail. Après négociation avec les syndicats autour des compensations et des accompagnements à mettre en place pour les salariés souhaitant quitter l'entreprise, la rupture collective doit être ratifiée dans le cadre d'un accord majoritaire avec les syndicats (représentant au moins 50 % des salariés) avant d'être validée par les services déconcentrés du ministère du travail, et notamment la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).
Cet accord dûment validé sera très difficile à contester par les salariés et les syndicats, car il ne requiert aucune justification économique des entreprises. " Contrairement au plan de sauvegarde de l'emploi, il n'y a pas de motif économique à contester ", confirme Charles-Emeric Le Roy, expert en ressources humaines au cabinet GMBA Baker Tilly. " La décision de la Direccte ne peut être remise en causedevant le tribunal administratif que dans un délai de deux mois ", ajoute Déborah David, du cabinet d'avocats Jeantet.
Autres avantages de cette rupture collective pour les sociétés, elle est simple et rapide à mettre en place. Les départs ne sont plus soumis au droit du licenciement économique, car ils résultent d'une rupture scellée par consentement mutuel, à travers un accord collectif. De même, la politique d'accompagnement est négociable : la loi n'impose plus à l'entreprise de faire des propositions de reclassement, des actions de formation ou de soutien à ses employés sur le départ. Au lieu d'une procédure longue de six mois minimum, voire beaucoup plus, la mise en œuvre d'une rupture conventionnelle collective ne devrait pas dépasser quelques mois.
Enfin, " l'obligation, pour l'employeur, de donner la priorité à ses anciens salariés en cas de volonté de réembauche disparaît, tout comme l'impossibilité de recruter pendant un an après le plan ", relève Cyril Wolmark, enseignant-chercheur à l'université Paris-Nanterre. Ce qui rend la gestion des effectifs bien plus fluide pour l'employeur.
Quels rôles joueront les syndicats ?Les centrales syndicales sont peu enthousiastes, cependant " leur responsabilité sera essentielle  dans le dispositif ", juge un praticien des ressources humaines d'un grand groupe. Sur le terrain, les premières organisations confrontées à ce sujet se positionnent. " Les premiers éléments de la négociation ont été présentés, relève un syndicaliste du Figaro. Dans le cadre d'un plan social, les obligations de l'employeur sont plus fortes, notamment en ce qui concerne le reclassement et la formation. Mais cela n'existe plus, nous allons donc négocier sur ces aspects pour obtenir des garanties. "
Les entreprises ne pourront pas, en effet, faire ce qu'elles veulent. " Les sociétés ne doivent pas se faire d'illusions, juge un expert. Les syndicats ne laisseront pas les directions proposer d'importants plans de départ sans aucune justification. " Et d'autres garde-fous existent dans la loi travail. Si les suppressions de postes " affectent, par leur ampleur, l'équilibre " du bassin d'emploi, l'entreprise sera tenue " de contribuer à la création d'activités " sur le territoire concerné. De même, une société ne pourra pas viser des salariés en fonction de leur âge, par exemple. " Nous serons très vigilants, avec les Direccte, pour bien s'assurer qu'il n'y aura pas de discrimination - au détriment des personnes proches de la soixantaine - , certifiait-on à l'automne dans l'entourage de Mme Pénicaud. Notre but n'est pas de voir la courbe d'activité des seniors, qui a crû ces dernières années, s'infléchir à nouveau. "
Enfin, la nécessité d'atteindre un accord majoritaire avec les syndicats pour adopter ces nouveaux types de plan de départ, va obliger la direction des sociétés à proposer des textes acceptables pour le plus grand nombre. Pour convaincre, elles devront sans doute sortir leur carnet de chèques et soigner les dispositifs d'accompagnement au départ. Et si elles n'obtiennent pas le nombre de départs escomptés, elles ne pourront pas avoir recours à des suppressions d'emplois pour combler la différence, prévient Déborah David.
Quelles conséquences pour les salariés ?Le premier effet est, sans conteste, mitigé pour les salariés. Une fois signée, la rupture conventionnelle collective ne donne pas, contrairement au PSE, droit au contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Avantageux, ce dispositif permet un suivi plus intensif des demandeurs d'emploi victimes d'un licenciement économique et leur assure, pendant un an, une indemnité plus importante que celle de base. Les salariés auront cependant, si la rupture est bien négociée, la possibilité de quitter leur entreprise dans de meilleures conditions financières. Le régime d'indemnisation des ruptures est " supérieur au barème prud'homal ", selon Me Antoine Vivant, du cabinet Vivant Chiss.
Reste que les avocats sont prudents. Il faut s'attendre à ce que des directions d'entreprise " fassent pression " pour obtenir la signature d'un accord collectif, préalable indispensable à ce nouveau type de plan, estime Judith Krivine, du Syndicat des avocats de France (SAF). " C'est un miroir aux alouettes pour les salariés, prévient Fabrice Angeï de la CGT, ils pensent avoir des avantages mais en réalité ils subissent un PSE en moins bien, les obligations sociales sont allégées, il y a moins de garanties, moins de droits. " Et d'ajouter : " C'est l'intérêt du groupe au détriment du salarié. Et il ne faut pas se leurrer, il y aura des astuces afin de contourner la loi et de se séparer, par exemple, des seniors uniquement. C'est une atteinte globale au salarié. "
Est-ce la fin des PSE ?Pas tout à fait, explique, prudente, Déborah David. Selon l'avocate, " cela va réduire le champ des PSE mais pas les remplacer ". La rupture conventionnelle collective est certes plus sécurisée juridiquement, mais elle se révèle moins intéressante en cas de difficultés économiques, lorsque l'entreprise souhaite cibler des postes précis afin de les supprimer.
" Cela peut à terme remplacer le plan de départs volontaires, mais pas le PSE, car dans ce dernier, c'est l'entreprise qui choisit quel poste doit être supprimé, alors que les personnes concernées par la rupture conventionnelle collective sont volontaires ", abonde l'expert en ressources humaines Charles-Emeric Le Roy.
Les plans de sauvegarde de l'emploi pourraient tout de même se raréfier à l'avenir, comme le craignent plusieurs experts du sujet. Or, le PSE donne aujourd'hui bien plus d'information et de protection aux salariés. La rupture collective sonne la disparition de la procédure d'information-consultation des élus du personnel, déplore ainsi Me Krivine.
Sarah Belouezzane, François Bougon, ET Philippe Jacqué
© Le Monde
10 janvier 2018

La CFDT alerte sur le risque de " discrimination par l'âge "

Les plans de départs volontaires, analyse Véronique Descacq (CFDT), " ciblent souvent les seniors ou les salariés ayant le plus d'ancienneté "

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Pour Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, il n'y a pas actuellement de " demandes massives " de ruptures conventionnelles collectives (RCC) de la part des entreprises. Mais celles-ci " regardent avec intérêt " un dispositif qui, craint la centrale syndicale, peut les aider à faire partir les salariés les plus anciens.


Quelle est la marge de manœuvre des syndicats en cas de rupture conventionnelle collective ?

Ils ont une vraie possibilité de peser. Il ne peut y avoir de RCC sans accord entre la direction et les syndicats qui représentent au moins 50  % des salariés. Seulement, le dispositif favorise les départs et non le maintien dans l'emploi. On se préoccupe moins de l'avenir des salariés que dans un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Or, ceux-ci sont parfois plus enclins à partir avec un chèque qu'à se lancer dans une formation ou à bouger au sein d'une entreprise en laquelle ils n'ont plus confiance. Pour les syndicats, ça peut compliquer la négociation.
C'est d'autant plus problématique que cette priorité accordée aux départs ne va pas dans le sens de l'accord de préservation ou de développement de l'emploi (APDE) qui figure dans un autre volet des ordonnances de 2017. D'après ce dispositif, l'accord conclu entre les syndicats et la direction l'emporte sur le contrat de travail. Il privilégie les reconversions, la formation. Nous l'avons soutenu parce que cela nous semblait plus sécurisant, à moyen et long terme, pour les salariés. Ce n'est pas le cas de la RCC.


Craignez-vous que ces ruptures conventionnelles visent davantage certaines catégories de salariés ?

On sait que les plans de départs volontaires ciblent souvent les seniors ou les salariés qui ont le plus d'ancienneté. Dans le cadre de la RCC, un double contrôle s'exerce : celui des organisations syndicales lors de la négociation, et celui de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), chargée de valider le dispositif. Cette dernière aura un rôle de garde-fou pour éviter que les ruptures conventionnelles collectives ne soient des plans déguisés pour faire partir les anciens. Le montant des chèques attribués aux salariés permet de savoir si c'est le cas, même si leurs noms ne figurent pas dans les listes des personnels visés. Je doute, toutefois des capacités de la Direccte à vraiment exercer son contrôle sur cette question de la discrimination par l'âge.


Les RCC remplaceront-elles, à terme, les plans de sauvegarde de l'emploi ?

Non, parce que si les syndicats ont le sentiment, lors de la négociation, qu'ils n'ont pas accès aux informations nécessaires et ne disposent pas des leviers suffisants pour obtenir des formations ou des reconversions, ils peuvent bloquer le processus et demander à revenir au dispositif plus classique du PSE.


Faut-il s'attendre à un essor des RCC dans les mois à venir ?

C'est un peu tôt pour répondre. D'après ce qui remonte de nos fédérations, il n'y a pas de demandes massives pour le moment. On sait néanmoins que les entreprises regardent le dispositif avec intérêt. La direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP, une des directions du ministère du travail) a reçu beaucoup d'appels. Les DRH veulent davantage d'informations. Mais cela ne se traduit pas, aujourd'hui, par des actions dans les entreprises. Le fait que ce soit strictement encadré par la négociation et le contrôle de la Direccte refroidit peut-être certaines ardeurs.
Ce qui est certain, c'est que les salariés de l'enseigne Pimkie sont inquiets. Qui dit RCC, dit réduction d'effectifs. C'est un enjeu tant pour ceux qui sont visés par le dispositif que pour ceux qui resteront dans l'entreprise et verront leur charge de travail s'accroître. A ce stade, la CFDT n'est pas rebutée par la discussion. Si ce qui est proposé ne lui convient pas, elle pourra toujours dire non et demander un PSE.
propos recueillis par Élise Barthet
© Le Monde

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