C'est un nouveau sigle auquel il va falloir s'habituer : RCC, pour rupture conventionnelle collective. Dans le cadre dela loi travail, ce dispositif va progressivement remplacer les actuels plans de départs volontaires (PDV). En ce mois de janvier, plusieurs sociétés sont d'ores et déjà prêtes à l'éprouver. Lundi 8 janvier, la chaîne de prêt-à-porter féminin Pimkie a annoncé sa volonté d'utiliser cet outil pour accompagner son plan de restructuration, qui prévoit la suppression de 208 postes.
Mardi, la direction de PSA devait discuter avec les syndicats du groupe pour l'inclure dans son dispositif de gestion des emplois et des compétences.
" Afin de nous adapter à la nouvelle loi ", explique la direction du constructeur automobile.
" Pour préparer un plan social déguisé ", critique déjà la CGT. Philippe Martinez, secrétaire général du syndicat, a estimé lundi sur Franceinfo qu'avec une rupture conventionnelle collective,
" la volonté de la direction de PSA était de transformer les CDI en précaires ". Comme d'autres grands groupes, Engie a, pour sa part, inscrit le sujet à son agenda social du premier semestre.
" Afin de faire de la pédagogie sur le dispositif encore mal connu ", précise le fournisseur d'énergie.
Si les syndicats n'observent pas encore de raz-de-marée, beaucoup de secteurs en pleine transformation s'y intéressent, comme ceux de la banque et de la presse.
Le Figaro a lancé une négociation pour la mise en place d'une rupture conventionnelle collective afin de se séparer de 40 à 50 personnes travaillant dans des fonctions administratives, sur un effectif total de 850 salariés, dont 500 journalistes.
" C'est un accord à signer avec nos syndicats, indique Marc Feuillée, directeur général du Groupe
Figaro.
Nous avons l'habitude de faire les choses de manière consensuelle. "
Quel est l'intérêt du dispositif pour les entreprises ?La rupture conventionnelle collective apporte aux entreprises une sécurité juridique. Historiquement, pour faire partir de
manière volontaire des collaborateurs, les sociétés pouvaient lancer un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), très cadré, ou un plan de départs volontaires autonome. Ces procédures ont été
" mis - es -
en place par la pratique et sont ajusté - e -
s de façon pointilliste par la jurisprudence ", rappelait récemment sur Franceinfo Jean-Paul Charlez, le président de l'Association nationale des directeurs de ressources humaines. Un handicap, car elles étaient soumises aux aléas des décisions judiciaires, un plan identique pouvant être adopté ou retoqué selon le tribunal compétent.
" L'avantage de la loi travail est de fixer un cadre connu des acteurs à l'avance ", défend l'entourage de Muriel Pénicaud, la ministre du travail. Après négociation avec les syndicats autour des compensations et des accompagnements à mettre en place pour les salariés souhaitant quitter l'entreprise, la rupture collective doit être ratifiée dans le cadre d'un accord majoritaire avec les syndicats (représentant au moins 50 % des salariés) avant d'être validée par les services déconcentrés du ministère du travail, et notamment la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).
Cet accord dûment validé sera très difficile à contester par les salariés et les syndicats, car il ne requiert aucune justification économique des entreprises.
" Contrairement au plan de sauvegarde de l'emploi, il n'y a pas de motif économique à contester ", confirme Charles-Emeric Le Roy, expert en ressources humaines au cabinet GMBA Baker Tilly.
" La décision de la Direccte ne peut être remise en causedevant le tribunal administratif que dans un délai de deux mois ", ajoute Déborah David, du cabinet d'avocats Jeantet.
Autres avantages de cette rupture collective pour les sociétés, elle est simple et rapide à mettre en place. Les départs ne sont plus soumis au droit du licenciement économique, car ils résultent d'une rupture scellée par consentement mutuel, à travers un accord collectif. De même, la politique d'accompagnement est négociable : la loi n'impose plus à l'entreprise de faire des propositions de reclassement, des actions de formation ou de soutien à ses employés sur le départ. Au lieu d'une procédure longue de six mois minimum, voire beaucoup plus, la mise en œuvre d'une rupture conventionnelle collective ne devrait pas dépasser quelques mois.
Enfin,
" l'obligation, pour l'employeur, de donner la priorité à ses anciens salariés en cas de volonté de réembauche disparaît, tout comme l'impossibilité de recruter pendant un an après le plan ", relève Cyril Wolmark, enseignant-chercheur à l'université Paris-Nanterre. Ce qui rend la gestion des effectifs bien plus fluide pour l'employeur.
Quels rôles joueront les syndicats ?Les centrales syndicales sont peu enthousiastes, cependant
" leur responsabilité sera essentielle dans le dispositif ", juge un praticien des ressources humaines d'un grand groupe. Sur le terrain, les premières organisations confrontées à ce sujet se positionnent.
" Les premiers éléments de la négociation ont été présentés, relève un syndicaliste du
Figaro. Dans le cadre d'un plan social, les obligations de l'employeur sont plus fortes, notamment en ce qui concerne le reclassement et la formation. Mais cela n'existe plus, nous allons donc négocier sur ces aspects pour obtenir des garanties. "
Les entreprises ne pourront pas, en effet, faire ce qu'elles veulent.
" Les sociétés ne doivent pas se faire d'illusions, juge un expert.
Les syndicats ne laisseront pas les directions proposer d'importants plans de départ sans aucune justification. " Et d'autres garde-fous existent dans la loi travail. Si les suppressions de postes
" affectent, par leur ampleur, l'équilibre " du bassin d'emploi, l'entreprise sera tenue
" de contribuer à la création d'activités " sur le territoire concerné. De même, une société ne pourra pas viser des salariés en fonction de leur âge, par exemple.
" Nous serons très vigilants, avec les Direccte, pour bien s'assurer qu'il n'y aura pas de discrimination - au détriment des personnes proches de la soixantaine -
, certifiait-on à l'automne dans l'entourage de Mme Pénicaud.
Notre but n'est pas de voir la courbe d'activité des seniors, qui a crû ces dernières années, s'infléchir à nouveau. "
Enfin, la nécessité d'atteindre un accord majoritaire avec les syndicats pour adopter ces nouveaux types de plan de départ, va obliger la direction des sociétés à proposer des textes acceptables pour le plus grand nombre. Pour convaincre, elles devront sans doute sortir leur carnet de chèques et soigner les dispositifs d'accompagnement au départ. Et si elles n'obtiennent pas le nombre de départs escomptés, elles ne pourront pas avoir recours à des suppressions d'emplois pour combler la différence, prévient Déborah David.
Quelles conséquences pour les salariés ?Le premier effet est, sans conteste, mitigé pour les salariés. Une fois signée, la rupture conventionnelle collective ne donne pas, contrairement au PSE, droit au contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Avantageux, ce dispositif permet un suivi plus intensif des demandeurs d'emploi victimes d'un licenciement économique et leur assure, pendant un an, une indemnité plus importante que celle de base. Les salariés auront cependant, si la rupture est bien négociée, la possibilité de quitter leur entreprise dans de meilleures conditions financières. Le régime d'indemnisation des ruptures est
" supérieur au barème prud'homal ", selon Me Antoine Vivant, du cabinet Vivant Chiss.
Reste que les avocats sont prudents. Il faut s'attendre à ce que des directions d'entreprise
" fassent pression " pour obtenir la signature d'un accord collectif, préalable indispensable à ce nouveau type de plan, estime Judith Krivine, du Syndicat des avocats de France (SAF).
" C'est un miroir aux alouettes pour les salariés, prévient Fabrice Angeï de la CGT,
ils pensent avoir des avantages mais en réalité ils subissent un PSE en moins bien, les obligations sociales sont allégées, il y a moins de garanties, moins de droits. " Et d'ajouter :
" C'est l'intérêt du groupe au détriment du salarié. Et il ne faut pas se leurrer, il y aura des astuces afin de contourner la loi et de se séparer, par exemple, des seniors uniquement. C'est une atteinte globale au salarié. "
Est-ce la fin des PSE ?Pas tout à fait, explique, prudente, Déborah David. Selon l'avocate,
" cela va réduire le champ des PSE mais pas les remplacer ". La rupture conventionnelle collective est certes plus sécurisée juridiquement, mais elle se révèle moins intéressante en cas de difficultés économiques, lorsque l'entreprise souhaite cibler des postes précis afin de les supprimer.
" Cela peut à terme remplacer le plan de départs volontaires, mais pas le PSE, car dans ce dernier, c'est l'entreprise qui choisit quel poste doit être supprimé, alors que les personnes concernées par la rupture conventionnelle collective sont volontaires ", abonde l'expert en ressources humaines Charles-Emeric Le Roy.
Les plans de sauvegarde de l'emploi pourraient tout de même se raréfier à l'avenir, comme le craignent plusieurs experts du sujet. Or, le PSE donne aujourd'hui bien plus d'information et de protection aux salariés. La rupture collective sonne la disparition de la procédure d'information-consultation des élus du personnel, déplore ainsi Me Krivine.
Sarah Belouezzane, François Bougon, ET Philippe Jacqué
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